Semaine du 12 novembre au 18 novembre 2001

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Désormais une chronique de la crise : les mésententes entre US et UK

L'attaque contre la politique américaine en Afghanistan, lancée par la secrétaire d'État britannique au Développement InternationalC lare Short, le 21 septembre, représente la plus violente manifestation des mésententes entre Britanniques et Américains sur les questions politico-militaires liées à la guerre en Afghanistan. Surtout, il s'agit d'une intervention officielle, es qualité, faite par un membre du gouvernement qui est loin d'être secondaire puisque Clare Short a joué un rôle important dans l'offensive médiatique du gouvernement Blair pour gagner le soutien de l'opinion à la guerre. Son intervention critique de la politique américaine a d'ailleurs eu un tel écho qu'elle a amené un e mise au point des services du Premier ministre, qui a constitué une sorte de démenti, ou disons une "mise en perspective" diplomatique des déclarations de Clare.

Il ne fait aucun doute que les relations anglo-américaines sont difficiles en ce moment, produisant le contraire de l'effet annoncé par beaucoup. Il se confirme également que la politique de Blair en la matière est bien, pour une part, de tenter de modérer la politique américaine dans ce qu'elle pourrait avoir de radical, du point de vue militaire. Nous sommes loin d'être au terme de cette chronique anglo-américaine, malgré l'évolution en Afghanistan. Il se prépare maintenant des moments difficiles, alors que les USA tournent leur attention vers d'autres "cibles" (l'Irak en premier, mais il y a d'autres possibilités), pour lesquels les Britanniques (et les Européens) sont loin, très loin d'être d'accord.

L'autre aspect de cette situation qui se confirme de plus en plus, c'est qu'il faut voir la présence britannique auprès des Américains moins comme une réaffirmation triomphale du couple anglo-saxon, style Seconde Guerre mondiale revisitée (version médiatique), que comme une présence de facto européenne auprès des USA, pour les raisons évoquées ci-dessus (version réaliste). Il se confirme de façon générale que le "traitement" des Britanniques par les Américains ne vaut guère mieux que celui que subissent les autres Européens, c'est-à-dire un blackout quasi-complet

Mais au fait, qui a gagné en Afghanistan ?

La rapidité de la victoire de l'Alliance du Nord, outre le rôle qu'elle joue dans la crise générale du 11 septembre, a une signification également pour la situation dans la région. Le chroniqueur Robert Fox, du Guardian, développe une analyse selon laquelle le vainqueur est le Russe Poutine, dont la victoire est alors présentée comme la revanche de Brejnev. Les arguments pour étayer cette interprétation sont évidents : l'Alliance du Nord est fortement influencée par les Russes, surtout depuis la disparition de Massoud au début septembre, à la suite d'un attentat ; l'Alliance a été réarmée par les Russes (sur financement américain) et équipée de capacités mobiles blindées très importantes, ce qui a constitué un des facteurs importants de la victoire.

Moscou se retrouve dans cette situation avec la perspective d'un gouvernement afghan qui sera fort probablement sous l'influence de l'Alliance, c'est-à-dire sous la sienne, et dans une position infiniment plus confortable que celle des années 1978-79, puis avec la guerre qui suivit jusqu'en 1987-88 et l'évacuation soviétique. A cette époque et depuis 1973, effectivement, les gouvernements d'obédience communiste se succédaient, avec le soutien affiché de Moscou, mais ils étaient engagés dans des affrontement extrêmement coûteux et qui s'avérèrent perdus d'avance. (Le paradoxe qu'on appréciera avec ironie si on en a le coeur est que ces gouvernement d'obédience communiste, type-Babrak Karmel jusqu'en 1979, avaient une politique sociale très avancée, notamment vis-à-vis des femmes, et avaient débarrassé les Afghans des contraintes religieuses. Ces gouvernements étaient à cet égard plus tolérants que l'Alliance du Nord d'aujourd'hui. Quant aux USA, à cette époque ils soutenaient les fondamentalistes islamistes, dans les rangs desquels se distinguait le jeune Saoudien Ben Laden.)

Aujourd'hui, Moscou n'est pas vraiment engagé mais contrôle la situation. Les Russes ont le soutien complet des Américains, trop contents de ne pas mettre le doigt dans le bourbier afghan, et prêts à tout pour éviter cet engagement, y compris à favoriser, involontairement, une mise en place du retour des Russes dans le pays. (La doctrine zéro-mort des Américains qui est en fait la doctrine d'un engagement physique minimal donne ses effets dans tous les sens. Ici, elle a des effets indirects en conduisant les Américains à limiter les risques autant que faire se peut pour éviter l'enlisement, en les poussant à favoriser les Russes, au bout du compte en risquant de perdre au profit des Russes une place régionale importante, et l'influence majeure en Afghanistan.)

Prochaine étape, l'Irak ?

La pression monte à Washington, maintenant qu'il semble acquis que la campagne en Afghanistan peut être considérée comme une victoire. On ne perd pas de temps à la célébration. Toutes les spéculations, toutes les interrogations sont tendues vers une seule question : qui, après l'Afghanistan ? La réponse est toute prête : l'Irak. On peut juger significatif l'article que publie Patrick Buchanan le 23 novembre, où il met le Sénat au défi de voter sur la question d'une guerre éventuelle àl'Irak ; significatif parce que, dans un premier article, en date du 16 novembre, le même Buchanan jugeait possible sinon probable une victoire de la fraction modérée autour du secrétaire d'État Powell àWashington, cette victoire impliquant une orientation de paix avec la recherche d'un accord israélo-palestinien et l'abandon de l'option d'une attaque contre l'Irak ; et (mais) dans un autre article, en date du 20 novembre celui-là, Buchanan était conduit à constater le contraire à savoir que l'action du lobby pro-israélien rendait bien improbable un succès de l'initiative Powell, c'est-à-dire le succès que lui-même, Buchanan, tenait pour probable quatre jours plus tôt. Cette évolution, rapportée en trois articles sur 7 jours, est significative parce que Buchanan, néo-isolationniste et anti-interventionniste, s'était rallié à l'idée de la guerre en Afghanistan en approuvant explicitement la politique de Powell. Des sources indiquent à cet égard que Buchanan serait en ce moment assez proche de Powell et on peut alors considérer qu'il est à cet égard, de facto, une sorte de relais médiatique du secrétaire d'État auprès de la droite républicaine méfiante vis-à-vis des engagements extérieurs.

Par cet exemple très significatif de Patrick Buchanan, on veut moins montrer l'orientation qu'aurait prise la politique washingtonienne (elle peut encore changer dans les jours, les semaines qui viennent), que la volatilité de cette politique washingtonienne. Derrière l'apparence de l'unité nationale, du patriotisme générale, de l'alignement derrière le président, la bataille est d'une férocité inouïe entre les modérés (avec Powell et des alliés divers, dont Buchanan est un exemple atypique) et les super-faucons (les neocons type-Wolfowitz et Richard Perle, avec des alliés divers également, dont le secrétaire à la défense Rumsfeld, qui est plus un manager-bureaucrate qu'un idéologue, mais qui se tient pour l'instant sur une ligne super-dure). L'enjeu de cette bataille est, bien entendu, une politique de guerre ou une politique de conciliation. D'autre part, le résultat qu'on pourrait constater demain, sur la question de l'Irak, ne préjugerait en aucune façon de l'avenir de cette même politique, avec des renversements encore et toujours possibles, àn'importe quel moment. Décidément, le maître-mot est bien la volatilité de la situation.

A Washington, le gouvernement n'est en fait dominé décisivement par aucune personnalité. Derrière la construction médiatique d'une stature de président pour GW Bush, celui-ci n'a aucune orientation sérieuse et s'en remet alternativement à l'une ou l'autre tendance. Contrairement à l'image d'assurance et de certitude qui a été construite depuis le 11 septembre, l'administration américaine et le monde politique washingtonien se trouvent dans des positions d'opposition et d'affrontement de plus en plus délicates et de plus en plus tendues. Au plus ces positions sont dissimulées derrière le consensus d'apparence, au plus elles ont de possibilités de s'affirmer brutalement et radicalement, lorsqu'une occasion quelconque le leur permettra.

Et pendant ce temps-là, sur l'autre front, la tension monte également

l'“autre front”, on l'a déjà dit, c'est le “front intérieur” américain. Et le “front intérieur”, aujourd'hui, c'est de moins en moins le terrorisme et c'est de plus en plus la dérive imposée au système judiciaire américain par les mesures prises par le gouvernement Bush. Désormais, on ne se cache plus pour affirmer que le risque qui est couru, c'est de voir le système juridique transformé en un instrument de coercition des libertés fondamentales, voire l'instrument d'un État-policier. On observe des changements significatifs, comme, par exemple, cet article de Geoff Metcalff, commentateur très écouté de la droite chrétienne, en date du 26 novembre,où Metcalff annonce, la mort dans l'âme, qu'il est obligé de prendre ses distances d'avec George Bush, à cause des lois promulguées qui mettent en cause les libertés fondamentales. De même, le sénateur démocrate Leahy, président de la Commission juridique du Sénat, a annoncé qu'il avait demandé à entendre le secrétaire à la justice Ashcroft pour lui demander des explications sur l'évolution du cadre juridique intérieur.

En fait, la situation est paradoxale. GW Bush n'est pas un dictateur, ni même un apprenti-dictateur. Son équipe est divisée. Les mesures prises le sont sous la poussée de la bureaucratie, qui croit ainsi répondre aux attentes du public. Ashcroft, le secrétaire à la justice, est décrit en général (par Robert Novak, le commentateur conservateur) comme « paniqué, affolé par les événements, et qui prend le maximum de mesures pour s'en préserver ». Ainsi on met assez vite en cadre qui pourrait devenir un cadre de répression policière et judiciaire, une sorte de bras armé pour un dictateur, fasciste ou pas, alors que les hommes politiques qui sont le produit du régime sont en général des démagogues affaiblis par leur dépendance de l'argent, liés à des techniques et à des raisonnement entièrement conditionnés par l'appareil médiatique, dans un contexte où la multitude des centres de pression, des pouvoirs, des forces d'argent, interdit la centralisation nécessaire à une dictature. Le résultat est une montée générale de la tension intérieure de tous les côtés et de toutes les façons, sans prolongement ni événement décisif qui soit directement généré par cette pression. La tension accumulée pourrait se libérer à l'occasion de l'un ou l'autre événement violent, de l'un ou l'autre choc, éventuellement étranger à la cause de cette tension mais procurant le biais nécessaire à son extériorisation.