Notre définition (2) — Sommes-nous anti-américains? Ou anti-américanistes?

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Le 27 octobre 2002

[Nous poursuivons ici notre tentative de définition de dedefensa.org. Nous l'avions commencé dans un premier message, le 10 septembre 2002, qui était d'ailleurs annoncé comme le premier de cette tentative de définition. Nous parlions de notre “américano-centrisme”. Nous passons de cet “américano-centrisme” à la question de otre très probable anti-américanisme.]

L'Amérique, notre obsession ? Continuons.

Nous parlons à nouveau de cette question abordée le 10 septembre dans cette rubrique, en enchaînant les questions qui s'imposent au fur et à mesure : sommes-nous obsédés par les USA ? La réponse est positive, dans la mesure où les USA sont devenus, aujourd'hui, un phénomène obsédant de la vie des relations internationales. Au-delà : sommes-nous anti-américains ? Nous nous heurtons à un problème de sémantique, c'est-à-dire, malheureusement, et cela est bien le tribut de notre époque, un problème d'“image”.

L'expression d'“anti-américanisme” invite irrésistiblement à l'expression complétée de “anti-américanisme primaire”. On dirait que la première contient implicitement la seconde : qui est anti-américain ne peut être qu'“anti-américain primaire” (on connaît la suite, le verdict implicite qui accompagne le fait d'être “primaire”). C'est un débat complètement français, c'est-à-dire parisien, c'est-à-dire germanopratin ; et c'est un débat aussi vieux que le XXe siècle, car c'est le même qui accompagnait celui que soulevait nécessairement l'expression d'“anti-communisme” implicitement comprise dans les salons comme étant de l'“anti-communisme primaire”.

Voilà un des points de notre réflexion, essentiel par défaut ou a contrario. L'actuel courant de débat et de contestation de l'anti-américanisme en France, dans les salons et les rédactions parisiennes, est exactement de cette sorte : il tourne autour de l'aspect “primaire”. L'intelligence française hait les choses simples, c'est-à-dire les choses primaires ; l'idéologie des intellectuels français, qui sont évidemment les représentants les plus affirmés de l'intelligence française, dénonce toutes les attitudes politiques qui sont affirmées avec simplicité et répondent au jugement du bon sens. L'idéologie intellectuelle française a été, pendant trois-quarts de siècle, contre l'anti-communisme suspecté d'être primaire ; elle est aujourd'hui contre l'anti-américanisme, suspecté de la même tare.

La bataille se fait entre Français, les intellectuels idéologues contre les suspects, qui doivent être reconnaissables au béret basque et à la baguette. La dénonciation de l'anti-communisme primaire n'a jamais porté sur l'étude de l'URSS (savoir si l'URSS méritait cet anti-communisme), alors qualifiée de “patrie du socialisme” et de la défense des travailleurs ; elle se portait contre les Français qui faisaient profession de l'être (d'où le fait remarquable qu'il y en avait fort peu à s'affirmer tel, ce qui rendait la bataille plus confortable). Aujourd'hui, la dénonciation de l'anti-américanisme primaire ne porte pas sur l'étude des USA (savoir si les USA méritent...), aujourd'hui qualifiés de “référence démocratique” et de patrie des libertés ; elle se porte contre les Français qui ..., etc.

Quant à nous, qu'allons-nous faire dans cette galère ? C'est simple, rien du tout. Le débat français sur l'anti-américanisme, parce qu'il est franco-français selon le terme consacré, parce qu'il ne s'intéresse pas à ce qui est pourtant son objet fondamental, parce qu'il s'intéresse à son nombril (l'intelligence française des intellectuels) et à rien d'autre, — ce débat-là ne nous intéresse pas vraiment. C'est la même bigoterie du temps du soi-disant “anti-communisme primaire” qui est en action.

Nous tenons par contre à notre question de sémantique. Et là, simplement, d'une façon “primaire” si l'on veut, nous allons nous définir.

•  Nous ne sommes pas anti-américains, dans le sens où c'est être contre des personnes au bout du compte, les Américains, contre une communauté, celle des Américains peut-être. Se définir par rapport à une hostilité systématique contre des personnes, une catégorie de personne, etc, n'a aucun sens sinon celui du barbare.

• Par contre, sans aucun doute, nous faisons professions d'anti-américanisme ; et alors, nous sommes anti-américanistes et pas anti-américains, dans la mesure où nous nous opposons à un système qui se nomme “américanisme” ; un système et nullement une idéologie mais un système qui secrète une idéologie pour se justifier ; une mécanique, un phénomène systémique qui trompe les hommes et les soumet, qui dépasse l'Amérique, qui ne se réduit pas à l'Amérique, qui est, d'une certaine façon, le plus douloureusement ressenti par nombre d'Américains parmi les meilleurs.

C'est dans ce domaine, bien sûr, que se situe le plus grand enjeu de notre temps historique de rupture. C'est ce domaine qui nous intéresse.