Qui s’intéresse à ces “amis de la Syrie”-là ?

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Qui s’intéresse à ces “amis de la Syrie”-là ?

Le 9 août s’est tenue à Téhéran une conférence de la paix sur la Syrie, à l’initiative de l’Iran, et avec la reconnaissance de l’ONU puisque le secrétaire général de cette organisation y participait. Il n’y a pas eu un déluge d’intérêt de la presse-Système sur cette affaire ; cet intérêt va plutôt à la rencontre éminemment constructive à Ankara, le 11 août, entre Erdogan et Hillary Clinton, sur la livraison de missiles sol-air aux rebelles, donc à al Qaïda, sur les perspectives d’une possible “no fly zone” qui reviendrait à une intervention internationale en Syrie, selon les normes BAO, – illégale, arbitraire, déstabilisante et déstructurante, etc.

• La réunion de Téhéran a rassemblé – semble-t-il ou au moins, – 27 pays, ce qui n’est pas un mauvais résultat dans les conditions d’ostracisme et de la politique de terrorisation des USA pour tout ce qui concerne à l’Iran. Il y a été proposé l’établissement d’un “groupe de contact” sur la Syrie. L’agence iranienne SANA a donné un compte-rendu de la réunion (le 9 août 2012), mentionnant, elle, la participation de “plus de 30 pays”. AFP (via la chaîne TV 24 Heures, le 9 août 2012) met bien entendu l’accent sur des refus de participation (Liban et Koweit). Teheran Times donne, le 10 août 2012, l’identité des pays (et organisation) participants : «The meeting was chaired by Iranian Foreign Minister Ali Akbar Salehi, and delegates from Afghanistan, Algeria, Armenia, Belarus, Benin, China, Cuba, Ecuador, Georgia, India, Indonesia, Iraq, Kazakhstan, Kyrgyzstan, the Maldives, Nicaragua, Oman, Pakistan, Russia, Sri Lanka, Sudan, Tajikistan, Tunisia, Turkmenistan, Venezuela, Zimbabwe, and the United Nations attended the meeting.» (Pour notre compte et pour ce qui concerne cette liste, nous nous étonnerons accessoirement, sans autre élaboration sinon l’hypothèse d'un esprit malveillant d’une mission d’information pour les USA, de la présence de la Géorgie, ami intime des USA via Shalikachvili.) Sans donner de décompte complet, M K Bhadrakumar, dans son article développé ci-dessous, donne ces précisions sur les participants qui contredisent la liste mentionnée puisqu’on y trouve la Jordanie et la Palestine : «Again, the participation by Jordan, Iraq, Oman, Tunisia, Algeria, Sudan and Palestine from amongst the Arab League members stands out.» Il est manifeste qu'une certaine confusion sur l'identité des participants a été entretenue par certains, pour ne pas trop alarmer les amis du bloc BAO, ou encourir leur courroux.

• C’est donc surtout M K Bhadrakumar qui publie, le 12 août 2012, sur Indian PunchLine, un texte d’analyse intéressant. Il s’attache à la présence de deux pays qu’il connaît bien, le Pakistan et l’Inde, et situe la position de ces deux pays importants par rapport à la crise syrienne et à la “ligne BAO”.

«But Pakistan and India take the cake. Pakistan has taken the plunge, finally, coming out strongly supportive of the Syrian government. FM Hina Rabbani Khar’s decision to attend the conference was itself extraordinary. This was a conference that Turkey and Saudi Arabia boycotted and yet Pakistan wasn’t swayed by it.

»What explains the bold stand? One, Khar underlined the importance that Pakistan attaches to the sanctity of national sovereignty and territorial integrity, which is the core issue in Syria and in the situation currently surrounding Pakistan too. Two, Pakistan’s disquiet over the idea of ‘humanitarian intervention’ is obvious. Three, Islamabad has taken a stance which is in sync with the domestic public opinion. This last point is important, since Pakistan is a Sunni country and yet it abhors the sectarian feelings that Saudi Arabia — and Turkey indirectly — is injecting into the regional politics. The Pakistani stance at the forthcoming OIC meet that Saudi Arabia has convened on Wednesday in Mecca will be of interest.

»India’s decision to attend the conference and to depute an envoy from Delhi (unlike Russia or China, which were represented by their ambassadors in Tehran) is also striking. This comes within a week of India’s decision to abstain at the voting in the United Nations General Assembly over the resolution on Syria. To be sure, India has quietly but firmly underlined that it intends to follow an independent policy on the Syrian crisis. The point is, India would find itself in agreement with the statement adopted at the Tehran meet…»

• Concernant l’Inde, M K Bhadrakumar signale également les efforts de plus en plus efficaces de ce pays pour tourner l’embargo US sur le pétrole iranien d’abord, la participation du Premier ministre indien à la réunion importante des pays non alignés (Mouvements des Pays Non Alignés, ou NAM en anglais) à Téhéran à la fin du mois ensuite, enfin la rencontre bilatérale entre les deux ministres des affaires étrangères indien et cubain en marge de la réunion de Téhéran du 9 août, que le commentateur qualifie d’“extraordinaire” : «Even more interestingly, India and Cuba “emphasized the continued relevance of the Non-Aligned Movement in the current context of global relations and agreed to work towards the success of the forthcoming NAM summit in Tehran.” Can you read the writing on the wall?»

…Certes, autant pour l’Iran “de plus en plus isolé”, selon la phrase standard de la presse-Système, et qui le paraît effectivement quand on se contente de rendre compte du duo pacifiste et constructif des deux éclopés, Hillary et Erdogan. (Anecdotiquement, on notera que, comme au Caire elle avait eu droit à quelques tomates, Hillary a eu droit à Ankara à quelques pancartes hostiles. Il y a au moins un certain ordre des choses dans les réactions populaires.) La réunion de Téhéran, remarquablement ignorée par nos réseaux sophistiqués, semble, selon Bhadrakumar, avoir fait progresser l’attitude politique du sous-continent indien. L’exaspération vis-à-vis de la politique du bloc BAO, et particulièrement de la politique des USA, gagne régulièrement sur les comportements de soumission et d’alignement imposés par la variété des moyens de pression, de subversion, de corruption et de manipulation de la communication de cette politique.

L’Iran semble avoir déterminé qu’il lui faut riposter à la politique d’agression à laquelle il est soumis par les mêmes moyens d’influence et de communication, dont la réunion à Téhéran des pays du Mouvement des Non-Alignés (ils sont plus de 120), à la fin du mois, sera une nouvelle étape. L’intérêt pour l’Iran est que la catastrophe syrienne et l’agression déstructurante du bloc BAO dans ce cas constituent pour lui une excellente occasion d’affirmation, d’élargissement de sa propre influence, de déni spectaculaire de son isolement, qui concernent son propre cas (la crise du nucléaire iranien) en même temps. En se posant comme médiateur et organisateur de mécanismes pour tenter de réduire la force déstructurante de la crise syrienne, l’Iran desserre parallèlement l’étau où il se trouve contraint dans le cas de son nucléaire. C’est une parfaite illustration de l’élargissement et de l’interconnectivité des crises, essentiellement dans un processus de renforcement de ce que nommons la crise haute ; la logique de ce processus, pour les acteurs principaux de telle ou telle crise, est d’élargir leurs actions du domaine bilatéral où l’on se trouve soi-même engagé directement (cas de la crise du nucléaire iranien pour l’Iran) au domaine multilatéral où l’engagement devient indirect et où l’on peut se placer dans une position où sa propre implication n’est plus contraignante mais devient constructive.

D’une certaine façon, l’Inde épouse elle-même cette évolution, en évitant les entreprises, les engagements et les conflits trop directs et bilatéraux pour s’inscrire dans des mouvements plus collectifs. Jusqu’ici, l’Inde n’a pas eu une politique très audacieuse ni très courageuse à l’égard des diverses crises de la zone qui entrent dans le cadre de la crise haute, et M K Bhadrakumar a souvent dénoncé cette attitude. Cette fois, il est beaucoup plus laudateur pour son pays dans la mesure où l’engagement de l’Inde dans cette conférence s’accompagne d’actes encore mesurés mais déjà plus révélateurs (abstention à l’ONU sur le vote à l’Assemblée générale, rencontre avec le ministre des affaires étrangères cubain). Si l’Inde n’a encore rien fait de décisif, cette conférence de Téhéran, – et celle du Mouvement Non-Aligné à la fin du mois, où c’est son Premier ministre qui ira en personne à Téhéran, – lui permet, à risques moindres par rapport à ses relations avec Washington, d’engager des initiatives dans le sens d’une politique indépendante du flux BAO-USA, à la fois sans provocation mais pourtant dans une orientation très affirmée. La tactique est effectivement marquée par la prudence et ne sacrifie guère au panache mais elle n’en demeure pas moins effective et efficace, avec des résultats de plus en plus significatifs.

L’Inde n’est qu’un exemple, s’il est le plus important. Le cas pakistanais est également intéressant, venu d’un pays sunnite qui, jusqu’ici, prêtait une grande attention aux consignes des pays du Golfe qui l’ont souvent subventionné. Ces diverses évolutions, qui paraissent lentes dans les actes considérées mais qui sont rapides du point de vue chronologiques, contribuent de plus en plus à la formation de nébuleuses imprécises mais à tendance affirmée antiSystème. La crise syrienne, brouilleuse de cartes, révélatrices de dangers de déstabilisation et de déstructuration, joue un rôle central dans ces tendances au reclassement.


Mis en ligne le 13 août 2012 à 06H08