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9774• Un texte russe, présenté avec toute la solennité qui importe pour lui donner sa signification, qui envisage l’emploi du nucléaire par la Russie. • On le prendra notamment comme un avertissement solennel aux élites occidentales, écrit d’ailleurs sur un ton pessimiste qui indique bien le peu d’espoir qu’il soit entendu. • L’hypothèse est d’ailleurs présentée non pas comme conditionnelle, mais comme une fatalité nécessaire et inévitable, et comme un cas permettant, avec un peu de nucléaire, d’éviter la guerre totale. • Le texte est du professeur Karaganov.
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Voici un texte, un article d’une importance considérable, non pour convaincre ou critiquer, mais pour mesurer la gravité de la situation et le débat fondamental qui se déroule en Russie, – s’il n’est déjà tranché...
L’article est publié ce 14 juin 2023, par RT.com, avec un avertissement circonstancié qui permet justement de prendre la mesure de son importance. Il est délibérément édité, et présenté pour ce qu’il est, – comme une façon de dire : “Attention, voici où nous en sommes sur le voie d’une décision d’utiliser du nucléaire” ; et il présente une option qui prétend ajouter : il existe une possibilité d’utiliser un peu de nucléaire pour éviter l’affrontement total, porteur de la fin d’une civilisation, et peut-être de l’espèce humaine. Le titre, avec le nom de son prestigieux auteur, le professeur Sergei Karaganov, le dit parfaitement :
« En utilisant ses armes nucléaires, la Russie pourrait sauver l’humanité d’une catastrophe globale »
Nous le présentons sans prétendre une seconde prendre position sur le problème qu’il aborde ; la compréhension profonde de l’existence et des données du problème est ce qui nous importe par-dessus tout... Nous présentons d’abord l’introduction de RT.com, puis nous ajouterons quelques remarques, – disons “objectives”.
« Une décision difficile mais nécessaire obligerait probablement l'Occident à faire marche arrière, ce qui permettrait de mettre fin plus rapidement à la crise ukrainienne et d'éviter qu'elle ne s'étende à d'autres États.
» [Ecrit] par le professeur Sergei Karaganov, président honoraire du Conseil russe de la politique étrangère et de défense et superviseur académique à l'École d'économie internationale et d'affaires étrangères de l'École supérieure d'économie (HSE) de Moscou.
» Cet article a suscité un grand débat parmi les experts russes sur les armes nucléaires, leur rôle et les conditions de leur utilisation.
» C'est d'autant plus vrai que Sergei Karaganov est un ancien conseiller présidentiel de Boris Eltsine et de Vladimir Poutine, et qu'il dirige le Conseil sur la Politique Étrangère et de Défense, un think tank moscovite réputé.
» Certaines personnalités ont réagi avec consternation, tandis que d'autres se sont montrées moins critiques.
» RT a décidé qu'il serait bénéfique pour nos lecteurs de lire l'article dans son intégralité. L'article suivant a été traduit et légèrement adapté. »
On verra, en lisant ce texte, que toutes les finasseries et arguments concernant l’emploi ou pas du nucléaire “en premier” ne sont même pas évoquée. L’idée qui le conduit est celle d’une formidable pression des événements, dans lesquels chacun joue son rôle, où chacun accuse l’autre, etc. – tout cela finalement secondaire par rapport à l’extraordinaire importance de la décision envisagée.
Nous observons pour notre part certains facteurs et éléments objectifs, qui permettent de mieux apprécier l’importance du texte, sans porter pour autant le moindre jugement. Le texte lui-même est un fait intellectuel sinon opérationnel, et il faut l’apprécier comme tel.
Il est évident que ce n’est pas RT qui a pris la décision de publier, surtout de cette manière si solennelle. Pour le coup, il est temps de se rappeler que RT est une organisation “publique” russe, comme France24 en France. Par conséquent, la publication a été voulue par Poutine, – et cela justifiant notre titre “Poutine sort du bois”, parce qu’il décide de mettre sur la table l’enjeu final de la guerre.
On doit noter que la publication intervient le lendemain d’une séance d’information journalistique extrêmement fouillée et ouverte du président de la Fédération de Russie sur la “contre-offensive” ukrainienne. Poutine y a montré une extrême fermeté et proclamé que les résultats d’une semaine de bataille montraient un désastre pour les Ukrainiens et un échec terrible pour leur armement otanien.
Le texte du professeur Karaganov est extrêmement précis, notamment sur les conditions d’un éventuel emploi (avertissement pour permettre aux populations qui le désirent de fuir) et les effets sur l’opinion publique et les directions, notamment des pays amis, et particulièrement de la Chine. C’est tout ce qu’on veut sauf un “message secret”, une “menace voilée” ou une pompeuse “affirmation de puissance”. Les cartes sont dramatiquement posée sur la table, en insistant sur le facteur du “moindre des maux”.
On notera que cette interprétation dite du “moindre des maux” (un peu de nucléaire pour éviter la guerre générale) rappelle une démarche envisagée en 1944-1945 par certains experts US vis-à-vis de la bombe atomique, comme alternative pour éviter Hiroshima et Nagasaki : une démonstration dans un lieu désert (en mer, au large du Japon ?) de la puissance de l’arme pour éviter son emploi.
Le passage le plus inattendue et le plus insolite est celui où le professeur Karaganov habille l’armement nucléaire d’une dimension métaphysique et religieuse.
« J'ai passé de nombreuses années à étudier l'histoire de la stratégie nucléaire et je suis arrivé à une conclusion sans équivoque, même si elle n'est pas scientifique. L'avènement des armes nucléaires est le résultat de l'intervention du Tout-Puissant qui, consterné que l'humanité ait déclenché deux guerres mondiales en l'espace d'une génération, coûtant des dizaines de millions de vies, nous a donné les armes de l'Armageddon pour montrer à ceux qui avaient perdu la peur de l'enfer que l’enfer existait toujours. C'est sur cette peur qu'a reposé la paix relative des trois quarts de siècle écoulés.
» Mais aujourd'hui, cette peur a disparu. L'impensable en termes de dissuasion nucléaire est en train de se produire... »
Il faut se rappeler que de telles références étaient dans l’esprit des scientifiques de Los Alamos lors de l’explosion de la première bombe atomique, comme par exemple ceci écrit par Oppenheimer :
« Nous savions que le monde ne serait plus le même. Certains ont ri, certains ont pleuré. La plupart étaient silencieux. Je me suis souvenu d'une ligne du texte hindou, le Bhagavad Gita ; Vishnou essaye de persuader le Prince de faire son devoir et, pour l‘impressionner, prend son apparence aux multiples bras et lui dit : ‘Maintenant je suis la Mort, le destructeur des mondes’. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d’une façon ou d'une autre”. »
Plutôt que d’utiliser le titre original (« En utilisant ses armes nucléaires, la Russie pourrait sauver l’humanité d’une catastrophe globale »), nous présentons le texte sous sa forme la plus sobre et la plus neutre.
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Notre pays et ses dirigeants me semblent confrontés à un choix difficile. Il devient de plus en plus évident que notre affrontement avec l'Occident ne se terminera pas avec une victoire partielle, – et encore moins écrasante, – en Ukraine.
Même si nous libérons complètement les régions de Donetsk, Lougansk, Zaporozhye et Kherson, il s'agira d'une victoire minime. Un succès légèrement supérieur consisterait à libérer l'ensemble de l'Ukraine orientale et méridionale en l'espace d'un an ou deux. Mais cela laisserait une partie du pays avec une population ultranationaliste encore plus aigrie et bourrée d'armes, – une plaie suppurante, qui menacerait d'inévitables complications, comme une nouvelle guerre.
La situation pourrait être pire si nous libérions l'ensemble de l'Ukraine au prix de sacrifices monstrueux et que nous nous retrouvions avec des ruines et une population qui nous déteste en grande partie. Il faudrait plus d'une décennie pour les “rééduquer”.
“La paix est peu probable dans un avenir proche” : Voici ce que les experts russes pensent de la contre-offensive ukrainienne tant annoncée
Chacune de ces options, en particulier la dernière, détournera la Russie de l'indispensable déplacement de son centre spirituel, économique, militaire et politique vers l'est de l'Eurasie. Nous resterons bloqués sur une focalisation inutile sur l'Occident. Les territoires de l'Ukraine actuelle, en particulier ceux du centre et de l'ouest, attireront des ressources, tant humaines que financières. Ces régions étaient déjà fortement subventionnées à l'époque soviétique.
Entretemps, l'hostilité de l'Occident se poursuivra ; elle soutiendra une guerre civile de guérilla à combustion lente.
Une option plus attrayante est la libération et la réunification de l'est et du sud, et l'imposition de la capitulation aux restes de l'Ukraine avec une démilitarisation complète, créant ainsi un État tampon et amical. Mais un tel résultat ne sera possible que si nous sommes capables de briser la volonté de l'Occident de soutenir la junte de Kiev et de l'utiliser contre nous, en forçant le bloc dirigé par les États-Unis à un repli stratégique.
Et j'en viens ici à une question cruciale mais rarement abordée. La cause profonde, – et en fait la raison principale – de la crise ukrainienne, ainsi que de nombreux autres conflits dans le monde, et de l'augmentation générale des menaces militaires, est l'échec catastrophique des élites dirigeantes occidentales contemporaines.
Cette crise s'accompagne d'un changement d'une rapidité sans précédent dans l'équilibre des pouvoirs dans le monde en faveur de la majorité mondiale, sous l'impulsion économique de la Chine et en partie de l'Inde, avec la Russie comme point d'ancrage militaire et stratégique. Cet affaiblissement exaspère non seulement les élites impériales-cosmopolites (le président américain Joe Biden et ses semblables), mais effraie également les élites impériales-nationales (comme son prédécesseur Donald Trump). L'Occident est en train de perdre l'avantage qu'il détient depuis cinq siècles de siphonner les richesses du monde entier en imposant son ordre politique et économique et en établissant sa domination culturelle, principalement par la force brute. Il n'y a donc pas de fin rapide à la confrontation défensive, mais agressive, que l'Occident a déclenchée.
Cet effondrement moral, politique et économique se prépare depuis le milieu des années 1960. Il a été interrompu par l'effondrement de l'URSS mais il a repris de plus belle dans les années 2000 (les défaites des Américains et de leurs alliés en Irak et en Afghanistan, et la crise du modèle économique occidental en 2008 en ont été les jalons).
Pour ralentir ce mouvement sismique, l'Occident s'est temporairement consolidé. Les États-Unis ont fait de l'Ukraine un punching-ball pour lier les mains de la Russie, la cheville ouvrière politico-militaire d'un monde non occidental libéré des chaînes du néocolonialisme. Idéalement, bien sûr, les Américains voudraient simplement faire exploser notre pays et ainsi affaiblir radicalement la superpuissance alternative émergente, la Chine. Nous avons été lents à agir de manière préventive, soit parce que nous n'avons pas réalisé l'inévitabilité de l'affrontement, soit parce que nous avons accumulé nos forces. En outre, conformément à la pensée politique et militaire moderne, principalement occidentale, nous avons été imprudents en relevant le seuil d'utilisation des armes nucléaires, imprécis dans l'évaluation de la situation en Ukraine, et nous n'avons pas entièrement réussi à lancer l'opération militaire actuelle.
En échouant sur le plan intérieur, les élites occidentales ont activement nourri les mauvaises herbes qui ont pris racine dans le sol de 70 années de prospérité, de satiété et de paix. Il s'agit d'idéologies anti-humaines : la négation de la famille, de la patrie, de l'histoire, de l'amour entre les hommes et les femmes, de la foi, du service aux idéaux supérieurs, de tout ce qui est humain. Leur philosophie consiste à éliminer ceux qui résistent. L'objectif est de stériliser les gens afin de réduire leur capacité à résister au capitalisme “globaliste” moderne, qui devient de plus en plus manifestement injuste et nuisible à l'homme et à l'humanité.
Pendant ce temps, les États-Unis affaiblis détruisent l'Europe occidentale et les autres pays qui en dépendent, en essayant de les pousser à la confrontation qui suivra l'Ukraine. Les élites de la plupart de ces pays ont perdu leurs repères et, paniquées par la crise de leurs propres positions à l'intérieur et à l'extérieur, mènent consciencieusement leurs pays à l'abattoir. En même temps, en raison d'un échec plus important, d'un sentiment d'impuissance, de siècles de russophobie, d'une dégradation intellectuelle et d'une perte de culture stratégique, leur haine antirusse est presque plus intense que celle des États-Unis.
Ainsi, la trajectoire de la plupart des pays occidentaux pointe clairement vers un nouveau fascisme, que l'on pourrait qualifier de totalitarisme “libéral”.
À l'avenir, et c'est le plus important, la situation ne fera qu'empirer. Des trêves sont possibles, mais pas de réconciliation. La colère et le désespoir continueront à croître par vagues successives. Ce vecteur du mouvement occidental est un signe clair de la dérive vers le déclenchement de la troisième guerre mondiale. Elle a déjà commencé et pourrait éclater en une véritable conflagration, soit par accident, soit en raison de l'incompétence et de l'irresponsabilité croissantes des cercles dirigeants de l'Occident.
L'introduction de l'intelligence artificielle et la robotisation de la guerre augmentent le risque d'escalade involontaire. Les machines peuvent agir en dehors du contrôle d'élites confuses.
La situation est aggravée par le “parasitisme stratégique” : en 75 ans de paix relative, les gens ont oublié les horreurs de la guerre et ont cessé de craindre même les armes nucléaires. Partout, mais surtout en Occident, l'instinct de conservation s'est affaibli.
J'ai passé de nombreuses années à étudier l'histoire de la stratégie nucléaire et je suis arrivé à une conclusion sans équivoque, même si elle n'est pas scientifique. L'avènement des armes nucléaires est le résultat de l'intervention du Tout-Puissant qui, consterné que l'humanité ait déclenché deux guerres mondiales en l'espace d'une génération, coûtant des dizaines de millions de vies, nous a donné les armes de l'Armageddon pour montrer à ceux qui avaient perdu la peur de l'enfer que l’enfer existait toujours. C'est sur cette peur qu'a reposé la paix relative des trois quarts de siècle écoulés.
Mais aujourd'hui, cette peur a disparu. L'impensable en termes de dissuasion nucléaire est en train de se produire. Un groupe d'élites dirigeantes, dans un accès de rage désespérée, a déclenché une guerre à grande échelle dans les bas-fonds d'une superpuissance nucléaire.
Ce n'est pas seulement, et même pas tellement, ce à quoi ressemblera l'ordre mondial futur qui se décide en ce moment dans les champs de l'Ukraine. Il s'agit plutôt de savoir si le monde auquel nous sommes habitués sera préservé ou s'il ne restera que des ruines radioactives, empoisonnant les restes de l'humanité.
En brisant la volonté de l'Occident d'imposer son agression, nous ne nous sauverons pas seulement nous-mêmes en libérant enfin le monde du joug occidental de cinq siècles, mais nous sauverons aussi l'humanité tout entière. En poussant l'Occident à la catharsis et à l'abandon de l'hégémonie de ses élites, nous le forcerons à reculer devant une catastrophe mondiale. L'humanité aura une nouvelle chance de se développer.
Bien sûr, il y a un combat difficile à mener. Il est également nécessaire de résoudre nos propres problèmes internes, – de se débarrasser enfin de la mentalité occidentalo-centriste et des occidentalistes de la classe administrative. En particulier les compradors et leur mode de pensée particulier. Bien sûr, dans ce domaine, le bloc de l'OTAN nous aide, sans le vouloir.
Notre voyage de 300 ans autour de l'Europe nous a donné beaucoup de leçons utiles et nous a aidés à former notre grande culture. Chérissons notre héritage européen. Mais il est temps de revenir à la maison, à nous-mêmes. Commençons, avec les bagages que nous avons accumulés, à vivre à notre manière. Nos amis du ministère des affaires étrangères ont récemment fait une véritable percée en qualifiant la Russie d'État civilisationnel dans leur concept de politique étrangère. J'ajouterais : une civilisation de civilisations, ouverte au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est. Aujourd'hui, le développement s'oriente principalement vers le sud, le nord et, surtout, l'est.
La confrontation avec l'Occident en Ukraine, quelle que soit son issue, ne doit pas nous détourner du mouvement stratégique interne – spirituel, culturel, économique, politique, militaire et politique, – vers l'Oural, la Sibérie et l'océan Pacifique. Une nouvelle stratégie ouralo-sibérienne est nécessaire, une stratégie qui comprend plusieurs projets puissants d'élévation spirituelle, y compris, bien sûr, la création d'une troisième capitale en Sibérie. Ce mouvement devrait faire partie de la formulation indispensable du “rêve russe”, – l'image de la Russie et du monde à laquelle on aspire.
J'ai souvent écrit, et je ne suis pas le seul, que les grands États qui n'ont pas de grandes idées cessent d'être tels ou disparaissent tout simplement dans le vide. L'histoire est jonchée de tombes de puissances qui ont perdu leur chemin. Cette idée doit être créée d'en haut et ne pas dépendre, comme le font les imbéciles ou les paresseux, de ce qui vient d'en bas. Elle doit correspondre aux valeurs et aux aspirations les plus profondes des peuples et, surtout, elle doit nous faire tous progresser. Mais c'est à l'élite et aux dirigeants du pays qu'il incombe de la formuler. Le retard dans la présentation d'une telle vision est inacceptable.
Mais pour que l'avenir devienne réalité, il faut vaincre la résistance des forces du passé, c'est-à-dire de l'Occident. Si nous n'y parvenons pas, il est presque certain que nous assisterons à une véritable guerre mondiale. Elle sera probablement la dernière du genre.
J'en arrive ici à la partie la plus difficile de cet article. Nous pouvons continuer à faire la guerre pendant encore un an, deux ans ou trois ans, en sacrifiant des milliers et des milliers de nos meilleurs hommes et des dizaines et des centaines de milliers d'autres déchets dans le piège historique tragique de ce qui est aujourd'hui l'Ukraine. Mais cette opération militaire ne peut se terminer par une victoire décisive sans contraindre l'Occident à une retraite stratégique, voire à une capitulation. Nous devons forcer l'Occident à abandonner ses tentatives de retour en arrière, à abandonner ses tentatives de domination mondiale, et le forcer à faire face à ses propres problèmes, à gérer la crise multiforme qu'il traverse actuellement. Pour dire les choses crûment, il est nécessaire que l'Occident aille tout simplement “se faire voir” et mette fin à son ingérence dans la direction de la Russie et du reste du monde.
Toutefois, pour que cela se produise, les élites occidentales doivent redécouvrir leur propre sens perdu de l'auto-préservation en comprenant que les tentatives d'épuiser la Russie en jouant les Ukrainiens contre elle sont contre-productives pour l'Occident lui-même.
La crédibilité de la dissuasion nucléaire doit être rétablie en abaissant le seuil inacceptable d'utilisation des armes atomiques et en progressant prudemment mais rapidement sur l'échelle de la dissuasion-escalade. Les premières mesures ont déjà été prises par le biais de déclarations du président et d'autres dirigeants, en commençant à déployer des armes nucléaires et leurs vecteurs au Belarus et en augmentant l'efficacité au combat des forces de dissuasion stratégiques. Il y a pas mal de marches sur cette échelle. J'en compte environ deux douzaines. On pourrait même aller jusqu'à avertir nos compatriotes et toutes les personnes de bonne volonté de la nécessité de quitter leur domicile à proximité des cibles d'éventuelles frappes nucléaires dans les pays qui soutiennent directement le régime de Kiev. L'ennemi doit savoir que nous sommes prêts à lancer une frappe préventive de représailles en réponse à son agression actuelle et passée afin d'éviter le glissement vers une guerre thermonucléaire mondiale.
J'ai souvent dit et écrit qu'avec une bonne stratégie de dissuasion et même d'utilisation, le risque d'une frappe nucléaire ou autre “en représailles” sur notre territoire peut être minimisé. Ce n'est que s'il y a un fou à la Maison Blanche qui déteste également son propre pays que les États-Unis décideront de frapper pour “défendre” les Européens et inviter à des représailles en sacrifiant un hypothétique Boston pour un Poznan fictif. Les Américains et les Européens de l'Ouest en sont parfaitement conscients, mais ils préfèrent ne pas y penser. Nous aussi, nous avons contribué à cette insouciance par nos déclarations pacifistes. Ayant étudié l'histoire de la stratégie nucléaire américaine, je sais qu'après que l'URSS a acquis une capacité de riposte nucléaire crédible, Washington n'a jamais sérieusement envisagé d'utiliser des armes nucléaires sur le territoire soviétique, même s'il a publiquement bluffé. Lorsque l'utilisation d'armes nucléaires a été envisagée, c'était uniquement contre les forces soviétiques “en progression” en Europe occidentale. Je sais que les chanceliers Helmut Kohl et Helmut Schmidt ont quitté leurs bunkers dès que la question d'une telle utilisation a été soulevée lors d'un exercice.
La descente dans l'échelle de l'endiguement-escalade devrait être assez rapide. Compte tenu de l'orientation actuelle de l'Occident, – et de la déchéance de la plupart de ses élites, – chaque décision prise est plus incompétente et plus idéologiquement voilée que la précédente. Et, à l'heure actuelle, il ne faut pas s'attendre à ce que ces élites soient remplacées par des élites plus responsables et plus raisonnables. Cela ne se produira qu'après une catharsis, qui conduira à l'abandon de nombreuses ambitions.
Nous ne pouvons pas répéter le “scénario ukrainien”. Pendant un quart de siècle, nous n'avons pas été écoutés lorsque nous avons averti que l'élargissement de l'OTAN conduirait à la guerre. Nous avons essayé de retarder les choses, de “négocier”, ce qui nous a conduits à un grave conflit armé. Aujourd'hui, le prix de l'indécision est d'un ordre de grandeur plus élevé qu'il ne l'aurait été auparavant.
Mais que se passe-t-il si les dirigeants occidentaux actuels refusent de reculer ? Peut-être ont-ils perdu tout sens de l'instinct de conservation ? Nous devrons alors frapper un groupe de cibles dans un certain nombre de pays pour ramener à la raison ceux qui l'ont perdue.
C'est un choix moralement effrayant, – nous utiliserions l'arme de Dieu et nous nous condamnerions à une grande perte spirituelle. Mais si nous ne le faisons pas, non seulement la Russie risque de périr, mais c'est très probablement toute la civilisation humaine qui s'éteindra.
Nous devrons faire ce choix nous-mêmes. Même nos amis et sympathisants ne le soutiendront pas dans un premier temps. Si j'étais Chinois, je ne voudrais pas d'une fin abrupte et décisive du conflit, car cela ferait reculer les forces américaines et leur permettrait de rassembler leurs forces en vue d'une bataille décisive, – soit directement, soit, dans la meilleure tradition de Sun Tzu, en forçant l'ennemi à battre en retraite sans combattre. En tant que Chinois, je m'opposerais également à l'utilisation d'armes nucléaires, car porter la confrontation au niveau nucléaire signifie intervenir dans une zone où mon pays est encore faible.
De plus, une action décisive n'est pas conforme à la philosophie de la politique étrangère chinoise, qui met l'accent sur les facteurs économiques (avec l'accumulation de la puissance militaire) et évite la confrontation directe. Je soutiendrais un allié en lui fournissant une couverture arrière, mais j'agirais derrière lui et n'entrerais pas dans la mêlée. (Dans ce cas, peut-être que je ne comprends pas assez bien cette philosophie et que j'attribue à mes amis chinois des motivations qui ne sont pas les leurs). Si la Russie utilise des armes nucléaires, Pékin le condamnera. Mais les Chinois se réjouiraient également de savoir que la réputation et la position des États-Unis ont été durement touchées.
Comment réagirions-nous si (à Dieu ne plaise !) le Pakistan attaquait l'Inde, ou vice versa ? Nous serions horrifiés. Nous serions contrariés que le tabou nucléaire ait été brisé. Alors aidons les victimes et modifions notre doctrine nucléaire en conséquence.
Pour l'Inde et d'autres pays de la majorité mondiale, y compris les États dotés d'armes nucléaires (Pakistan, Israël), l'utilisation d'armes nucléaires est inacceptable, tant pour des raisons morales que géostratégiques. Si elles sont utilisées “avec succès”, le tabou nucléaire, – l'idée que de telles armes ne devraient jamais être utilisées et que leur utilisation est une voie directe vers l'Armageddon nucléaire – sera dévalorisé. Il est peu probable que nous gagnions rapidement des soutiens, même si de nombreux habitants du Sud éprouveraient de la satisfaction à voir vaincre leurs anciens oppresseurs qui les ont pillés, ont perpétré des génocides et leur ont imposé une culture étrangère.
Mais en fin de compte, les vainqueurs ne sont pas jugés. Et les sauveurs sont remerciés. La culture politique de l'Europe occidentale ne se souvient pas, mais le reste du monde s'en souvient (et avec gratitude), de la manière dont nous avons aidé les Chinois à se libérer de la brutale occupation japonaise et de nombreuses colonies occidentales à se défaire du joug colonial.
Bien sûr, s'ils ne nous comprennent pas au début, ils seront d'autant plus incités à s'éduquer. Néanmoins, il est très probable que nous puissions gagner et concentrer les esprits des États ennemis sans mesures extrêmes, et les forcer à battre en retraite. Au bout de quelques années, nous deviendrons les arrières de la Chine, comme elle le fait actuellement pour nous, en la soutenant dans sa lutte contre les États-Unis. Ce combat pourra alors être évité sans qu'il y ait une grande guerre. Et nous gagnerons ensemble pour le bien de tous, y compris des peuples des pays occidentaux.
A ce stade, la Russie et le reste de l'humanité traverseront toutes les épines et tous les traumatismes pour entrer dans un avenir que je vois radieux, – multipolaire, multiculturel, multicolore, – et qui donnera aux pays et aux peuples la possibilité de construire leur propre destin en plus du destin commun, qui devrait unir le monde entier.