“Occuper Wall Street” ou “occuper les USA” ?

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C’est une étrange situation… A la fois dérisoire si l’on s’en tient à l’aspect quantitatif, à la fois remarquable du point de vue symbolique, et, d’une façon très significative, désormais en cours d’extension métastasique (terme à prendre d’un point de vue d’une image marquée par une inversion vertueuse : les “cellules infectées” qui s’étendent propagent une infection antiSystème). Il s’agit du mouvement “Occuper Wall Street”, que nous avions annoncé le 15 septembre 2011 pour le 17 septembre, et dont nous donnions quelques nouvelles le 21 septembre 2011, justement en insistant sur ce contraste déséquilibré entre l’aspect quantitatif dérisoire et l’aspect symbolique qui prend évidemment une signification qualitative. Le fait est que le mouvement se poursuit et, désormais, s’étend au travers d’autres actions de solidarité dans diverses villes des USA. Là aussi, le symbole importe d’abord, tandis que l’aspect quantitatif reste dérisoire (par exemple, l’“occupation” de la Federal Reserve Bank of Chicago a commencé avec quatre personnes, et ils sont maintenant 50)… Mais il y a l’indice d’un événement de plus en plus intéressant, avec la durée et l’extension métastasique, avec la force du symbole, avec la correspondance avec une situation si complètement en accord avec l’esprit de cette sorte de mouvement, – dito, “les indignés” certes...

• Pour mesurer cette extension métastasique vertueuse, on trouve dans RAW Story du 26 septembre 2011 un texte qui rend compte de divers mouvements solidaires de celui d’ “Occuper Wall Street”. (Le texte donne divers liens qui permettent d’aller vers des sites activistes ou vers des articles sur ces actions.)

«Small groups of demonstrators in major American cities have started their own "Occupy Wall Street" demonstrations and organizers are planning further actions in more cities across the United States...

»The protest spread to other cities over the weekend.

»A small group of “Occupy Los Angeles” demonstrators marched through the streets of downtown Los Angeles on Saturday to show their support for the protesters in New York City. “Corporate interests seem to be controlling both parties,” one protester told LAActivist.com. “The ‘little man,’ the ‘American every man,’ just isn’t getting their voice heard. When you need $35,000 to donate to a campaign to get your voice heard, to have a meeting, that’s not democracy.” "Occupy Los Angeles" protesters plan to begin a demonstration at City Hall on October 1. The "Occupy Los Angeles" Facebook page had nearly 2,000 likes as of Tuesday afternoon.

»Another demonstration popped up in Chicago over the weekend. Around 20 “Occupy Chicago” protesters gathered at Willis Tower, formerly known as the Sears Tower, on Friday and then marched to the Federal Reserve Bank. Some protesters have remained camped out in front of the Federal Reserve Bank of Chicago, and the organizers said the “occupation” had grown from 4 people to about 50.

»Other “occupation” protests are being planned for Detroit, Denver, Cleveland, Boston, Phoenix, Seattle, Kansas City, Philadelphia, and Washington D.C. The site occupytogether.org has been set up in hopes of coordinating the protests.»

• Diverses personnalités s’intéressent au mouvement et le soutiennent publiquement. C’est le cas de Noam Chomsky et de Chris Hedges. RAW Story rapporte, le 25 septembre 2011, la visite de Chris Hedges à Wall Street. Il a été paradoxalement, mais sans doute pas illogiquement, impressionné par les réactions des autorités, et notamment de la police qui a interpellé une centaine d’“occupants” de Wall Street durant le week end. Hedges : «The real people who are scared are the power elite. Of course, they’re trying to make you scared and us scared. But I can tell you, having been a reporter for the New York Times, that on the inside they’re very, very frightened. They do not want movements like this to grow, and they understand on some level — whether it’s subconscious or, in other cases, even overt — that the criminal class in this country has seized power.» (On peut ajouter dans le même sens, dans la même idée, l'article de Richard R.J. Eskow, sur Huffington.post le 26 septembre 2011. Se baladant dans Wall Street lors de la réunion du FMI, Eskow n'a pas vu beaucoup d'“occupants”, parce qu'il n'y en a pas beaucoup, mais .... «But Wall Street was “occupied” anyway [...] Wall Street is occupied... by fear -- of the public and of its anger.»)

• Le 25 septembre 2001, le New York Times a consacré un article à “Occuper Wall Street”, après être resté pendant une semaine d’une discrétion remarquable et fort élégante. Le ton de l’article est mi-figue mi-raisin, à la fois compatissant et légèrement sarcastique, en parlant d’un “mouvement noble mais fracturé et erratique, de jeunes gens dont on comprend la frustration mais dont les buts sont impossibles à déchiffrer”. Suivent certaines considérations à la fois prudentes et réalistes, dont celle-ci concernant le comportement de New York City en tant que telle, perçue comme très différent du comportement du public lors des événements de Madison, dans le Wisconsin…

«Members retained hope for an infusion of energy over the weekend, but as it approached, the issue was not that the Bastille hadn’t been stormed, but that its facade had suffered hardly a chip. It is a curious fact of life in New York that even as the disparities between rich and poor grow deeper, the kind of large-scale civil agitation that Mayor Michael R. Bloomberg recently suggested might happen here hasn’t taken shape. The city has two million more residents than Wisconsin, but there, continuing protests of the state budget bill this year turned out approximately 100,000 people at their peak. When a similar mobilization was attempted in June to challenge the city’s budget cuts, 100 people arrived for a sleep-in near City Hall.»

Rien ne se passe, dans les événements en cours, comme on pourrait raisonnablement le prévoir, ce qui est un signe finalement du sérieux de ces événements… “Occuper Wall Street” démarre par un échec (2.000 manifestants alors que les organisateurs en attendaient 20.000), semble être destiné éventuellement à se débander dans l’indifférence générale, insiste tout de même et installe ses quartiers d’“occupation”. La chose est complètement symbolique mais, comme nous l’avons écrit, le symbole compte essentiellement dans cette sorte d’action comme dans ces temps étranges… Nous ne sommes pas les seuls à le penser puisque, lors du week-end, la police a effectué plusieurs raids musclés, avec sans doute autant de policiers qu'il y a d'“occupants”, cela amenant l’interpellation d’une centaines d’“occupants”. Puis il y a les nouvelles d’autres mouvements similaires, “occupations”-symbole qui font peut-être sourire ou hausser les épaules dans un premier temps, qu’on regarde avec intérêt ou préoccupation dans un second regard. Les citoyens divers impliqués dans cette affaire utilisent-ils la recette inverse de l'habitude, de l’“insurrection par expansion” à partir d'un début très modeste, ou expansion dite métastasique, et cette fois au vrai sens de l’adjectif si l’on se place du côté du Système ? La manifestation de la colère commence par l’éclat symbolique, se poursuit par l’entêtement, finit par attirer l’attention sur elle. Même le New York Times, préoccupé de la bonne tenue de son manteau de vertu progressiste agréé par le Système, s’accorde tout de même pour consacrer un article à la chose.

Comme d’habitude, le journal fait des observations de bon sens qui n’ont guère de sens par les temps qui courent… Le mouvement est “fracturé, erratique”, et l’on a bien du mal à “déchiffrer” ses but ? Nous dirions, comme nous l’écrivions le 26 juin 2011 pour les “indignés” d’Athènes, que c’est là au moins un signe assuré de son intelligence intuitive, de sa justesse par rapport à sa réelle utilité éventuelle, voire de sa légitimité si l’on veut bien reprendre le terme déjà employé par nous le 21 septembre 2011. Il importe effectivement que cette sorte de mouvement ne joue pas selon les règles du jeu instituées par le Système, notamment en énonçant des revendications qu’il est facile, soit de ridiculiser, soit de promettre de rencontrer, soit de rencontrer au quart, au dixième ou au centième, – avec comme résultat essentiel d’étouffer la chose en la récupérant prestement. Les gens d’“Occuper Wall Street” sont du plus pur style des “indignés” divers, ils sont là où ils sont pour exprimer effectivement une “indignation” (puisque c’est le terme générique) qui ne se décortique pas en revendications précises et chiffrées. Le plus beau, ou le plus significatif c’est selon, c’est de constater que le Système semble, lui, avoir estimé que la chose pourrait devenir sérieuse, ce qui est manière de commencer à la rendre sérieuse. Il envoie donc sa police, signalant qu’effectivement il prend la situation au sérieux, qu’il en a une certaine crainte et qu’il confirme de cette façon, originale pour le cas mais sans surprise pour la méthode, la légitimité du mouvement “Occuper Wall Street”.

Hedges semble avoir compris ce dernier point lorsqu’il observe que les “élites” sont en vérité paniquées par cette sorte de mouvement ; qu’elles le sont d’autant plus qu’elles sont chargées elles-mêmes du poids de leur illégitimité, qu’elles ressentent inconsciemment ou pas («They do not want movements like this to grow, and they understand on some level — whether it’s subconscious or, in other cases, even overt — that the criminal class in this country has seized power»). Hedges termine sur un coup fort habile dans la classification du mouvement en affirmant qu’après tout, il ne s’agit pas d’un mouvement progressiste, ou disons “gauchiste” pour parler selon une dialectique qui risquerait de déclencher la nausée à Washington, mais d’un mouvement complètement “conservateur” : «Hedges went on to say that the protesters should be seen as “conservatives” because “they call for the restoration of the rule of law.”» Dans ce cas, effectivement, l’identification de “conservateur” signifie bien que le mouvement est marqué d’une réelle légitimité, puisqu’il est du côté de la restauration de l’ordre voulu par l’“esprit des lois” au sens le plus élevé de l’expression, cet ordre que le Système a complètement transgressé, déstructuré et dissous, en instaurant l’anarchie et le désordre de la corruption généralisée, de l’argent fou, de la perte totale des responsabilités par les élites. Effectivement, les bandits sont au pouvoir, et “Occuper Wall Street” a déjà largement mérité pour réussir à mettre cela si complètement en évidence. Plus que jamais, c’est bien la puissance du symbole. (Accessoirement, qualifier ce mouvement de “conservateur” permet de rendre possible d’éventuels rapprochements avec des mouvements d’“indignés” de la droite conservatrice, – y compris Tea Party, pour ceux qui savent comprendre exactement la signification antiSystème générale de toutes ces agitations.)

Nous attendons avec un intérêt non dissimulé la suite de l’aventure.


Mis en ligne le 27 septembre 2011 à 04H28

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