Semaine du 10 au 16 juin 2002

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L'isolement marginalisée de Powell est une arme efficace au sein de l'administration GW

Ce n'est pas la première fois qu'il est question d'un départ de Powell (démission). La presse spécule sur la question, une fois de plus. Est-ce plus sérieux, cette fois ? On verra. (Sans doute l'intéressé lui-même aurait-il des difficultés à répondre à la question.)

Colin Powell semblerait être l'archétype du libéral-modéré américain (tel que les éditorialistes européens l'imaginent) coincé au coeur d'un tourbillon de surenchères maximalistes, tentant tant bien que mal de maintenir un cap raisonnable dans la tradition de modération du département d'État. Il y a une représentation héroïque de Powell, accentuée de façon non-dite (surtout non-dite mais tout le monde l'entend), certainement très puissamment, du fait qu'il est un Africain-Américain et le premier à occuper un poste de cette importance. Powell a toutes les vertus de l'héroïque défenseur du bon sens et de la volonté de coopération assiégés par le maximalisme ambiant, cela posé sur un cadre suggestif de multiculturalisme et d'atavisme raciste enfin vaincu. Cette image est quasi-universellement acceptée. Elle fonde en général l'appréciation politique qu'on a en Europe occidentale de son rôle et de son poids, en en faisant notamment une éventuelle garantie ultime, qui pourrait servir, à la fois d'honorabilité et de modération de la politique suivie par Washington.

« Gen Powell, who led US forces to victory in the Gulf war, is a towering figure in American politics. His domestic approval ratings top even those of Mr Bush. The Foreign Office and continental diplomats view him as the "moderate" and pragmatic face of a unilateralist Bush administration. "It's fair to say that Powell is the one we can do business with," said one British official.

La réalité washingtonienne de la position de Powell reflète également une intense bataille d'influence dans laquelle Powell a naturellement sa place et son poids, peut-être plus encore qu'une bataille entre modérés et maximalistes. Même si ces positions (modérés, maximalistes) ont une importance, celle-ci est surtout tactique et se place dans le cadre de la stratégie de la bataille pour le pouvoir. Cette bataille d'influence nourrit cette bataille bureaucratique si intense. Dans ce cadre, Powell est beaucoup moins isolé et faible qu'on le croit, parce qu'il est beaucoup plus soutenu par sa bureaucratie que, par exemple, ne l'est Rumsfeld par une bureaucratie du Pentagone très puissante mais divisée. (Par exemple, la bureaucratie militaire et les chefs militaires eux-mêmes sont plus que partagés à l'égard de Rumsfeld et de sa politique, et encore plus à l'égard des maximalistes civils du Pentagone, menés par Wolfowitz.)

La position et l'intensité de l'action de la bureaucratie du département d'État sont clairement apparues cette semaine avec la querelle sur le Moyen-Orient. Et l'on a vu que l'antagonisme était cette fois clairement dirigé contre la Maison-Blanche

« The trouble began on Monday when Mr Bush gave unequivocal backing to Ariel Sharon, the Israeli prime minister, and appeared to rubbish Gen Powell's proposed ministerial conference on the Middle East. "It totally undercut what we were trying to do and was very damaging," said a State Department source. "We have spent the rest of the week trying to reassure Arab nations that the president was misinterpreted." There was also considerable State Department anger directed towards Mr Fleischer.

On Wednesday, Mr Fleischer answered a question about whether Mr Bush supported Gen Powell's stance on a provisional Palestinian state by saying the president was "listening to a variety of people who have some thoughts to share". He added: "The secretary [Mr Powell] from time to time will reflect on the advice that he gets, and do so publicly. Which is his prerogative, of course."

Les dernières péripéties dessinent, à côté de la figure classique du modéré isolé au sein d'une administration extrémiste, la figure plus politique d'un Colin Powell luttant pour sa position politique, et représentant avec celle-ci un courant washingtonien important, y compris au sein du parti républicain, qui n'a personne d'autre que lui pour s'exprimer. Dans ce cas, les rumeurs de démission de Powell constituent autre chose qu'une évolution personnelle. Elles constituent une arme politique de Powell pour faire pression dans la bataille politique.

L'évolution de ces récents mois, qui ont montré un recul constant des positions politiques de Powell, ont également et paradoxalement renforcé sa position de solitaire marginalisée. Dans le désordre politique de l'administration, la position de solitaire marginalisée devient presque une position stable et une position d'ordre. Powell en use sans aucun doute pour assurer son influence. Jusqu'ici, Powell était détesté au sein du cabinet, pour ce qu'il représentait politiquement. A ce sentiment s'ajoute aujourd'hui une réelle crainte de sa possible influence politique, notamment au cas où il partirait, de la part d'une administration radicalisée et qui développe, entre autres paranoïa, celle de se trouver isolée à cause de cette radicalisation.

« [The]premature departure [of Powell] would be seen as disastrous by the White House, not least because he could become a powerful focus of discontent if he were outside the administration. The tensions between Gen Powell and senior figures such as Mr Rumsfeld have been exacerbated by the White House contradicting the State Department on key foreign policy issues.

» Officials at the Pentagon privately accuse Gen Powell of a tendency to "freelance" and consider himself the most important figure in the administration. »

En Tchéquie, la contre-révolution de velours sanctionne le désenchantement de l'après-Guerre froide

Aux élections du 17 juin, le parti communiste tchèque a remporté 41 sièges des 200 que compte le Parlement. A peu près 20% des votants ont voté communiste, ce qui représente, et de très loin, sa meilleure performance depuis la fameuse "révolution de velours" de novembre 1989. Le PC a obtenu plus du double du pourcentage de voix annoncé par les sondages. Le PC tchèque est aujourd'hui le troisième parti du pays.

« Yesterday's results showed the Communists took 41 seats in the 200-seat parliament, making them the third-largest party. But they are unlikely to be brought into a coalition government. The centre-Left Social Democratic Party is set to lead the next government after it gained 70 seats. The Right-wing Civic Democratic Party took 58 seats, fewer than expected.

» Vladimir Spidla, the Social Democratic leader, said yesterday he would hold talks with two centre-Right parties in an attempt to form a coalition that will take the country into the European Union, a move due in two years' time. »

Ce retour des communistes n'a aucune importance politique. Il s'agit simplement d'une étape symbolique, qui sera complétée au début de l'année prochaine par le départ de Vaclav Havel de la présidence. Il ne restera alors plus rien de la "révolution de velours" dont l'ancien dissident avait été le chef et l'inspirateur.

En 1989, la Tchécoslovaquie avait été, plus qu'aucun autre pays, le symbole de la fin du communisme, tout comme elle avait été à la fois le symbole de la résistance au communisme (les événements de 1968 du "printemps de Prague" jusqu'à l'invasion d'août 1968) et le symbole du dernier point de répression communiste de type stalinien (la "normalisation" d'après 1968, beaucoup plus communiste dans sa facture que les événements en Pologne dans les années 1980). Les élections de ce dimanche achève ce cycle, de façon discrète et piteuse. Le régime qui a suivi le communisme, après l'exaltation des premiers mois de libération, s'est conformé en tous points au modèle occidental, particulièrement pour le conformisme des positions. Havel s'est adapté sans la moindre hésitation, devenant rapidement une "vedette" de l'establishment occidental et adoptant une position d'un conformisme qui a peu de précédent dans la transformation d'un ancien rebelle (parmi ses positions mémorables, son soutien aux bombardements du Kosovo qu'il baptisa « bombardements humanitaires » et son pro-américanisme sentimental et débridé qui le conduisit à proposer que Madeleine Albright lui succède comme présidente de la Tchéquie). L'élection de dimanche n'étant une victoire pour personne, elle ne fait que mesurer en péripéties électorales et désaffection du public le caractère intense du désenchantement qui est la marque de l'après-Guerre froide.