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508323 février 2020 – Qui ne se rappelle de Russiagate, qui assura une exceptionnelle animation de la campagne présidentielle USA-2016, à peu près à partir de la fin du printemps 2016 ? Dès le 22 mai 2016, nous le baptisions “simulacre extrême”. Au reste, il ne nous a jamais tout à fait quitté, malgré l’énorme casserole qu’essuya le procureur spécial Mueller, enquêteur diligenté par le Congrès pour nous présenter le pot-aux-rose et qui ne parvint qu’à balbutier un simulacre crevé, puant et sans rien du tout, sorte d’outre vide défilant au fil de l’eau. Cela se passait en juillet 2019, ce qui impliquait que Mueller avait pédalé dans la semoule pendant près de trois ans, à coup de $millions du contribuable.
Mais les vieux simulacres, comme les vieux soldats (image fameuse de MacArthur dans son discours d’adieu au Congrès), « ne meurent jamais, ils s’effacent », – puis, beaucoup mieux que MacArthur et les “vieux soldats”, – abracadabra ! ils réapparaissent. Ainsi avons-nous aujourd’hui ce que nous désignerons commeRussiagate-II.
Il faut d’ailleurs préciser, pour mieux mesurer la solidité de la peau tannée du simulacre, que si la série des Russiagate est d’abord washingtonienne (version “D.C.-la-folle”), elle est également globalisée, dans l’univers typiquement-fantasy du bloc-BAO, parcouru régulièrement de secousses et poussées de fièvre antirussistes au rythme des sottises, maladresses, absurdités & Cie des élitesSystème, – qui doivent aussitôt rechercher un responsable qui ne soit pas d’eux-mêmes, et qui convoquent bien entendu Poutine.
Donc, – bien que Russiagate soit resté dormant avec un œil ouvert depuis la déroute de Mueller, on peut dire qu’il y a une “reprise” d’une belle tournure depuis le milieu de la semaine, – ce qui justifie d’un nouvel épisode de la série, en l’occurrence Russiagate-II. La “reprise”, c’est deux articles des deux quotidiens-phare du professionnalisme américaniste, et fer de lance de la mise à jour complotiste du complot russe : le New York Times (NYT) jeudi et le WashingtonPost (WaPo) vendredi.Les nouvelles sont tout simplement stupéfiantes, nous étourdissant devant le machiavélisme, l’imposture, la catastrophe morale dont les Russes font preuve : non seulement ils s’en prennent à Trump, mais également à Sanders, pour les faire gagner, tous les deux, – d’une certaine façon, enfin... Bref, on verra, mais c’est tout vu pour ceci : les Russes sont coupables. Les auteurs (les sources) de ces révélations sont évidemment anonymes, ils n’ont aucune preuve mais on croirait que cela renforce leurs confidences et l’on peut les croire d’un seul trait.
Nabojsa Malic, qui écrit sur RT.com (What else ?) à propos de cette sombre intrigue de haut rang et de haut vol, emploie les mots qu’il faut dans le début de son texte : Russiagate est l’objet d’un “culte”, c’est un “article de foi”, si vous mettez en doute ceci ou cela qui en est issu, vous serez “hérétique promis au bûcher”. Nous sommes en effet sur le territoire de la religion la plus intégriste.
« Les démocrates de l'establishment utilisent désormais les allégations d’“ingérence russe” contre leur propre aile progressiste en plus du président Donald Trump. [...]
» Moscou est maintenant censé aider Bernie Sanders dans l'élection présidentielle américaine de 2020, – si l’on en croit le “scoop” du Washington Post [de vendredi], d’origine anonyme. Ceci fait suite à aux affirmations du New York Times de la plume de partisans connus et également basées sur des sources anonymes.
» Dans l'esprit de la secte “Russiagate”, le Kremlin soutient Sanders soit pour faire réélire Trump, soit pour obtenir un président “socialiste”. Peu importe que la Russie ne soit pas socialiste, essayez d'argumenter qu’il n’y a eu précisément aucune preuve, – maintenant ou en 2016, – que la Russie ait soutenu un candidat américain, et vous verrez la tête de vos interlocuteurs exploser. Tout comme la fameuse “communauté du renseignement”, ils veulent y croire. C'est la seule façon d’expliquer le choc de la défaite d'Hillary Clinton face à Trump.
» Par des répétitions sans fin et des dénonciations paranoïaques, “l’ingérence russe” a été élevée au rang d'article de foi, et quiconque ose remettre cela en question ne peut être qu'un hérétique promis au bûcher. »
Sur l’attaque russe pour “aider” Trump, rien à dire de spécial : business as usual. L’attaque contre Sanders, c’est par contre du nouveau, du tout frais, extrêmement habile ; car, par une coïncidence extraordinaire, lorsque le WaPo publie son article,
1) l’on sait que Sanders est en tête et qu’il a la possibilité avec le Super Tuesday (14 primaires le 3 mars) de devenir inarrêtable et ;
2) l’on apprend que Jef Bezos, qui veut sauver le monde avec $10 milliards, aurait $9 milliards d’impôts annuel si Sanders gagnait et appliquait son programme, et donc qu’il (Bezos) ne pourrait pas sauver le monde.
Lisons néanmoins quelques remarques sérieuses concernant cette accusation nouvelle, qui a été transmise à Sanders par des officiers des services de renseignement, – excusez du peu, mais il s’agit de choses extrêmement sérieuses. Quant à Sanders, auquel tout le monde s’intéresse, une fois de plus il n’apparaît certainement pas sous son jour le plus glorieux.
• Bernie Sanders lui-même, avec un rappel de son passé impeccable depuis 2016 par rapport au DNC (Democratic National Commission, direction du parti, entièrement à la solde d’Hillary), – « loyal petit soldat du DNC », écrit Malic, – malgré la façon ignoble dont il fut traité : « Non seulement il[Bernie] a plié le genou devant Clinton après qu'il ait été prouvé qu’elle et le DNC s’étaient entendus pour le voler lors des primaires, mais il a également pris le train en marche du “Russiagate”, et a même essayé de l’utiliser cette semaine pour écarter des diffamations clintoniennes... »
• Et Bernie ne s’arrête pas là, car c’est un dur au vieux cuir tanné, et il est droit dans ses bottes en accueillant les informations des officiers de renseignement comme un message du bon Dieu sans confession et en mangeant avec respect les salades du WaPo dans les mains du journal de Bezos-CIA :
« Bien que le Post ait admis la plausibilité d’un démenti en affirmant qu’on ignore “quelle forme a pris l’aide russe” et en n’offrant aucun détail au-delà des affirmations génériques provenant de sources non nommées, le journal a néanmoins contraint le ‘socialiste démocratique’ déclaré à nier la réalité, indiquant qu’il[Sanders] a apparemment accepté le fondement de l’accusation comme un fait. “Je me fiche, franchement, de savoir quel président veut Poutine”, a déclaré Sanders au Post. “Mon message à Poutine est clair : restez en dehors des élections américaines, et en tant que président je m'assurerai que vous le ferez”. »
• On conviendra finalement que le jugement le plus respectable dans toute cette affaire est celui de Glenn Greenwald, d’un simple tweet :
« On est quasiment au niveau de la satire.
» Des agents anonymes des services de renseignements divulguent aux médias des affirmations sans preuves et totalement vagues selon lesquelles la Russie soutient les candidats qu’ils [ces agents] détestent, et nous sommes tous censés avaler cela sans critique en raison de leur capacité à dévoiler la vérité qu’ils ont démontrée dans le passé. »
Sanders est donc attaqué de tous les côtés, parce qu’il est en tête, parce qu’il est “socialiste”, parce qu’Hillary le déteste et ainsi de suite. Il n’a pas une attitude grandiose et son “socialisme” (voir ce qu’en pense WSWS.org) ne l’empêche pas de répondre “oui” à une question du Wall Street Journal “seriez-vous prêt à ordonner une frappe préventive contre la Corée du Nord ou l’Iran ?”. Mais qu’importe, finalement, si tout le monde frémit désormais au seul mot de “socialisme” alors que tout a été fait pendant quatre ans pour que se développe le simulacre nommé “socialisme”.
L’essentiel est qu’ils y croient tous, et toute la presseSystème, prise soudainement d’une nausée anti-Sanders, tous les oligarques, les gens de Wall Street, les 0,1%, la presseSystème, etc., tirent la sonnette d’alarme : Sanders-le-bolchévique ! Mais voilà, “Sanders-le-bolchévique” gagne, comme il l’a fait hier dans le Nevada avec une confortable avance, sous les applaudissements de... Donald Trump ; lequel Trump pense peut-être que c’est le candidat le plus facile à battre (pas sûr du tout, ni que Sanders le soit ni que Trump le pense), ou bien est-ce simple goût de la provocation avec l’instinct de solidarité des candidats étiquetés “hors-Système” assaisonné d’une tactique d’exaspération de cet establishment démocrate qu’il déteste, et qu’il voit dans une frénésie paniquarde devant les succès de Sanders... En trumpiste dans le texte, cela donne ceci :
« Looks like Crazy Bernie is doing well in the Great State of Nevada. Biden & the rest look weak, & no way Mini Mike can restart his campaign after the worst debate performance in the history of Presidential Debates. Congratulations Bernie, & don’t let them take it away from you! »
La victoire dans le Nevada suit le débat des candidats, deux jours avant, qui voyait l’entrée dans la course (mais non encore dans les élections) du milliardaire Bloomberg. Ce fut pour lui un véritable désastre au cours duquel il fut le punching-ball de rêve de tous les autres candidats, – si bien qu’on se demande 1) pourquoi il a tenu à participer au débat, et 2) simplement pourquoi il est candidat. Diverses théories s’échafaudent aussitôt, comme celle de Kit Knightly, de Off-Guardian.org, pour qui Sanders est là pour mettre en valeur les candidats centristes (Biden, Buttigieg, Warren) et les renforcer contre Warren. Cela nous paraîtrait tout de même un peu complexe et très surprenant de part des Pieds-Nickelés du DNC qui ne voient rien venir ; par ailleurs, le Nevada nous a montré que cela ne marchait paqs vraiment.
Le plus simple est de s’en tenir à l’argument de la panique de l’establishment, demandant à Bloomberg de jouer le rôle du sauveteur. Il s’avère que Bloomberg est un très mauvais candidat puisqu’il représente l’essentiel de ce que la majorité des démocrates rejette, peut-être bien y compris Hillary si c’est le cas puisqu’elle a tant travaillé pour se faire détester, – mais il a l’argument suprême du fric puisqu’il compte mettre plus d’un $milliard dans sa campagne, chose à laquelle le DNC ne peut pas résister.
Ce qui est remarquable, plusque tout dans cette campagne, c’est l'incohérence et l’illogisme des comportement, essentiellement dans le parti démocrate qui est sur la sellette, essentiellement de la direction du parti (le DNC et le reste) prise à son propre piège d’une radicalisation gauchiste anti-Trump. Le résultat, c’est un électorat démocrate chauffé à blanc, qui veut absolument rester sur sa ligne gauchiste maximaliste comme cri de ralliement de l’antitrumpisme. Bref, l’arroseur arrosé récolte ce qu’il a semé, pourtant attaché aux consignes des cris de guerre du progressisme-sociétal.
Il en résulte le paradoxe insensé que tout cela fait apparaître Trump comme un président stable, raisonnable et fiable, tandis que la haine de ses adversaires politiques n’a jamais été aussi forte et interdit toute approche rationnelle du problème... Et c’est ainsi, c’est-à-dire dans un désordre profond et sans le moindre équilibre du sens commun, que Russiagate-IIva se déchaîner.
• Comme on l’a dit, Russiagate-II servira contre Trump, dans la mesure où il s’agit de l’argument le plus facile contre lui, puisqu’impossible à confronter à aucune réalité, hors du territoire de la nécessité de la preuve puisqu’il s’agit de “culte” et de “croyance”, puisqu’il y a beaucoup plus de difficultés qu’attendues de trouver, dans le chef d’un parti démocrate enfoncé dans ses contradictions catastrophiques, des arguments impératifs contre Trump-président (contre Trump pris au sérieux comme président). Il faut dire que Trump a parfaitement préparé la mayonnaise extraordinaire de son désordre, jusqu’à l’imposer à ses adversaires au point qu’il devient difficile de lui reprocher le désordre auquel tout le monde adhère... Par conséquent, Russiagate-II, manipulation par Poutine, y compris à l’insu de son plein gré (celui de Trump), cela fait l’affaire.
• La nouveauté, c’est que Russiagate-II peut être appliqué à Bernie, – en tout bien tout honneur bien entendu, c’est-à-dire à l’insu de son plein gré. Il n’empêche, et notant que la phrase de Malic (« ...le Kremlin soutient Sanders soit pour faire réélire Trump, soit pour obtenir un président “socialiste”. Peu importe que la Russie ne soit pas socialiste... ») ne tient pas compte des obsessions américanistes, et notamment celle du communisme et de l’Union Soviétique, Russiagate-II peut parfaitement servir à impliquer Sanders dans une résurrection du communisme. (Les Républicains le désignent d’ailleurs comme un “commie”.) Poutine, qui fut officier du KGB et donc fonctionnaire de l’État soviétique, peut très bien être représenté en comploteur méditant de ressusciter le marxisme-léninisme sur le cimier tapissé de dollars du capitalisme de The Land of the Free, et manipulant Sanders dans ce sens. La caractéristique de Russiagate-II, comme le Russiagate originel mais avec plus de possibilités, est de pouvoir servir à peu près pour toutes les entreprises de déformation et de diffamation, et dans des sens complètement opposés.
Russiagate-II a aussi un effet stratégique fondamental sur ceux qui l’ont lancé et très rapidement structuré.
L’artefact dit-Russiagate est un exemple presque parfait de l’opérationnalisation du déterminisme-narrativiste. Il permet de préciser la définition de ce phénomène ; ainsi observe-t-on combien la rapidité et la puissance de la communication, disponibles selon les mœurs postmodernes et avec les moyens technologiques, d’un acteur, d’un centre d’intérêt et de pouvoir, d’un parti, etc., acculé au simulacre, emprisonne ce sujet dans le simulacre et le force à suivre le déterminisme aveugle de la logique du simulacre. Russiagate-II poursuit le simulacre dans de telles conditions, mais fortement accentuées et renforcées par rapport au Russiagate original, – car on n’arrête pas le progrès...
On observera que nous nommons la démarche qui est à la base de ces grandes tromperies suscitant le déterminisme-narrativiste, surtout concernant la Russie, surtout depuis la crise ukrainienne de 2014-2015 et les montages antirusses colossaux qui l’ont marquée, que nous nommons cette démarche “un simulacre” plutôt qu’“un mensonge”. La présentation qui en est faite, la structuration qui est aussitôt imposée par cette rapidité et cette puissance de la communication, nécessitent sans la moindre hésitation, presque comme un automatisme (automatisme pavlovien) une construction autour de ce mensonge, une architecture, un maquillage, un habillage, bref tout un paysage sinon un “monde différent” (“nouveau” ?). Il n’étonnera personne que la construction ainsi faite et aussitôt renforcée ait des allures de prison, d’une prison pour la psychologie et pour l’esprit, qui correspond au déterminisme qu’on a identifié. On ne peut plus échapper à la logique déterminé par le simulacre, sinon, en se sabordant absolument par l’aveu du mensonge originel, — d’ailleurs sans aucune certitude que ceux qui ont suivi ce simulacre dans l’exacerbation et le paroxysme de la croyance, de la foi, acceptent une telle abdication, – dès lors, sabordage inutile...
Par conséquent, on dira que l’effet de Russiagate-II, encore plus que le précédent, est d’enfermer les différents partis et acteurs en activité à “D.C.-la-folle” dans une réalité-simulacre. Cela implique la forte possibilité que ces gens se retrouvent en septembre avec la course finale vers l’élection , avec deux candidats manipulés par Poutine, – cette conviction, sans discussion possible, et au-delà de toute raison et hors de toute intuition, toujours en mode-pavlovien...
D’une façon plus générale, l’effet tactique essentiel deRussiagate-II, ce qui lui donne toute sa force et lui promet un bel avenir, c’est de permettre aux élites de tous bords à “D.C.-la-folle” de prendre la tangente, de “botter en touche” et d’éviter les vrais problèmes que ces élites savent insolubles dans leur chef, par rapport aux exigences auxquelles elles se soumettent. Cela permet “ de prendre la tangente, de ‘botter en touche’”, là où la guerre civile de communication se prépare à passer à une nouvelle phase, celle où des actes pourraient être posés, vers des issues de séparatisme et de néo-sécession. Le premier Russiagate était une épée pour attaquer Trump ; Russiagate-II est plutôt un bouclier derrière lequel les élites se passent leur mot d’ordre (“Courage, fuyons !”) en pointant l’habituel doigt accusateur vers l’habituel Poutine.
Le résultat sera, dès novembre prochain, voire dès l’ultime étape de la campagne, un immense désordre de plus, où plus personne ne reconnaîtra les siens à l’ombre de la Grande République complètement dépassée, un désordre multiplié par dix, par cent... 2020, c’est 2016 multiplié par dix, par cent...