RapSit-USA2021 : Gouverneurs en armes

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RapSit-USA2021 : Gouverneurs en armes

Un certain nombre de gouverneurs d’Etat (des républicains pour l’instant) ont réagi au discours de jeudi du président Biden sur diverses mesures limitant et contrôlant le port et la possession d’armes à feu. Les arguments contre cette attaque sur la question de la possession d’armes à feu sont connus : extension inappropriée relevant de l’abus de pouvoir du pouvoir fédéral, violation du Deuxième Amendement de la Constitution qui autorise expressément le port d’armes. Certains gouverneurs ont déjà signé ou vont signer une loi de leur État annulant la décision présidentielle.

Dans la matinée de jeudi, « Biden a présenté une série de décrets [“Executive Orders”] visant à réduire la violence armée et à renforcer le contrôle des armes à feu. Il a notamment demandé au ministère de la Justice de proposer une règle pour mettre un terme aux “armes fantômes”, c’est-à-dire aux armes à feu artisanales qui sont généralement assemblées à partir de pièces et fraisées à l’aide d’une machine à découper le métal, et qui n’ont ainsi pas de numéro de série permettant de les retracer.

» Une deuxième proposition de règle renforcera la réglementation sur les supports de stabilisation des pistolets, comme celui utilisé par le tireur de Boulder, Colorado, le mois dernier.

» S’exprimant depuis le Rose Garden, Biden a déclaré : “Aucun amendement à la Constitution n’est absolu... Dès le début, vous ne pouviez pas posséder l’arme que vous vouliez. Depuis le tout début de l’existence du deuxième amendement, certaines personnes n’étaient pas autorisées à posséder des armes. Il est donc tout simplement bizarre de suggérer que certaines des choses que nous recommandons sont contraires à la Constitution”. »

Les premières réactions enregistrées de gouverneurs (évidemment républicains) sont les suivantes :

• Nouveau projet de loi du gouverneur de l’Arizona, Doug Ducey, signé jeudi. Il s’agit d’une loi générale et radicale, destinée à bloquer « toute restriction fédérale contre le deuxième amendement dans l'État ».

• Dans le Tennessee, le gouverneur Bill Lee signe le même jour un projet de loi autorisant les habitants de l’État à porter des armes de poing, dissimulées ou visibles, sans permis nécessaire.

« J’ai signé cette autorisation constitutionnelle ce jour précisément [où Biden annonce son décret] pour signifier aux habitants du Tennessee et à tout autre qu’il n’existe [dans cet État] aucun obstacle à l’exercice de leurs droits [selon le Deuxième Amendement] », écrit Lee dans un tweet. « Remerciements aux membres de l’Assemblée générale de la législature et de la National Rifle Association, d’avoir aidé à obtenir ce résultat. »

• Le gouverneur de l'Oklahoma Kevin Stitt, a qualifié les plans de contrôle des armes à feu de Biden, d’« abus complet du pouvoir fédéral » et a promis une riposte sous forme de loi de l’État.

« Ce qui se passe à D.C. est désolant,  avec cet esprit partisan dont fait preuve le président.

» Notre mode de vie dans l’Oklahoma est quelque chose de précieux que j’entends protéger... Il y a des manigances en cours pour empiéter sur notre pouvoir et tenter de retirer leurs droits aux citoyens en Oklahoma. Nous croyons aux libertés et à la responsabilité personnelle et c’est ce que je défendrai en tant que gouverneur. »

• Le gouverneur du Texas Greg Abbott qualifie l’intervention de Biden de « coup de force libéral [progressiste] visant à nous priver de nos armes… 

« Nous ne permettrons PAS cela au Texas » écrit Abbott sur son tweet. « Le temps est venu de rédiger une loi faisant du Texas un État sanctuaire du Deuxième amendement et de la déposer sur mon bureau pour signature. »

• Pour le gouverneur de l’Alaska Mike Dunleavy, les décrets de Biden « ne sauveront pas de vies et n'arrêteront pas les criminels ».

• Kim Reynolds, gouverneur de l’Iowa, a écrit une longue tirade contre Biden et la situation du gouvernement fédéral, dépassant largement le cadre des seules lois sur la possession et le port d’armes :

« Je pense que la situation est hors de contrôle. Il est évident qu’ils ne peuvent pas faire passer leurs lois par le Congrès, alors Biden agit par décrets, de son propre chef, et il le fait à un rythme effréné. Je ne pense pas qu’il y ait eu un autre président dans l’histoire qui ait mis en œuvre un tel nombre de décrets que ce président a mis en œuvre aussi rapidement. C’est une hypocrisie complète de se présenter comme un unificateur et un président rassembleur des deux partis pour sauver ce pays, et d’agir comme il le fait. Il continue à diviser le pays et il le fait d’une façon provocante, avec tous ces décrets abracadabrants. »

On voit que, cette fois, encore plus qu’avec ses décrets concernant l’immigration illégale qui ne concernaient que les États-frontière, Biden a provoqué une réaction qui devrait s’amplifier et sans doute toucher les 27 États qui ont des gouverneurs républicains. Si l’on tient compte des positions des uns et des autres, on peut envisager qu’il s’agit du début d’une épreuve de force où le langage employé est celui de la sécession contre le pouvoir fédéral central.

Il y a effectivement deux aspects dans cette affaire : le cas lui-même de la possession et du port d’armes à feu, devenu extrêmement sensible pour les républicains (surtout les trumpistes et les populistes) qui soupçonnent le pouvoir démocrate de vouloir les priver de leurs armes pour mieux les contraindre à suivre une politique radicalement nouvelle en matière de mœurs, de droits, d’interférences dans la vie privée et associative, etc., – bref, tout ce qui caractérise le wokenisme. Au-delà, le deuxième aspect est celui de la prévalence des pouvoirs, celui des États sur leurs territoires, contre le pouvoir fédéral de DC sur tout le territoire de l’Union ; et, dans ce cas, le rôle capital des gouverneurs, déjà soulignés par nous à plusieurs reprises, est démontré.

En général, aux Etats-Unis et dans les pays à régime fédéral, ces affrontements sont contenus et contrôlés lorsque et parce que la situation politique est bonne au compromis, et les divergences mineures. On comprend que c’est, aujourd’hui, l’exact contraire, et la question de la possession et du port d’armes par les citoyens est “parfaite” pour opérationnaliser le conflit.

Plusieurs remarques peuvent alors être énoncées.

• D’abord, le rapport de cause à effet entre la vente libre des armes à feu et la violence (la délinquance et la violence “de masse”) n’est pas évidente. Le cas de la débudgétisation de nombre de polices dans les États et villes démocrates, la réduction de la présence de policiers armés, etc., suite de la campagne post-Loyd de caillassage des Black Lives Matter (BLM), conduisent à une explosion de délinquance ; bref, la réduction des armes à feu engendre évidemment l’accroissement vertigineux des délits, dont les crimes de sang. Tout cela situe l’atmosphère du débat, son ambiguïté, l’impossibilité de rapprocher les positions antagonistes.

• Si les États républicains promulguent des lois contredisant les décrets Biden, on va se trouver avec une Amérique divisée en deux, non plus symboliquement et psychologiquement, mais opérationnellement, dans la vie courante et la violence habituelle. C’est l’amorce d’une sorte de “séparatisme” (on aime bien ce mot en France) ou de sécession de facto, qui ne peut pas ne pas avoir d’effets au niveau de la politique nationale et de la situation intérieure déjà très tendue et fracturée.

• Les lois des États réduisant à néant sur leurs territoires les décrets de Biden, l’effet de ces décrets devient nul en théorie (selon une interprétation favorable aux États). En effet, ce qui importe d’abord (et ce qui est le but ultime des démocrates), c’est l’acquisition libre d’armes à feu : qui ne peut acquérir une arme en Californie peut aller en acheter une en Arizona.

• D’où une première série de questions fondamentales qui se posent, ouvrant la catégorie des questions porteuses de tous les conflits possibles. Quelle est le loi qui a prévalence : celle du gouverneur ou celle du président ? Faudra-t-il aller devant la Cour Suprême, et quel parti perdant dans cette affaire acceptera une décision de la Cour Suprême, si celle-ci accepte seulement de statuer ? (Éventuellement, cela peut activer les projets démocrate de refonte complète de la Cour, dont nombre de républicains estiment que ce serait un cas majeur de guerre civile.)

• Il y a aussi des questions fondamentales au niveau opérationnel. Faut-il envisager des “frontières” entre les États de tendance différence, pour surveiller la possession d’armes ? Les organismes de surveillance et de répression fédéraux, comme le FBI, pourraient-ils intervenir dans les États qui se sont prononcés contre les décrets Biden, pour les y faire appliquer ? On ne voit pas un gouverneur ayant fait voter sa loi anti-Biden accepter cela, sinon à se mettre dans une position intenable dans son État ; et voit-on Biden, appuyé par les hordes wokenistes, reculer devant de telles violations de son autorité et de son programme ?

Les scénarios vont à l’infini, dans ce pays où la Constitution est extrêmement vague quant à la prévalence des différents pouvoirs. Parmi les très nombreux conflits qu’engendrent les décisions radicales de l’administration Biden, celles qui concernent les armes à feu occupe une bonne position pour, disons, mettre le feu aux poudres.

 

Mis en ligne le 10 avril 2021 à 16H00