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472012 septembre 2013 – Il y a deux mois à deux jours près, le 10 juillet 2013, nous consacrions des Notes d’analyse, essentiellement à la situation égyptienne, et au-delà, au trouble que cet événement provoquait dans le bloc BAO. Nous avions choisi comme référence symbolique la fameuse période russe du “Temps des troubles”, entre la fin du XVIème et le début du XVIIème siècle, la Smutnoye Vremya. Aujourd’hui, il nous semblerait que ce Smutnoye Vremya postmoderne a atteint le cœur de nous-mêmes, au plus profond de notre psychologie ... En effet, nous parlons moins d’événements brutaux, violents voire bouleversants, comme en Égypte il y a deux mois, mais bien plus de la profondeur de nos psychologies (ou de la psychologie de nos profondeurs).
Au reste, ceci ne contredit pas cela, et c’est bien du même Smutnoye Vremya dont nous parlons ... Ces troubles égyptiens renvoyaient, dans notre analyse, aux troubles du bloc BAO, les premiers étant la conséquence des seconds comme toute chose en ce monde secoué par les spasmes furieux et les incohérences pathologiques du bloc BAO en tant qu’instrument du Système. Cette fois, il ne s’agit pas d’une émeute devenue pseudo-révolution ou “coup d’État” on ne sait, comme en Égypte, mais bien d’un état d’esprit qui est presque un état d’âme. Il s’agit de l’anniversaire du 11 septembre 2001, date sacrée comme l’on sait, et le trouble est profondément américaniste ; c’est dire que tout cela est nôtre, puisque le bloc BAO, où l’Europe tient sa place indigne, c’est le Système, et que le Système n’a de meilleure expression opérationnelle que les USA et leurs actes, et de plus grand symbole que la date sacrée du 11 septembre 2001, événement métaphysique selon les arrangements du Système.
Ce 11 septembre 2013, le site du groupe McClatchy mettait en ligne un texte analysant ce qu’il nommait “le soulagement de l’Amérique à propos de l’attaque contre la Syrie dont elle ne veut pas”. Le premier paragraphe disait ceci, qui marquait la différence profonde de cet anniversaire par rapport à l’événement qu’il célèbre et au sentiment que cet événement doit susciter :
«America exhaled Wednesday, relieved that the United States has avoided military involvement in Syria at least temporarily. The relief – the opposite of the rally-round-the-flag emotion common to such moments – suggested that the country is entering a new post-Cold War, post-9/11 era, reluctant if not openly hostile to armed intervention in faraway lands.»
Le texte revient sur les événements courants autour et à cause de la crise syrienne, pour en rappeler les facteurs essentiels et en préciser les prolongements. La psychologie va plus vite, à cet égard, que les événements eux-mêmes, et notre interprétation ne peut que suivre. Le texte expose donc que, pour l’Amérique, l’état d’esprit est que l’intervention russe avec la proposition sur l’armement chimique constitue, qu’on le veuille ou non, l’abandon du projet d’attaque, et qu’ainsi s’explique le soulagement ; le texte expose encore que les conséquences politiques, le reclassement, va dans le sens du non-interventionnisme, voire d’un neo-isolationnisme, comme on en a vu tant de signes ces dernières semaines, et que cela est bien...
La conclusion de l’analyse est frappante, et si significative politiquement, et si forte symboliquement, par le biais d’une de ces anecdotes qui disent tout. Elle décrit, selon le témoignage d’un parlementaire, l’attitude d’Obama avant son discours de mardi. L’on voit cet homme, célébré pour son aisance, sa distance des choses, sa maîtrise de soi, son allant, sa nonchalance qui est une sorte de sûreté de soi presque arrogante, soudain réduit, rapetissé à l’incertitude, le désarroi et l’interrogation teintée d’angoisse.
«It’s a new world where muscle gets less support, and Obama is struggling to cope. When he met Tuesday with Senate Republicans before the address, Sen. Dean Heller, R-Nev., noticed that the president seemed different. He often appears more casual and confident, but this time, Heller said, Obama sat with his hands crossed. “I’ve never seen that,” Heller said. Obama’s message, said Heller, was clear. “He said, basically, give him room,” the senator said. “That’s all he asked.”»
C’est un nouveau temps où la force ne domine plus («It’s a new world where muscle gets less support...»), et l’étincelant Obama semble complètement désemparé s’il ne dispose plus de cet argument de l’“idéal de puissance”. Nous ne parlons pas d’événements et d’actes extraordinaires, puisque, depuis l’attaque chimique du 21 août en Syrie qui a tout pour être un montage, ont succédé des comportements et des projets essentiellement US qui sont également des montages sans concrétisation, jusqu’au plan russe qui est un montage pour démolir les montages américanistes. Nous parlons bien de psychologie : en trois semaines, s’il y a bien eu un événement, c’est le bouleversement (ou la poursuite et l'accélération du bouleversement) de la psychologie américaniste et la soudaine situation d’antagonisme entre cette psychologie et la volonté du Système.
Ainsi notre Smutnoye Vremya se révèle-t-il bien pour ce qu’il est : un événement psychologique, un “Temps des troubles” qui se caractérise par le bouleversement de notre perception du monde. Le problème est que le Système, lui, n’est pas d’humeur à accepter cette désertion.
Mais venons-en à la Syrie puisque, bien entendu, Syrie il y a...
Ce qui est absolument remarquable dans les derniers événements de Syrie, c’est l’accueil que fait le système de la communication au plan russe. Ici, nous ne parlons plus, ni des événements en Syrie, ni de la valeur du plan russe, ni de sa “faisabilité” (on en reparlera !), ni des positions politiques des uns et des autres (notamment du bloc BAO) autour de ce plan, mais bien de la perception qu’on en a eu et des réactions de communication accordées à cette perception. Là aussi, il s’agit de psychologie plus que de jugement.
Nous ressentons cela, notamment au travers de deux textes, de sources que nous connaissons. Ainsi pouvons-nous mieux apprécier la perception dont elles rendent compte directement ou indirectement, et le sentiment qui en découle, en nous référant à leurs habitudes et à leur qualité de travail. Le premier texte est du groupe McClatchy, et plutôt sous forme de reportage analytique, et il nous décrit le triomphe de la diplomatie russe, sinon la résurgence de la Russie comme “superpuissance” (Le 11 septembre 2013.)
»In one day, with one simply stated proposal, Russian President Vladimir Putin turned a losing position into a winning one. [...] Beyond halting the rush to punish the Syrian government for the alleged use of chemical weapons, the development cast Russia and its president, Vladimir Putin, as a global peacemaker and – experts say this is not to be overlooked – embarrassed an American administration.
»Marcel de Haas, a Russia expert at the Dutch Clingendael Institute, said the importance of this week’s diplomatic coup will last beyond the Syrian crisis. “The Russians were on the sidelines,” he said. “The Kerry statement didn’t just get them back in the game, it brought them back in a position of strength. Why did Putin push so hard for matters to be determined in the United Nations Security Council? Because there alone, two decades after the collapse of his Soviet Union, was he still a superpower.” New York Times columnist Bill Keller noted the irony on his blog this week. Through the chemical weapons proposal Putin “has recast Russia – whose military helped the Assad dynasty create its chemical weapons program in the first place – as the global peacemaker.”
»It’s a moment Putin has been waiting on for a while... [...] “Until now, he’s been cast in the role of the villain, and he’s tired of playing the villain,” noted University of Richmond Russia expert Stephen Long. “Russia was Syria’s biggest ally and an international obstructionist. And now they’re not.” [...]
»Haas of the Netherlands stated: “Russia looks like a peacemaker, but Assad will certainly continue his civil war. It’s just that he will butcher his people conventionally, and the world won’t care.” And, by pushing the Syrian war from crisis to diplomatic breakthrough, Putin’s reduced the pressure, probably ended the threat of an international military effort against Syria for the near future, and ensured the matter stays in the United Nations, where Russia has a veto.»
On observera que ce texte, relativement neutre et sans parti-pris, comme McClatchy sait faire, rapporte des opinions qui, elles, ne sont certainement pas celles de partisans de la Russie, tant s’en faut. Il y a une reconnaissance presque “professionnelle” de ce qui est perçu comme une grande victoire diplomatique, évidemment sans la réjouissance habituelle puisque c’est la Russie, et surtout avec ce froncement de sourcil si caractéristique de notre conformisme type droitdel’hommiste puisqu’avec la perception qu’avec la Russie c’est aussi la Syrie du monstre-Assad qui l’emporte. (Par exemple, Haas analyse l’événement comme “le retour de la superpuissance” [l’URSS devenue Russie] et en conclut, pour le cas qui nous occupe, que “Assad pourra continuer à massacrer son peuple avec des armes conventionnelles, et le monde ne s’en préoccupera pas”.)
Maintenant, voici Simon Tisdall, du Guardian, ce 11 septembre 2013. Tisdall est un bon commentateur, d’esprit assez indépendant, capable de critiquer les folies des engagements du bloc BAO ; mais il reste impeccablement de la tendance du bloc BAO, notamment dans son appréciation de la Russie, qu’il voit comme un adversaire impitoyable et de très basse morale, indigne de figurer parmi les civilisés. Ainsi son commentaire complète-t-il le précédent, pour confirmer cette perception, particulièrement chez les esprits les plus lucides du “camp BAO”, d’un triomphe russe et, par conséquent, d’une terrible défaite du bloc BAO (Ce “par conséquent” n’est nullement une évidence. Il est le produit d’une perception du monde basée sur la seule loi de la force, et, dans ce cas, sur un affrontement idéologique où le bloc BAO représente le bon côté de la situation morale du monde.)
... Tisdall : «It is no consolation at all to Syria's suffering people, stuck with Bashar al-Assad's brutal regime. But for Vladimir Putin, Russia's president and long-standing anti-western bogeyman, the decision to put military action on hold represents a signal diplomatic triumph with possible long-term strategic implications for Moscow's role in the Middle East and beyond.
»Putin's unexpected proposal that Syria surrender its chemical weapons to the international community comprehensively snookered a politically cornered Barack Obama. The White House, not Assad, was disarmed; it simply did not see it coming. Despite belated claims that the idea was under discussion for a year or more, the fact is Putin, with impeccable timing, made it his own – and won instant backing from Syria, Iran, the UN and relieved European allies.
»Faced with overwhelming opposition to military intervention from the American public and a near certain defeat in Congress, Obama seized on the Russian démarche with almost embarrassing eagerness. That former UN inspectors say collecting chemical weapons in the midst of Syria's civil war may be unworkable, apparently mattered little to the US president at this moment of high angst – and even less in Putin's cynical world of great power gamesmanship. “Putin's goal is to play for time, to push off the talk of strikes for as long as possible, because the longer he pushes them off the less likely they are,” Philippe Moreau Defarges, of the French Institute of International Relations, in Paris, told Henry Meyer, of Bloomberg. “Hats off to the Russians, those guys are master diplomats. Putin and Assad have totally won this round.”»
Nous serons évidemment et nécessairement conduits à donner une appréciation à la fois nuancée et critique de ces appréciations diverses, allant toutes dans le même sens, et d’ailleurs choisies pour cette raison. Ces appréciations décrivent une situation diplomatique peut-être d’une manière assez juste, mais nullement ce que signifie cette situation et d’où elle vient, ni ce qu’elle recouvre, ni ce qu’elle réserve.
Le “triomphe de Poutine” n’en est pas un parce qu’il n’y a pas, selon nous, de volonté d’affrontement dans le chef des Russes, dans l’initiative qu’ils ont prise. Il n’y a pas non plus, chez les Russes, de fondement prioritaire pour sauver à tout prix Assad, qui ne peut- être l’inspiration de la politique principielle qui est la leur. La position de la Russie est fondée, non pas sur une analyse classique malgré le classicisme de la pensée russe dans ce domaine spécifique, avec un homme comme Poutine, mais sur une analyse globale d’événements extraordinaires que lui impose la situation. A cet égard, les Russes montrent d’abord leur exceptionnelle ouverture d’esprit, beaucoup plus qu’une diplomatie exceptionnelle.
La proposition russe n’a pas été faite pour marquer des points contre le bloc BAO mais pour stopper, – ou tenter de stopper, l’avenir le dira, – la marche vers une intervention militaire catastrophique pour tous. Le but de la Russie est de tenter d’apaiser à toutes forces la situation actuelle, qu’elle juge totalement folle et chaotique ; la chose a été dite mille fois, et il n’y a nulle raison d’en douter. La psychologie du bloc BAO conduit, non pas à douter d’un tel fait, mais simplement à l’ignorer par simple incapacité de le penser. La réflexion à cet égard, complètement influencée par une psychologie-Système, est toute entière conditionnée par le stéréotype de la Russie de Poutine, anti-démocratique, revancharde, retardataire et assez douteuse, pressée d’affirmer sa puissance aux dépens du bloc BAO ; la “lucidité” du constat rapporté plus haut dans le chef de nos commentateurs se réduit à l’affirmation évidemment sollicitée que Poutine-le-retors-cynique a réussi son coup, – et alors, “chapeau bas, l’artiste”.
Mais la vérité n’est pas cela ... Il n’y a pas eu “triomphe russe” mais débâcle du bloc BAO, et une débâcle obtenue par lui-même, par la seule absurdité de sa politique syrienne, par sa croyance folle à ses propres montages et à ses narrative, par son obsession pathologique de la force, par sa manière irrésistible de s’enfermer lui-même dans des positions extrêmes d’où la sortie ne peut être que brutale et catastrophique. Pour cette fois, la masse (le bon peuple, et le Congrès) n’a pas suivi et la débâcle s’est imposée d’une façon encore plus spectaculaire, presque sublime et superbe... Et c’est même un Kerry épuisé par sa cure-express de mensonges, gaffant ou ne gaffant pas c’est selon, qui a suggéré à la Russie la proposition de son “triomphe”.
Poutine, lui, dit son fait aux USA et au bloc BAO par procuration. Il l’a fait dans un article du New York Times, le quotidien de référence du monde civilisé s’ouvrant au monstre du Kremlin, – on est pluraliste ou on ne l’est pas. Poutine ne dit rien de nouveau, il ne fait que répéter ce qu’il ne cesse de répéter et que personne, dans les directions-Système et la presse-Système, n’entend ni n’écoute. L’intervention de Poutine dans le NYT sera perçue comme une leçon donnée par le vainqueur “triomphant” au vaincu mis à terre, – selon les coutumes du bloc BAO dans ces circonstances, – alors qu’elle ne fait qu’exposer l’évidence des constats russes sur le comportement des USA et du bloc BAO, et les dangers que recèle ce comportement. (On donne ici quelques extraits dans la présentation qu’en fait Russia Today le 10 septembre 2013.)
• D’abord sur la situation syrienne où la position russe d’une provocation des rebelles est réaffirmée, avec, pour prendre date officiellement et donner sa caution aux informations à cet égard, cette allusion faite à d’éventuelles nouvelles provocations des rebelles vers Israël, telles que Russia Today les a rapportées (voir le 10 septembre 2013). «Putin said that while no one doubts that poison gas was indeed used in Syria, there is “every reason to believe it was used not by the Syrian Army, but by opposition forces, to provoke intervention by their powerful foreign patrons.” “Reports that militants are preparing another attack — this time against Israel — cannot be ignored,” he added.»
• Sur la légalité internationale et le comportement des USA, l’évidence est martelée à nouveau, et l’évidence n’a nul besoin de démonstration : «“No one wants the United Nations to suffer the fate of the League of Nations, which collapsed because it lacked real leverage,” Putin wrote. “This is possible if influential countries bypass the United Nations and take military action without Security Council authorization.” [...] From the very beginning of the crisis, Russia has advocated a political solution according to international law. “We are not protecting the Syrian government, but international law,” he said. “It is alarming that military intervention in internal conflicts in foreign countries has become commonplace for the United States,” he said. The world increasingly sees America not as “a model of democracy but as relying solely on brute force, cobbling coalitions together under the slogan “you’re either with us or against us,” the President stated. »
• La prétention US à l’exceptionnalisme, réaffirmée d’une façon involontairement ironique par un Obama vacillant et groggy dans son discours de mardi, est jugée sévèrement par Poutine, président d’un pays de vieille et belle tradition et qui n’a pas besoin de la publicité et de la philosophie des relations publiques pour se situer comme nécessaire (plutôt qu’exceptionnel) dans l’histoire de notre civilisation, – et Poutine avec Dieu comme témoin à charge et de grand poids, et l’on sait bien ce qu’Il en pense : «Putin disagreed with a “case he made on American exceptionalism.” “It is extremely dangerous to encourage people to see themselves as exceptional, whatever the motivation. There are big countries and small countries, rich and poor, those with long democratic traditions and those still finding their way to democracy. Their policies differ, too... We are all different, but when we ask for the Lord’s blessings, we must not forget that God created us equal.”»
Entendront-ils Poutine ? Il va de soi qu’ils ont d’autres choses, de bien plus grande importance, à débattre entre eux. Leur désaccord, d’abord, leurs chamailleries, leurs chicaneries, pendant que l’héritage va à vau-l’eau, tout cela leur faisant même oublier la mission sacrée de commémoration du Grand Tout qu’est l’attaque du 11 septembre 2001. McClatchy, toujours vigilant, ne se prive pas d’observer combien cette commémoration washingtonienne fut acrimonieuse, amère, avec les divers requins corrompus et pourrissants se disputant les reste de l’Empire pour pouvoir mieux accuser le requin à-côté. (Le 11 septembre 2013, sous le titre qui nous en dit beaucoup sur le sacrilège : «Partisanship, Syria tension intrude on 9/11 memorial»)
«President Barack Obama and other national leaders tried Wednesday to put aside partisan differences and commemorate victims of the Sept. 11, 2001, attacks, but tensions over Syria, Libya and other hotspots reminded Americans how that day sparked a new and troubled era that is still playing out in American politics. [...]
» “Today, we remember not only those who died that September day,” Obama said as he laid a wreath at the Sept. 11 memorial at the Pentagon in Arlington, Va., “we pay solemn tribute to more than 6,700 patriots who have given their full measure since – military and civilians.” [...] Despite the paeans to national unity, Boehner of Ohio, Sen. Lindsey Graham of South Carolina and other Republicans criticized Obama for the failure to find and punish the perpetuators of the Sept. 11, 2012, attack on the U.S. diplomatic mission in Benghazi, Libya. “It is disgraceful that one year later, even though a number of terrorists who participated in this attack have been identified, not a single one has been brought to justice,” Boehner said. “For the past year, this administration has failed to provide sufficient answers, fully comply with (congressional) subpoenas and make available relevant individuals to provide testimony.”»
Que se passe-t-il à Washington, D.C. ? Le chaos, certes, et nous dirions que c’est pire encore qu’en Syrie car c’est un chaos gratuit, sans la tragédie de la guerre, par simples incompétence, irresponsabilité, inconscience enfin ... “Le chaos”, dit un analyste allemand qui suit les affaires syriennes, Manuel Ochsenreiter, répondant à une interview de Russia Today le 11 septembre 2013, à propos du discours du président Obama.
«“This speech shows the diplomatic chaos in the US,” Ochsenreiter said. “We see the US president, the most powerful man in the world, being completely lonely with his position. If warmongering is coming from Western and US governments, he has no support of the population,” he said. [...] “He is in a very difficult and weak position right now,” Ochsenreiter said, at the same time pointing out that even if Syria is stripped of its chemical weapons stockpile, there’s no guarantee that the West won’t find some other pretext for a military action against Damascus, as it was previously done with Iraq and Libya.»
Le Guardian (le 12 septembre 2013) rapporte la réaction soudainnement enthousiaste de la Maison-Blanche, via le porte-parole Jay Carney, à propos du plan proposé par les Russes qu’on juge désormais absolument chargé de toutes les vertus que Washington réclamait de son “partenaire” russe. Tout cela est arrangé à la sauce Obama, avec le volte-face supposé de la Syrie qui est présentée ainsi comme capitulant devant les USA, et la Russie soudain vertueuse qui se serait rangée au côté d’Obama. («We have seen more co-operation from Russia in the last two days than we have heard in the last two years... The proposal they have put forward is very specific and the Syrian reaction is a total about-face. This is significant.»)
... Eh bien, même cet arrangement si complaisant à l’égard de l’exceptionnalisme américaniste qui est leur catéchisme à tous n’a en rien amadoué les compères de l’aile droite du “parti unique”. Les hawks répondent à Obama par un bras d’honneur qui bafoue toutes les traditions bombastiques de la Grande République.
«The sudden thaw in White House attitudes toward Russia has met with scepticism in Washington, where many see it as an excuse for Barack Obama to avoid defeat in Congress over military action against Syria. A speech by Obama to the American people on Wednesday night was criticised by hawkish Republicans after it called for a suspension of Senate attempts to pass a resolution authorising US strikes.»
Car enfin, peut-on croire que, d’ici là, tout ira comme sur des roulettes ? Peut-on croire que le Système en tant que tel, acceptera cette formule qui est celle de la débâcle assumée, de suivre la voie ouverte par les Russes pendant que les mêmes Russes exposent au grand jour, dans les colonnes du NYT, toutes les tares du Système ? C’est penser un peu vite et croire encore plus rapidement. La tragédie syrienne a plus d’un tour dans son sac, et leur pathologie, qu’on sait incurable, n’a évidemment pas dit son dernier mot. Il faut donc s’attendre à divers soubresauts du Système, sous la forme de tracasseries, de relances diverses de la tension, de l’un ou l’autre false flag, etc. Dès ce même 11 septembre 2013, David Usborne affirmait, dans The Independent, que les premiers couacs étaient au rendez-vous. («A diplomatic plan to force Syria to give up its chemical weapons and avert an attack from America was already in jeopardy on Wednesday with Russia and the United States far apart on how it should be implemented.»)
Faudrait-il alors, tout de même, un de ces jours prochains, faire donner le Congrès et lui demander, après ce tour de piste russo-américaniste présenté par la Maison-Blanche sous de si flatteuses couleurs, de finalement donner son blanc-seing au projet d’attaque ressuscité, et d’ailleurs qui n’a jamais trépassé ? De ce côté également, la rengaine est à la débâcle continuée, cette fois pour Obama et les hawks de Washington, réconciliés dans la même attente. Impitoyable, Jason Ditz, de Antiwar.com, continue à décompter la déroute du parti du Système (le 12 septembre 2013), en faisant un point sans concessions après le discours de mardi du président Obama.
«President Obama’s Tuesday night speech was supposed to be the decisive case for war, and it too has failed, with nary an opponent of the war swayed by the comments...w [...] This week was to be the war party’s great victory, turning the tide of a war weary public as AIPAC threw its weight behind the war to ensure Congressional support. Ultimately, all of that has only increased public opposition to the war, and the defeat of the resolution in Congress is more apparent than ever, assuming the hawks ever bother to even attempt a vote. Six more Senators are now “no” votes, and four more in the House just since the speech, suggesting the momentum continues, but against the war.»
Qu’importe, le Système poursuit sa quête furieuse pour relancer la machine humaine à son service, et qui paraît grippée. C’est à ce point que se situe le nœud de cette situation crisique dont l’issue ne peut être qu’une défaite totale, et dans le cas qui nous occupe un effondrement du Système, malgré les appels à la raison de Poutine pour limiter la casse. Très vite, bientôt, un Obama ou l’autre, de l’arrogant au désemparé, parce qu’il a choisi la voie de l’alignement, se retrouvera sous la contrainte de ces étranges “pressions” qui sont si souvent citées pour expliciter la position extrémiste, ou l’évolution extrémiste, de tous ces dirigeants réalistes, cyniques, idéalistes, corrompus, petits-bourgeois comme disent les marxistes, que l’on retrouve aux avant-postes des guerres postmodernes du Système ; et il se trouvera conduit à relancer l’aventure catastrophique ... (D’ailleurs, et ceci conséquence de cela, on annonce d'ores et déjà, comme pour nous rassurer, que la CIA a commencé à livrer des armes aux rebelles.)
John Glaser (Antiwar.com, le 11 septembre 2013), annonçant un nouveau chiffre (74%) d’opposition du public à un bombardement de la Syrie, cite en guise d’explication à ce qu’on constate de l’acharnement des directions-Système pour une politique d’agression devenant suicidaire à force d’impopularité, à propos de ces fameuses “pressions”, une observation de Conor Friedersdorf, de The Atlantic, le 29 août 2013, interrogeant, – “Des pressions grandissantes, – de qui ?” Friedersdorf, après avoir constaté l’opposition du public, du Congrès, etc., tente de trouver une explication mystérieuse ou dissimulée («a tiny, insular elite that mostly lives in Washington, D.C...»), là où il n’y a, à notre sens, que les pressions du Système lui-même, comme d’une entité impitoyable d’exigence, et qui a engagé son destin dans la poursuite sans fin de la politique-Système, conduite irrésistiblement de la surpuissance à l’effondrement.
«“Where is this pressure coming from? Strangely, that question doesn’t even occur to a lot of news organizations. Take this CBS story. The very first sentence says, “The Obama administration faced new pressure Thursday to take action on Syria.” New pressure from whom? The story proceeds as if it doesn’t matter. How can readers judge how much weight the pressure should carry? Pressure from hundreds of thousands of citizens in the streets confers a certain degree of legitimacy. So does pressure from a just-passed House bill urging a certain course of action, or even unanimous pressure from all of the experts on a given subject.”
»”What I’d like is if news accounts on pressure to intervene in Syria made it clear that the “growing calls … for forceful action” aren’t coming from the people, or Congressional majorities, or an expert consensus. The pressure is being applied by a tiny, insular elite that mostly lives in Washington, D.C., and isn’t bothered by the idea of committing America to military action that most Americans oppose. Nor are they bothered by the president launching a war of choice without Congressional approval, even though Obama declared as a candidate that such a step would be illegal.”»
D’aucuns cherchent dans ce qu’ils perçoivent de fondamental dans les événements courants, le signe de la fin d’une époque, de la fin du temps de la puissance de l’Occident. Voici le cas de Andreas Wittham Smith, premier directeur de la rédaction de The Independent de 1986 à 1994, depuis admis à diverses fonctions des plus honorables, et qui annonce, rien de moins que la fin de l’Ouest, entre l’introduction et la conclusion de son commentaire dans le même Independent du 10 septembre 2013
«Now, 600 years after the first European colony of the modern era was established by Portugal on the North African coast, an extraordinary question arises. Does the reluctance of Western electorates to support a policy of punishing Syria for alleged use of chemical weapons mark the end of what began all that time ago and has continued ever since? For the notion of the US Navy firing cruise missiles into a Middle-East nation from vessels in the Mediterranean to “teach it a lesson” is pure Western imperialism. And we don’t seem to want to do it any longer. [...]
»Except that Nemesis, or the spirit of divine retribution, was waiting to punish them for their arrogance. Afghanistan and Iraq turn out to be the final disasters. The British surrender at Yorktown in 1781, the French defeats in Indochina and Algeria, and finally the ignominious withdrawals by the US and its allies from Afghanistan and Iraq, these have done for colonialism and its more virulent form, imperialism. There can be no going back. No US president, no UK prime minister, no French president is ever again going to ask Congress, Parliament or National Assembly to approve the invasion of a another country, even by airpower alone. After 600 years, that is over. Never again.»
Mais il nous semble, à nous, que monsieur Wittham Smith est en retard d’une débâcle, que ce n’est plus celle de l’Ouest, devenue ci-devant bloc BAO, mais bien celle du Système et de la “contre-civilisation” dont il est né, dont il faut parler. Est-ce bien de cela dont il est question avec ce qui est unanimement salué comme une déroute des USA, donc du bloc BAO, devant ce qui est présenté comme une Russie ressuscité, à propos d’une Syrie dont la grandeur de la tragédie est haussée au rang des plus grands affrontements de l’Histoire ? Ce qui est stupéfiant dans cet épisode qu’on semble placer au niveau d’une bataille d’Actium, d’une bataille de Lepante, d’un Waterloo, d’un Verdun, d’un Stalingrad ou d’une crise des missiles de Cuba, c’est que tout s’est passé à propos d’un événement fabriqué, pour une cause faussaire, à l’occasion de circonstances qui n’ont jamais dépassé le stade de la rhétorique, avec comme points d’affrontement principaux des sondages de popularité dans le public, des intentions de vote des Représentants à la Chambre du Congrès des USA, etc.
Pourtant, oui, il y a un événement qu’on peut juger fondamental par certains de ses aspects. Il ponctue une courbe régulière et en accentuation régulière, toujours dans le même sens qui est celui de l’effondrement du Système. Poutine n’a pas remporté de “triomphe” diplomatique pour réaffirmer la puissance de l’URSS devenue néo-Sainte-Russie, il a plus simplement une fort grande appréhension de ce qui peut survenir d’incontrôlé d’une telle course erratique du bloc BAO balisant pour le Système et cela le conduit à ces initiatives victorieuses. Par conséquent, ces offensives, ces contre-offensives, ces poussées et ces blocages se poursuivent comme une représentation théâtrale, comme sur l’écran de la caverne de Platon réquisitionnée et transformée en salle de cinématographe par nos dirigeants-Système, et qui ne semble plus fasciner qu’eux-mêmes, avec des spectateurs à peine intéressés, qui ne se manifestent que pour exprimer leur lassitude, qui ne se gênent pas pour faire claquer leurs sièges lorsqu’ils se lèvent pour quitter la représentation.
C’est ainsi que se passent les effondrements, d’une façon subreptice, finalement sans trop faire de bruit, parce que tout s’effrite et se délite, tout se transforme de matière brute en débris sablonneux, tout se dissout enfin, sans faire trop de bruit. Ainsi l’attaque contre la Syrie n’eut-elle pas lieu et les USA se tournèrent-ils un peu plus vers une posture bientôt isolationniste, – et si la chose ne suffit pas, si la débâcle n’est pas suffisante, il est assuré qu’ils y reviendront pour une nouvelle tentative, avec les montages qui vont bien, les Bandar qui importent, pour encore subir une débâcle, et ainsi de suite jusqu’à ce que la dissolution ait achevé son œuvre.
Il suffit d’un peu de patience.
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