Portland, signe annonciateur ?

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Portland, signe annonciateur ?

Nous attirons l'attention de nos lecteurs sur cette nouvelle, dont nous donnons ici et par ailleurs le lien, et qui annonce le refus de la ville de Portland (Oregon) de coopérer avec le pouvoir fédéral sur la question de l'interrogatoire d'étrangers ou d'immigrants dans le cadre de la législation anti-terroriste. Ci-dessous, nous reproduisons l'essentiel de cette dépêche d'Associated Press du 21 novembre 2001, pour la cohérence de notre propos.

« The U.S. Attorney's Office in Portland asked city police for cooperation last week, acting police chief Andrew Kirkland said Tuesday (20 November). The request was denied because Oregon law says no one can be questioned by police unless they are suspected of being involved in a crime, he said.

» ``The law says, generally, we can interview people that we may suspect have committed a crime,'' Kirkland said. ``But the law does not allow us to go out and arbitrarily interview people whose only offense is immigration or citizenship, and it doesn't give them authority to arbitrarily gather information on them.''

» Portland is believed to be the first city to refuse to cooperate with the Justice Department in its anti-terrorism effort.

» Portland FBI (news - web sites) spokeswoman Beth Anne Steele said Tuesday she couldn't comment on the investigation. Justice Department officials were unavailable for comment Tuesday night.

» Charles Gorder, an assistant United States attorney in Portland, told The New York Times that the interviews would be completed, with or without help from local police. »

Importance de l'attitude de la ville de Portland

Nous proposons que l'importance de cet événement soit mesuré principalement d'après quatre points.

• Le premier point, et c'est un point central, est bien celui-ci : l'attitude de la ville de Portland est-elle une exception, voire un accident, ou bien le signe avant-coureur d'une attitude qui pourrait se répandre ? Par exemple, il sera intéressant de voir ce que feront, ou ne feront pas, les districts de Berkeley et de Oakland (Californie), qui ont élu à 85% la Représentante Barbara Hill, la seule parlementaire àavoir voté contre les pouvoirs de guerre pour le président, en septembre dernier. La question sur “l'accident ou le signe avant-coureur” est fondamentale pour la situation à venir. Pour l'instant, il nous est impossible d'y répondre.

• Il ne fait aucun doute que, si cette attitude de Portland renvoie au cas lui-même (les lois d'exception de l'administration), elle renvoie également au principe général, point beaucoup plus important, du droit des États et des collectivités face au centre fédéral. (Portland se réfère explicitement aux lois de l'État de l'Oregon.) Si l'attitude de Portland n'est pas un accident et fait école (les législations fédérales d'exception en cours d'application contredisent en de nombreux points diverses lois d'État), cet aspect de la situation aux USA peut devenir un point fondamental dans la mesure où il renvoie à une tension très réelle, existant depuis l'origine de l'Amérique, entre les pouvoirs des États et le pouvoir central. C'est-à-dire qu'au cas d'espèce de la question juridique de la lutte contre le terrorisme s'ajoute la référence aux conflit fondamental qui divise l'Amérique, qui s'est manifesté notamment pendant la Guerre Civile, du pouvoir local (schéma privilégié par Jefferson) contre le pouvoir centralisé (schéma soutenu notamment soutenu par Alexander Hamilton et finalement adopté). Dans le cas où ce conflit latent reviendrait à la surface, on se trouverait dans une situation extraordinaire où la lutte contre le terrorisme deviendrait secondaire en un sens, où elle deviendrait le détonateur qui aurait suscité la réactivation du déchirement originel de l'Amérique, des années 1787-88 aux années 1861-65 de la Guerre Civile. (On rappellera tout de même qu'en juillet 2001, après la décision US de ne pas suivre l'accord de Kyoto sur la lutte contre l'émission de gaz dans l'atmosphère et la décision du ''reste du monde'' de signer le Protocole sans les USA, la ville de Seattle avait défié l'autorité fédérale en annonçant qu'elle suivrait les critères de Kyoto.)

• Un troisième point à noter est la réaction prudente de l'autorité fédérale, qui annonce simplement qu'elle se passera de la coopération de l'autorité locale de la ville de Portland, alors qu'elle pourrait envisager de porter le conflit devant la Cour Suprême. (Dans le cas de Seattle-Kyoto, l'attitude de Washington avait été également d'ignorer l'affaire.) Cela signifie que le pouvoir central washingtonien ne veut pas dramatiser le débat ni risquer un éventuel conflit qui est potentiellement très grave ; et, bien sûr, ce même pouvoir espère bien que le cas de Portland restera un accident sans lendemain.

• Il n'empêche : même si Washington semble jouer l'apaisement, pour isoler l'''accident''-Portland, celui-ci reste, en soi, porteur de graves tensions (au contraire de l'attitude de Seattle vis-à-vis de Kyoto, surtout symbolique). En effet, il peut se présenter des cas très précis où un conflit pratique et concret pourrait naître entre Portland et Washington, par exemple si le gouvernement fédéral voulait intervenir sur le territoire de Portland à l'encontre d'immigrants ou d'étrangers. (On se trouvera dans un de ces cas de conflit potentiel qui pourrait également surgir entre les USA et l'Europe, par exemple si les USA demandaient l'extradition d'un suspect de terrorisme et si l'Europe refusait parce qu'elle craindrait que ce suspect soit soumis à des pratiques ou à des décisions, y compris l'éventuelle peine de mort, qu'elle repousse selon ses propres lois. Certains, aux USA, commencent à s'inquiéter de cet aspect de la situation, parmi eux le sénateur Leahy, président de la commission judiciaire du Sénat.)

Dans tous les cas, ceci est intéressant : l'affaire de Portland, accident ou signe avant-coureur, a l'avantage de nous rappeler dans quel contexte il est impératif de situer la crise du terrorisme et le bouleversement colossal qu'elle amène au niveau gouvernemental américain et au niveau des structures juridiques et policières des USA. Il s'agit bel et bien d'une interrogation qui concerne les USA même, leur conception du monde (et les conceptions antagonistes qui s'affrontent en leur sein), leur destin historique, enfin le fondement même de leur existence. Rien que pour cela, et quel que soit son destin, l'affaire de Portland est importante.