Notes sur une crise nerveuse globalisée

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Notes sur une crise nerveuse globalisée

11 janvier 2015 – Jouons franc-jeu pour marquer la marche et l’évolution de notre réflexion. Pour une fois, nous donnons des détails de notre “cuisine intérieure”, mais ils aideront à mieux comprendre, c’est-à-dire à mieux nous faire comprendre... Au commencement, donc, c’est-à-dire d’abord, avant que le texte entamé nous conduise à ce qu’il y a de vraiment central dans notre pensée, nous avions pensé donner à cette analyse le titre de “Notes sur un champ de ruines qui bougent encore”. Là-dessus, nous précisions, comme entame de notre texte :

“... Après tout, dira-t-on, nous aurions pu écrire dans notre titre ‘... qui brûlent encore’ (‘Notes sur un champ de ruines qui brulent encore’), selon une analogie adaptée d’un autre titre plus fameux. Mais non, Paris ne brûle pas et une espèce de général von Choltitz pseudo-barbu et postmoderne-traditionnaliste n’a pas suivi les ordres d’un pseudo-Adolf des sables qui aurait mal compris les consignes en confondant les armes livrées par la CIA avec les $millions distribués par la maison Saoud. Les ruines ‘qui brûlent encore’ sont dans l’esprit et dans le cœur des sapiens placés devant le déchaînement du Système, – ou de la Matière, comme aime à rappeler un site de notre connaissance.” ... ... Ainsi passions-nous, dès le début de la réflexion, des événements eux-mêmes à la psychologie et à l’esprit de ceux qui ont perçu ces événements.

... Ainsi, par la logique du texte qui se développe d’elle-même, sommes-nous conduit effectivement à cette pensée centrale de la “crise nerveuse”, non pas produite par nous pour l’image, avec un soupçon de légèreté qui ne peut être de mise, mais pour figurer comme un terme clinique, sur un terrain pathologique. Il s’agit d’une crise nerveuse, d’une nervous breakdown comme ils disent, d’une psychologie affreusement contrainte et malade, touchée par une dépression sans fond, avec des pics terribles de maniaco-dépression dont les réactions massives et même globalisées de ces derniers jours sont la réalisation. (A cet égard, on confirmera bien entendu le rôle également massif des “réseaux sociaux”, mais rien d’étonnant  ; nous avons déjà dit et ne cessons de le redire que le principal terrain, l’enjeu, l’arme et le but de la bataille sont tous ensemble la communication, – et au-delà, la psychologie.)

Le caractère “globalisé” de la perception et de la réaction de la population humaine (française + du Rest Of the World) à ces événements a pris des dimensions tout à fait extraordinaires. Ce phénomène nous invite à considérer quelque chose comme une pathologie de la psychologie du monde, dont chacun ressent les effets dans sa psychologie propre et à sa façon, et selon sa façon de percevoir et de voir, et nous-mêmes pareillement bien entendu.

La crise du Système fichée en-dedans nous

Paris, la France, le bloc BAO, le Rest Of the World, la modernité devenue postmodernité, notre civilisation devenue contre-civilisation vivent des jours d’une intensité sans beaucoup d’exemple et finalement tragique. Mais la tragédie porte encore plus sur le rapport entre les actes et la perception-réaction à ces actes ; la disproportion est absolument singulière et extraordinaire entre les événements tels qu’ils sont dans la réalité d’une part, la perception qu’on en a et les réactions que l’on montre d’autre part. D’ores et déjà, – et c’est le thème général, l’hypothèse intuitive qui englobent cette réflexion, – cela signifie que la crise d’effondrement du Système est fichée au cœur du plus intime de notre être, dévastatrice, impitoyable, sans égard pour rien d’autre que ce qu’elle représente comme événement formidable ; sans égard pour la logique historique qui prévalait jusqu’alors tant bien que mal, qui voulait qu’à l’énormité considérable de telle ou telle agitation des sociétés dans des périodes extraordinaires correspondissent des événements d’une ampleur aussi grande qui expliquât cette agitation, et d’une ampleur assez grande qui justifiât cette agitation.

Mais l’ère psychopolitique règne et la communication règle tout, répandant le feu et les flammes dans les psychologies d’abord et presque exclusivement. La logique historique est désormais placée sous l’empire puissant de la métahistoire L’événement se fait à partir d’en-dedans nous, et tout se passe comme si nous le percevions et y réagissions collectivement avant qu’il n’ait lieu si bien qu’on pourrait croire qu’il ne serait pas nécessaire qu’il ait vraiment lieu, avec l’hypothèse que cette réaction concerne la crise d’effondrement du Système bien plus que l’événement en question qui n’en est, parfois par des voies incroyablement tortueuses et sans apparente logique de cause à effet, que la simple représentation. Alors, au lieu de l’événement, le désordre et l’hyper-désordre...

Nous parlions, le 8 janvier 2015 d’une “guerre globalisée” en prenant soin d’écarter le terme de “guerre globale” avec sa proximité avec “guerre mondiale” : «Il s’agit aussi de la confirmation que, dans notre époque crisique de désordre et d’hyper-désordre, la vérité de la situation ne peut être définie que par cette observation : notre époque est une guerre globalisée (plutôt qu’une “guerre globale” comme on dit “guerre mondiale”), et nul par conséquent n’y échappe.» Il faudrait, pour affiner la pensée, encore plus préciser combien cette notion de “guerre globale” doit être intimement mariée, fondue jusqu’à la complète transmutation en une seule chose avec la notion de “désordre et d’hyper-désordre”, – avec la nuance fondamentale d’inversion entre “désordre” et “hyper-désordre”, comme explicitée dans notre texte du 17 décembre 2014, dans le paragraphe «Du désordre global à l’hyper-désordre global». Cette situation de désordre global/hyper-désordre global est la véritable source de la terreur qui englobe et enflamme nos psychologies, et elle a soudain éclaté à l’occasion des événements que l’on sait en France ces derniers jours, où ces terribles ingrédients que sont la communication et le symbole ont soudain rencontré le feu des armes et le sang des êtres.

De l’inexplicable à l’intuition haute

Bien, – nous n’avons encore rien expliqué, – mais pour la raison excellente qu’il n’y a pour l’instant, à ce niveau, rien à expliquer, dans tous les cas selon la méthode rationnelle de l’analyse. On n’explique par le désordre pouvant devenir hyper-désordre, on le constate. On n’explique pas ces foudroyants emportements de la psychologie dépressive dans des éclairs d’émotion et d’exaltation collectives traduits par des comportements symboliques et incantatoires, on peut tout juste tenter de les mesurer.

Ensuite, on cherche à passer, disons “à l’étage au-dessus”, là où les choses prennent un sens, en faisant le ménage avec la “doctrine” de l’inconnaissance et en ouvrant le champ à l’intuition, pour tenter d’atteindre à l’“intuition haute”.

Célébration du “11-septembre à la française”

«Un “11-septembre à la française” ?» disions-nous en guise de titre ce même 8 janvier 2015, après avoir d’abord choisi “un 11-septembre français ?”. Par bonheur, nous avons échappé au pire puisque ce titre (sans point d’interrogation, conviction-Système affichée) fut celui du Monde le lendemain. Il y a en effet quelque chose de grotesque dans les faits considérés quantitativement, dans le parallèle entre l’événement évoqué (le 9/11 initial), sa puissance, sa force tellurique, et les événements parisiens et français, puis à l’échelle globale dans un enchaînement de communication, de ces trois ou quatre derniers jours ... Mais dans les esprits et dans les cœurs, par contre, le parallèle est plus supportable, sinon bienvenu. Le symbolisme, grandi jusqu’à l’extraordinaire par la communication, explique cela, dans tous les cas pour la partie opérationnelle du propos.

Encore faut-il répéter la nuance : le “11-septembre à la française” est celui de notre chute poursuivie et accéléré tandis que le 9/11 initial, sinon initiatique, était celui de l’envol trompeur de la surpuissance du Système (encore une citation, – qu’on nous pardonne) … : «Il s’agirait alors d’un “11-septembre” (plus du bloc BAO que de la France) de l’après-9/11, un “11-septembre” né d’une crise déjà déchaînée et non pas déchaînant une crise, un “11-septembre” revu par tous les avatars affreux et les incertitudes extraordinaires qui se sont accumulés dans nos esprits pressés comme l’est le ciel par un ouragan et dans nos psychologies tendues comme peut l’être un arc prêt à décocher sa flèche... Une logique implacable, cruelle et inarrêtable se poursuit.»

Ce dimanche, le président français qui reste le président-poire car la vérité de la situation persiste impitoyablement, a rassemblé les amis (Cameron, Merkel et une compagnie considérable, – et Porochenko comme cerise sur le gâteau) pour honorer de leur présence le grand, l’immense rassemblement parisien marquant solennellement la chose, – la résolution, l’unité, l’affirmation civilisationnelle, la postmodernité. Pardonnez-nous si une autre image nous vient à l’esprit, un peu moins exaltante aujourd’hui à la lumière des vérités de situation, mais tout aussi significative dans la célébration de la politique transformée en affectivisme et étalant à pas lent son impuissance satisfaite à défaut d’être bien comprise. Il s’agit de l’image de Sarko-Cameron venus en Libye, dans la belle saison de 2011 et avec BHL dans leurs bagages, saluer devant une foule qui réagissait comme il convient le triomphe démocratique du peuple libyen appuyé par les armes de la liberté. (Et si vous voyez, en évoquant la situation infernale où se trouve la Libye aujourd’hui, un lien de cause à effet entre les deux symboles, ne vous en privez pas, mais en sachant bien que nous ne sommes pas encore à “l’étage au-dessus, là où les choses prennent un sens”.)

Ces braves gens que sont nos dirigeants-Système, pressés de toutes parts, sont venus, ce dimanche à Paris, pour diverses raisons dont certaines, – surprise, surprise, – pourraient être tenues pour fort honorables. Ils sont là également par nécessité de conformisme, par automatisme de l’affirmation européenne à l'extension élastique(Porochenko aussi, on ne sait jamais), par solidarité d’une sorte d’angoisse quelque peu colorée de panique prestement dissimulée devant le constat diffus qu’il se passe quelque chose d’extraordinairement inhabituel qui est peut-être également insaisissable, hors de leurs autorités, hors de leur compréhension. Enfin, certes, ils sont là par habitude de la démarche de la récupération de l’opinion publique qui est aussi électorale, parce qu’il faut toujours songer à récupérer le sable qui ne cesse de vous glisser entre les doigts. Leur gloire assez terne et quelconque semblerait un instant se justifier aux yeux de ceux qui conservent certaines illusions, – juste un instant de leur pauvre vie. Enfin, tout cela ne fait qu’anticiper sur des événements selon la conformité qu’ils voudront bien observer, c’est-à-dire si les événements se déroulent comme prévus. (Ce texte, avec ce passage, est écrit avant le grand rassemblement, involontairement mais finalement d'une façon bienvenue, – dans tous les cas, il est comptable de la façon dont se déroulera ce rassemblement.)

Le piège du Big Now

Mais que dire, enfin, des derniers événements franco-parisiens ? On dira ce qu’il faut dire et qu’on ne peut éviter de dire, que les morts sont les morts et qu’ils méritent le respect du à cette immense inconnue de notre vie qu’est la mort. Il y a donc ce fait brut : les morts de ces quelques jours, comme il y a les morts des autres jours, des autres temps, des autres “guerres”, avec toutes les variantes possibles de la morale-juge, – et ainsi, sans fin, la cohorte des malheureux, des innocents, des martyrs, des sacrifiés, des oubliés, – et même des assassins exécutés ou des bourreaux assassinés. Brisons-là ce débat sans fin et sans véritable clef parce que la mort est quelque chose d’au-delà de notre propos et de notre tentative d’analyse, et passons à l’essentiel de ce qui est à notre portée, de ce qui fait notre “désordre-hyper-désordre”.

Pour le bien-fondé de notre réflexion, il nous importe absolument de sortir du Big Now, cet “éternel présent” totalement imposteur (voir le 29 janvier 2014) qui fascine comme le sifflement du serpent et paralyse les mémoires pour les réduire à l’“événement-éternité” du jour, sans passé, sans avenir, sans rien... Car les événements de ces derniers jours en France font partie de ce Big Now, quel que soit le parti qu’on prend, – qu’on soit “je suis Charlie” ou qu’on soit “je ne suis pas Charlie même si je déplore la mort de Charlie”, etc. Nous devons alors considérer qu’une prise de position qu’on croit ferme et significative dans cet ordre des choses représente, d’une façon ou l’autre, l’acte de se jeter la tête la première dans le piège sempiternel que le Système a repris à son compte après avoir établi le désordre de sa surpuissance qui interdit de prendre un parti selon les normes courantes et les conceptions convenues sans se trahir soi-même d’une façon ou d’une autre. Ce piège du Big Now distille dans les esprits le poison du désordre ... Or, nous voulons observer, jauger, apprécier ce désordre en le tenant en-dehors de nous-mêmes autant que faire se peut, et nullement en être la proie alors que nous formons notre jugement.

Ainsi en sommes-nous venus au désordre dont nous parlons souvent. Ce qui caractérise le désordre aujourd’hui en France, soutenu par la communication et le symbolisme en mode globalisé, c’est le tourbillon insensé des idéologies animées encore plus par l’émotion brute (l’affectivisme) que par les passions elles-mêmes. Ce sont les idéologies “sociétales” ou assimilées, où les faits deviennent symboles, où les conceptions sont enfermées dans des exigences de comportement, comme si le sapiens, de créature créée devenait créature créatrice d’elle-même. Ce sont des idéologies de la rage parce qu’elles sont nécessairement irréalisables, – elles sont faites pour cela, dans le but affiché d’être irréalisables pour enfermer l’esprit dans le carcan terroriste de l’idéologie pure. Elles ont été créées, inventées s’il le faut, – immigration, islamophobie, multiculturalisme, terrorisme, “choc des religions”, mœurs révolutionnées, – pour s’intégrer dans cette époque exceptionnelle d’après-9/11 et justement la rendre exceptionnelle dans le sens de l’enfermement de l’esprit. Elles enferment notre avenir dans des exigences qui nous confrontent à l’impossible. La surpuissance du Système manie fort bien le phénomène, s’il même il ne l’engendre, pour poursuivre son déchaînement. Mais tout cela ne crée rien de stable, exactement le contraire, puisque la surpuissance du Système engendre son autodestruction ; l’enfermement de l’esprit devient instantanément désordre de l’esprit, et le Système a raté son coup, surpuissance-autodestruction...

L’annonce des catastrophes apocalyptiques

Le désordre règne dans les esprits, effectivement, et dans les esprits qui se veulent les plus rationnels, y compris ceux qui se situent dans les idéologies les plus strictes, les plus impératives et les plus structurées. Nous prenons un exemple concret qui nous vient d’un site que nous n’hésitons pas à citer sans partager une seconde son idéologie, mais simplement parce que le besoin impératif de rationalité militante impose aux trotskistes purs et durs une logique absolument intransigeante. Il s’agit du site WSWS.org, le 10 janvier 2015, où Alex Lantier fait de la réception à l’Elysée de Marine Le Pen (après tous les autres représentants des autres partis) “un tournant dans la politique française avec des conséquences d’une très grande importance” ... «A party closely associated since its foundation in 1972 with the worst crimes of European fascism in the 20th century is being elevated to the status of a legitimate, even indispensable component of French political life.»

Outre le caractère un peu vite expédié du jugement ainsi développé sur le FN, sur ce qu’il fut et sur ce qu’il est devenu, il y a dans cette logique de fer ainsi développée une sorte de désordre considérable qui est bien la marque de ce que nous observons. En un mot, c’était Hitler, un Hitler postmoderne puisque de sexe féminin, que ce jour-là le président français accueillit sur le perron de l’Élysée ... La dictature institutionnalisée est en marche et, avec elle, le germe promis à vite grandir de la liquidation (on veut bien vous accorder que ce sera plutôt la déportation que l’extermination) des musulmans en France : «Under these conditions, the entire French ruling class has begun to play with Le Pen, much as the German bourgeoisie played with Adolf Hitler before Marshal Paul von Hindenburg handed power to Hitler in 1933. Leading strategists of the French bourgeoisie are coming to view violent conflict with France’s Muslim population as inevitable.»

Nous ne disons pas que tout ceci est absurde, que cette prévision ou cette évaluation est absurde, etc., parce qu’à ce point où tout le monde subit plus ou moins la pression du Système nous refusons la “logique” de la “raison” basée sur l’“expérience historique” qui sont rassemblées dans la narrative, – imaginez ce que valent logique, raison et expérience historique dans ce cas ; nous préférons pour en juger la voie de l’intuition. (Voir le 9 janvier 2015). Nous disons que la pression que subissent notre psychologie et donc notre raison au bout du compte (raison-subvertie, cela va de soi) nous conduisent à concevoir des événements à venir ou des événements non-existants qui doivent être à la mesure de cette pression. D’où l’énormité catastrophique, voire apocalyptique des événements les plus évidents. Ce n’est pas l’esprit qui parle, c’est la psychologie enfiévrée et touchée par une pathologie imposée par le Système, et influant l’esprit dans ce sens, qui s’exclame et rugit ...

La force de notre besoin de crise

Alors, puisque la pression du Système en surpuissance et l’influence terrible de la communication et du symbolisme pèsent tant sur notre processus de pensée si celui-ci s’en tient à la perception d’une psychologie dans l’état où on la décrit quand elle accepte de s’en tenir à cette pression, nous poursuivons sur la voie de l’intuition en espérant qu’il s’agira de l’intuition haute. Cette démarche nous conduit à conclure que cette séquence extraordinaire qui nous est donnés et que nous avons tenté de décrire s’explique en vérité, – pour nous, vérité de situation surgi à nouveau en un éclair (il y a déjà eu des passages de cette force), – est que notre besoin de crise est quelque chose d’extraordinaire aujourd’hui. Nous parlons de cette crise d’effondrement du Système en train de se faire, dont nous attendrions qu’elle se réalise dans des événements conformes à cette sorte de phénomène, – comment faire pour qu’enfin elle éclate selon notre conception de la réalisation d’une crise ... Le Mystère, ou l’énigme si l’on veut un mot moins exigeant, est donc bien en-dedans nous comme nous l’écrivions plus haut (“L’événement se fait à partir d’en-dedans nous, et tout se passe comme si nous le percevions et y réagissions collectivement avant qu’il n’ait lieu...”) ; il n’est nullement dans les événements du monde tels que nous les percevons, que nous ne percevons plus comme ils sont ou comme ils semblent être, que nous transformons après leur avoir donnés la mission du symbole lui-même...

Pour la chronique, cette idée qui est celle de l’intuition n’est pas nouvelle sous notre plume. Il y a déjà des occurrences où nous avons évoqué ce “besoin de crise”, ou “besoin de paroxysme” dans le cas cité ... Par exemple, en août 2013, lors de la “crise du chimique syrien”, lorsque nous écrivions le 25 août 2013 : « ... D’où notre hypothèse du “besoin de paroxysme”, qui place la situation et les réactions des dirigeants des pays du bloc BAO sur le terrain psychologique, dans le domaine d’une sorte de réflexe conditionné dans le cadre d’une situation qui les dépasse et exerce sur leurs psychologies une pression constante et contraignante. Dans cette hypothèse, le “besoin de paroxysme” devient un développement opérationnel de rupture, comme si tout pouvait s’achever et s’accomplir avec une attaque brutale, dans une sorte de spasme libérateur... [...] La question centrale est évidemment de savoir d’où vient ce “besoin de paroxysme”. Poursuivant notre hypothèse, nous avançons cette explication qu’il s’agit d’un besoin de psychologies qui subissent une pression extrême du fait des crises sectorielles sans fin...»

Ben entendu, le cas et les circonstances sont différents, puisque cette fois ce “besoin de paroxysme”, ou “besoin de crise” a affecté la population elle-même, les dirigeants-Système suivant le flot. Mais l’on ne fait pas de différences en cette occurrence, puisque la seule chose qui importe est la charge nouvelle de pression qu’exprime à chaque fois la psychologie collective, à un niveau ou l’autre de l’arrangement social. Il faut comprendre que ces différentes occurrences ne constituent pas seulement des spasmes dont le poids disparaît une fois le paroxysme passé, mais une addition de pressions spasmodiques qui s’empilent, se renforcent, font progresser encore plus ce “besoin de paroxysme”/“besoin de crise”. Cette fois (les événements français des derniers jours), on peut mesurer, par la facture extraordinaire de la perception avec un événement grandi démesurément, par l’ampleur démesurée de la réaction, combien cet empilement de pressions a conduit à des psychologies enfiévrées jusqu’à être chauffées à blanc.

De “récupération” en “récupération”

Plus haut, nous parlions de “récupération” dans le chef des excellences réunies à Paris ce dimanche. En vérité, ce ne sont pas les hommes politiques qui sont en cause, comme toujours à la dérive des événements et à la godille lorsqu’il s’agit de survivre, et réagissant selon les consignes de leur direction de la communication. C’est le Système qui veut “récupérer” l’émotion qu’il a imposée comme politique pour laisser libre cours à la surpuissance de sa politique-Système… Mais aussi et surtout, selon un processus bien connu (voir par exemple les suites du “besoin paroxystique” de crise en Syrie cité ci-dessus), sur le terme assez court et à cause des circonstances à la fois contradictoires et nécessairement faussaires, la dynamique antiSystème elle-même devrait se mettre en place à son tour pour son propre travail de “récupération”.

La vague d’émotion est globale. Elle englobe la planète entière, à l’image de l’organisation du monde et elle est nécessairement liée à toutes les autres crises dépendantes de la Grande Crise d’effondrement. Elle rejoint le “tout est dit” du philosophe allemand Heinz Wismann que nous rapportions le 8 janvier 2015. «[Wismann] élargit aussitôt son propos pour constater qu’il ne s’agit pas d’une cause (l’islamisme radical, l’immigration et l’islamophobie) mais d’une composante sinon d’une conséquence d’une situation bien plus vaste qui est, elle, une cause, sinon la cause fondamentale. Il s’agit alors de l’universalité déstructurante forcée de la globalisation, qui affecte réellement les populations de pathologies dépressives ou maniaco-dépressives, à cause de l’angoisse de l’insécurité, du désarroi identitaire, de la désintégration des références structurantes, – et dans cela, tous, chrétiens, musulmans, juifs, laïcs et les autres unis dans la même tragédie de l’“atomisation” d’une société globale jetée dans l’individualisme imposée par la globalisation. Au moins, l’essentiel était dit, même si l’on ramenait constamment Wismann et le débat aux obsessions françaises actuellement en pleine expansion.»

Cette globalisation est un fait extraordinaire initié par le Système, accompli par le Système et dont le Système s’est saisi par l’intermédiaire de ses directions-Système. Il y a donc une poussée-Système pour profiter de cette vague d’émotion. Mais cette poussée-Système ne fait que mettre en valeur le caractère apparemment incompréhensible de l’événement par les comportements et les réactions extraordinaires qu’on a mises en évidence. La poussées-Système révèle la crise de la psychologie collective et accélère, rend tragique au fond la nervous breakdown globalisé à laquelle on assiste. Le champ est ouvert pour une contre-offensive de l’antiSystème qui devrait comprendre d’instinct que l’émotion soulevée par les derniers événements dissimule à peine le profond désarroi de la société humaine désintégrée par l’action du Système.

L’étrange destin français

Enfin et avant de conclure, il s’agit de consacrer quelques remarques rapides mais qui sont lourdes de substance historique sinon métahistorique, dans le fait que ce soit la France qui soit l’épicentre d’un tel phénomène qui semble complètement l’enfant et le serviteur du Système, et qui a pourtant un potentiel et une signification sous-jacente antiSystème d’une puissance insoupçonnée. La France est, aujourd’hui, par le vertige de son angoisse sur ses propres conditions, le pays le plus apte dans le bloc BAO, – et, en général, hors du bloc, avec la Russie, – à réaliser l’ampleur et la profondeur des abysses où nous emmène le Système. Elle qui avait depuis l’inspiration gaulliste tout pour devenir l’inspirateur de l’antiSystème, elle qui a versé dans l’alignement-Système le plus bas depuis près de dix ans et qui, soudain, pourrait se révéler, par le biais d’un mouvement qu’il s’agit d’interpréter selon une logique d’inversion vertueuse, comme éventuellement à finalité antiSystème.

«Chaque nation, comme chaque individu, a reçu une mission qu’elle doit remplir. La France exerce sur l’Europe une véritable magistrature, qu’il serait inutile de contester... », écrivait Joseph de Maistre (considérations sur la France, 1796) à l’époque où l’Europe c’était le monde ; et terminant cette même phrase par ces mots qui résonnent étrangement, c'est-à-dire presque conformément et par une élégante prémonition au périple français actuel, résumé dans le précédent paragraphe : «...dont elle a abusé de la manière la plus coupable». Maistre parlait de la Révolution, et l’on peut en être assuré à la lumière tremblotante de leur pensée spontanée de type réflexe un peu pavlovien, il n’est pas la tasse de thé de centaines de milliers de vertueux “Je suis Charlie” (disons, pour ceux qui le connaissent), lui-même réduit par eux à la condition de “réac’” selon le langage en vogue à la Cour présentement. Il a pourtant raison contre tous, Maistre, d’abord parce qu’il les domine tant par la hauteur de son esprit et la puissante beauté de sa plume qu’ils ne sont même plus capable de l’apercevoir et ainsi laissés à leurs stéréotypes ; ensuite parce que, en vouant la France aux gémonies dans cette période si particulière, il ne disconvient pas une seconde dans le même élan de pensée que, sans elle, rien de grand ne peut être fait dans les envolées de la métahistoire.

L’idée survit jusqu’à nous et, malgré les extraordinaires bassesses auxquelles nous a conviés le couple Sarko-Hollande depuis 2007, la France semblerait soudain comme si elle gardait une potentialité d’exercer cette “véritable magistrature” sur l’Europe (sur le monde), qui serait de l’ordre de la communication, et qui serait nécessairement dans la voie de l’antiSystème. Ainsi, malgré les Français et leur président-poire, la France pourrait-elle se retrouver, dans l’imbroglio qu’on a décrit, et sans qu’elle s’en avise, et probablement par des voies qu'on qualifierait d'“impénétrables” selon la référence fameuse, parmi les forces inspiratrices centrales d’une dynamique antiSystème.

« Dieu est en réparation »

En guise de conclusion d’une analyse qui porte en elle-même l’évidence de sa conclusion, nous sacrifierons à quelques analogie historique et jeu littéraire. Il s’agit de fixer notre sentiment qui est, lui aussi et comme le reste, le produit de l’intuition bien plus que du reste.

Chacun connaît la phrase fameuse d’un officier de l’armée des États-Unis contemplant le “champ de ruines” de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, et observant pensivement puisque toujours assuré de l’exceptionnalité de la bannière étoilée : “Je suis sûr que nous allons gagner mais je me demande bien comment”. Alors, notre analogie, – une de plus, décidément, – serait de représenter le Système contemplant son œuvre, le “champ de ruines qui bougent encore” (selon le premier titre envisagé pour ces Notes d’analyse), et observant furieusement puisque pris d’une inspiration divine qui lui donne le don de la prémonition en le soumettant par le fait même à l’autorité qu’il conteste absolument : “Je suis sûr que je vais perdre mais je me demande bien comment”.

Le 6 janvier 2015, Houellebecq, sur la chaîne France 2, présentant son livre Soumissions à la veille des événements qu’on sait et ainsi se trouvant impliqué dans une polémique globalisée, constatait, mi-figue mi-raisin, songeur et se plaçant absolument hors de tout ce contexte religieux qui ne fait qu’alimenter notre désordre de basse-cour : «De plus en plus de gens ne supportent plus de vivre sans Dieu» ; il observait pareillement combien il est “de plus en plus lourd” de se dire partisan de la laïcité dans une telle époque, alors que la laïcité est de plus en plus brandie comme une arme de combat où elle se retrouverait nécessairement sous l’empire du Système... Alors, imaginons Céline, ricanant en pensant à sa phrase fameuse d’ouverture du Voyage au bout de la nuitDieu est en réparation»), et annonçant d’une voix d’outre-tombe, là où, paraît-il, l’on a les nouvelles les plus fraîches de l’opération en cours : “Paraîtrait qu’y sont proches de trouver la panne...”

 

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