Notes sur la maturité d’‘Ukrisis

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Notes sur la maturité d’‘Ukrisis

• A partir d’un schéma de situation que nous (PhG dans son ‘Journal-dde.crisis’) esquissions en août 2022, et qui s’est confirmé, nous voyons aujourd’hui se fixer d’une façon structurée une hypothèse générale que nous détaillons ci-après. • Il s’agit du constat que nous approchons du point de “maturation” d’‘Ukrisis. • Chronologiquement, plusieurs faits tendant à substantiver cette hypothèse et à étendre la crise ‘Ukrisis’ au-delà de la situation ukrainienne, et dans une nouvelle situation où l’Ukraine n’est plus le centre d’activité de la crise. • En d’autres mots plus concrets, nous dirions que le constat de la situation se déplace d’un théâtre d’opération que les Russes entendent verrouiller pour poursuivre leur travail de destruction du potentiel ukrainien (c’est-à-dire du potentiel otanien, – c’est-à-dire un affaiblissement général et un gel des faibles moyens d’actions de l’“Ouest-collectif”, paralysés par la pression russe), – vers un champ d’action global en plusieurs points. • Il s’agit essentiellement de l’affaiblissement-effondrement des structures OTAN, UE et USA, et de l’apparition d’un “monde nouveau”.

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3 avril 2023 (12H15) – Ici et pour débuter, on donne une intervention du ministre allemand de la défense, dans une interview publiée samedi. Il décrit la situation catastrophique de l’armée allemande, et l’on comprend bien qu’il s’agit d’un cas exemplaire de l’état courant des forces armées de l’“Ouest-collectif” (OTAN, UE), des pays engagés dans un soutien collectif à l’Ukraine.

Le ministre évoque une hypothèse très alarmiste concernant l’élection présidentielle de 2024 aux USA, sans préciser quel candidat et quel parti il évoque. Il se réfère ainsi à des indications venues de Washington, des milieux bureaucratiques militaires, – qui, eux aussi, évoquent une perspective post-2024 extrêmement dangereuse, quel que soit l’élu. Selon notre point de vue, il s’agit d’indications venues directement de milieux militaires US (le Pentagone), qui semblent décidés à abandonner le soutien à l’Ukraine pour concentrer ce qu’il reste de forces aux USA dans la région Asie-Pacifique. La campagne pour les présidentielles pourrait effectivement fournir l’occasion d’un tel revirement, toujours selon les milieux militaires, notamment en torpillant l’influence des neocon.

Voici donc les plaintes angoissées du ministre allemand de la défense, qui semble avoir été sérieusement chapitré par ses propres militaires. (Le ministre Pistorius a été récemment nommé, pour remplacer, pour cause de scandale, la ministre initialement désignée. Il semble que les militaires ont profité de ce changement forcé pour favoriser la nomination d’une personnalité sensible à leur cause qui est nettement de prendre toute la distance possible du conflit ukrainien.)

« Les membres européens de l'OTAN pourraient avoir des difficultés à soutenir Kiev dans son conflit avec la Russie après les élections américaines de 2024, a averti le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius. L'aide de Washington à l'Ukraine sera probablement réduite quels que soient les résultats, a-t-il déclaré à Welt am Sonntag dans une interview publiée samedi.

» Les États-Unis devront accorder plus d'attention à la région indo-pacifique après 2024, même si un président "pro-européen" remporte les élections, a déclaré Pistorius, tandis que le pire des scénarios pourrait condamner le soutien de l'Occident à Kiev, a-t-il averti.

»"Si le pire des scénarios se réalise et qu'un président américain, qui s'est éloigné de l'Europe et de l'OTAN, entre à la Maison Blanche, nous aurons des défis qui sont actuellement inimaginables", a déclaré Pistorius. L'Europe devra alors "compenser" la réduction de l'engagement américain en faveur de la défense du bloc militaire "en plus de ce que nous faisons déjà aujourd'hui", a-t-il ajouté.

Pistorius a également déclaré que les problèmes de défense de l'Allemagne ne seront pas résolus d'ici là. Les problèmes d'approvisionnement et de financement auxquels l'armée allemande est confrontée depuis des années ne seront probablement pas résolus avant 2030, a fait remarquer le ministre. Il a également indiqué que les stocks de l'armée étaient limités et a refusé de promettre davantage de chars de fabrication allemande à l'Ukraine. »

Il s’agit d’une indication de plus d’un processus d’un affaiblissement, voire d’un effondrement de la puissance technologique et militaire des pays du bloc-BAO. Bien entendu, cet affaiblissement-effondrement affecte également les économies occidentales. Tout cela est une conséquence directe de la crise ‘Ukrisis’, dont on mesure chaque jour à la fois la puissance, la profondeur et la généralisation.

Du coup, une hypothèse sort de plus en plus renforcée, quant à la stratégie et aux buts politiques de la Russie dans sa guerre en Ukraine : l’hypothèse d’une durabilité maximale, une fois constatés et confirmés les effets catastrophiques de cette guerre sur les puissances occidentales, et en conduisant la situation jusqu’à sa rupture. Dans ce cas, toutes les perspectives militaires envisagées, notamment de grande offensive russe, sont écartées ou laissées en réserve, au profit de cette hypothèse où l’aspect politique prend une place considérable et où les effets principaux de la guerre doivent être indirects.

Perspective militaire spécifique

On prendra deux exemples très récents concernant cette perspective militaire spécifique.

• Ceci, de Régis Chamagne, repris sur ‘Réseau International’ du 1er avril 2023.

« Il semble aujourd’hui raisonnable de penser que Vladimir Poutine, avec le soutien de la Chine et des autres, ait opté pour l’option à dominante économique par étranglement des pays occidentaux, l’action militaire étant au service de la “poussée dominante”.

» Vu sous cet angle, la stratégie et la tactique russes en Ukraine prennent un sens différent. Il s’agit de faire durer la guerre par une tactique de grignotage lent mais continu, détruire les armées successives levées par l’Ukraine et l’OTAN jusqu’à l’épuisement de l’Occident, économique et par voie de conséquence militaire.

» Citons à cet égard Evgueni Prigogine qui avait déclaré le 28 novembre 2022 : “Notre tâche n’est pas Bakhmut (Artyomovsk) lui-même mais la destruction de l’armée ukrainienne.” Le mot “tâche” est important car il signifie clairement que Wagner a une mission précise, donc en coordination avec l’état-major russe. »

• Second exemple, celui du commentateur espagnol Marcelo Ramirez, sur ‘euro-synergies.hautefort’, le 29 mars 2023 sous le titre de « Poutine gère le timing pour que l'effondrement anglo-saxon n'entraîne pas le monde dans une guerre nucléaire ». (A partir du texte espagnol original.)

« La Russie est confrontée aux 28 pays de l'OTAN, plus ceux qui tentent de la rejoindre et les pays amis, soit une quarantaine de nations. Malgré cela, la Russie a toujours eu l'initiative militaire et, après treize mois, elle continue de donner le ton à la compétition. La question la plus appropriée serait peut-être de savoir si la Russie veut vraiment gagner la guerre contre l'Ukraine, car sa confrontation est en réalité avec l'Occident, c'est-à-dire le monde anglo-saxon et sa périphérie, et elle est vitale.

» La Russie s'est attaquée aux villes fortifiées ukrainiennes, de Marioupol à Bakhmut et Avdivka, localités que nous avons déjà mentionnées. Après l'avancée initiale, les troupes ont reculé et se sont concentrées sur les territoires russophones, d'où elles ont infligé d'énormes dégâts aux troupes ennemies. Moscou aurait pu lancer une offensive de toutes ses forces, balayer le régime de Kiev, mais outre les possibilités d'affrontement avec l'OTAN, il y a un point que nous voulons soulever pour essayer de comprendre la stratégie russe. Poutine sait qu'il est en fait confronté à l'ensemble de l'Occident collectif, qui dispose d'un énorme potentiel militaire et d'armes nucléaires.

» La décision de l'OTAN de démembrer la Russie n'est un secret pour personne et les signes se multiplient, qu'il s'agisse de l'avancée aux frontières de la Russie ou de l'encouragement des processus de décolonisation en cours visant à diviser la Fédération en au moins 35 États plus petits. Pour faire face à ce mastodonte militaire et économique, il fallait du temps et une stratégie claire. Les sanctions étaient attendues et ont été résolues de telle sorte que la Russie a enregistré des excédents records depuis le début de l'affrontement armé. Sur le plan économique, la Russie est autonome et soutenue par des pays tels que la Chine. De ce côté, elle est blindée.

» Le deuxième aspect à prendre en compte est que l'Occident, dans son effondrement, recherche la guerre comme moyen d'arrêter le processus de perte d'hégémonie qu'il subit. Nous ne pouvons pas ignorer les divers courants politiques internes, comme le trumpisme aux États-Unis, qui s'opposent à l'affrontement avec la Russie. Convaincre l'ensemble de l'establishment et les forces armées elles-mêmes de la nécessité d'une guerre avec la Russie n'est pas une mince affaire et doit avoir des justifications valables pour ceux qui s'y opposent. La Russie a l'occasion d'aiguiser ces contradictions tout en continuant à renforcer et à affaiblir l'appareil militaire et industriel de ses ennemis atlantistes. La stratégie semble consister à impliquer l'OTAN de manière mesurée dans le conflit en Ukraine, sur un terrain et dans des conditions extrêmement défavorables. Ses forces navales, son principal atout militaire, sont trop limitées pour agir et elle n'a pas la possibilité d'envoyer ses troupes directement, du moins actuellement. Les dissensions internes, les problèmes économiques et les sociétés déconstruites de l'Occident offrent à la Russie une excellente occasion de créer un chaudron, un creuset où faire fondre les potentialités du monde atlantiste.

» Une avancée dévastatrice mettrait fin au conflit ; cependant, une avancée provocatrice, mais en même temps avec de petites fissures que la propagande de l'ennemi amplifie naturellement, permet à Poutine d'obtenir de l'OTAN qu'elle envoie du matériel, des armes et des munitions à Kiev. L'escalade même du type, de la quantité et de l'ampleur des armements a été progressive, permettant aux militaires russes de détruire méthodiquement l'arsenal et d'affaiblir les structures militaires de l'organisation. Nous voyons sans peine les avertissements des officiers militaires américains sur les problèmes que la presse tente de dissimuler. L'OTAN est à court de munitions, elle a perdu tout son arsenal de l'époque soviétique en Europe de l'Est, mais plus grave encore, elle a démontré que sa capacité de production militaire est inférieure à celle de la seule Russie, qui peut en outre compter sur le soutien de l'Iran, de la Corée du Nord et de la Chine.

» Dans le même temps, Moscou a généré des tensions au sein du bloc ennemi, des divergences apparaissent naturellement et l'attitude de Washington, qui subordonne des pays comme l'Allemagne à ses besoins, est une bombe à retardement qui ne demande qu'à exploser. Les pressions internes ont pour toile de fond des sanctions économiques qui se sont comportées comme un boomerang, comme une perte de marchés et de pouvoir d'achat, couplée à des pays producteurs de pétrole qui ne se plient pas aux ordres anglo-saxons, créent un environnement qui appelle à la stratégie d'utilisation de l'Ukraine comme un bélier. L'Occident collectif ne peut soutenir indéfiniment l'effort militaire et économique en Ukraine sans s'affaiblir et se fissurer. »

Tournant-de-situation...

Bien entendu, nous constatons que ce point de vue écarte résolument l’aspect militaire en tant que but du conflit réduit à Ukraine-Russie, pour le considérer comme un moyen dynamique et important mais politiquement contrôlé dans le conflit entre la Russie soutenue par la Chine, et l’OTAN/UE et les USA (ou “Ouest-collectif”, ou bloc-BAO). Dans ce cas, effectivement, les appréciations sur de grandes offensives et de grandes manœuvres militaires sont assez peu utiles, le but de la Russie étant “de ne pas perdre” une fois sa position établie, pour que l’Occident s’épuise à vouloir “gagner”, ne serait-ce qu’en repoussant la Russie.

Nous avions déjà cette approche en août dernier, comme le montre ce texte que nous reprenons du 8 août 2022 de PhG. Nous insistons sur le fait qu’à notre estime, Poutine et la Russie ont improvisé cette stratégie dans son aspect totalisant devant la double démonstration :
• de l’échec complet des sanctions contre la Russie ;
• de l’engagement total de l’“Ouest-collectif”, signifiant la mise dans le jeu de toute la puissance ce cette entité, cela haussant l’affrontement au niveau civilisationnel.

Cette évaluation nous paraît justifiée par les événements depuis août 2022. Nous nommerions ce processus : passer « d’une ‘Ukrisis’ locale à l’‘Ukrisis’ globale »...

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« Le “tournant profond” de Poutine

« 8 août 2022 (14H55) – Lorsque l’Opération Militaire Spéciale (OMS) a commencé, le 24 février 2022, tout paraissait clair dans l’esprit des observateurs. La Russie devait aller vite pour régler cette affaire, surtout éviter l’“enlisement”. Certains y voyaient, qui pour s’en réjouir qui pour s’en désoler, une consigne de l’au-delà, une sorte de doctrine “RIP-Brzezinski” opérationnalisé en un piège de type-“néo-Zbig” : faire de l’Ukraine un “second Vietnam” pour la Russie, comme l’Afghanistan avait été, en 1980-1988 et à l’instigation du même Zbigniew Brzezinski, le “Vietnam de l’URSS” (donc “premier Vietnam” de la Russie).

» Très vite, en même temps que s’élevait comme un opéra wagnérien scandé par le régiment-Azov le concert d’admiration médiatique et de louanges communicationnelles pour l’héroïsme ukrainien et le génie stratégique de Zelenski, il devint admis que cette doctrine “néo-Zbig” était bien la pensée profonde de D.C. et du Pentagone. Il fallait “mettre la Russie à genoux”, la chose fut dite par l’imposant secrétaire à la défense Austin ; c’est-à-dire, faire durer le conflit, pour que la Russie s’y épuise, militairement et économiquement, conduisant en toute logique américaniste à une révolte populaire mettant Poutine à bas et instaurant la démocratie néo-libérale et bien entendu américaniste.

» En plus et pour la parfaite équité, il faut être juste et songer aux quarante discours-Macron qui ont fait la France ! Avec son flair infaillible, son intuition quasi-divinatoire, sa sublime vision stratégique, son sens moral exacerbé à la manière de la cithare lancinante comme le destin de  l’Anton Karas du ‘Troisième Homme’, la France macroniste avait vu juste avant tout le monde. Elle nous avait averti, dès le lendemain de l’attaque et d’une voix de maître par Bruno Lemaire, que nous allions “faire s’effondrer l’économie russe” et mettre la Russie dans un sinistre et mortel isolement. Ensuite, on la découperait en parts égales, et pour les US un peu plus égale que les autres, comme l’on fait d’une tarte au miel de Samarcande.

» Bref, nous étions fixés, c’est-à-dire, – après avoir consulté notre dictionnaire des “idées reçues” à la rubrique Bouvard-et-Pécuchet, – que nous étions  mystifiés... Car peu à peu, les choses changèrent très vite. L’opéra wagnérien sur l’héroïque Zelenski se transforma en une ‘Prova d’orchestra’ à-la-Fellini et nous pûmes commencer à reconnaître, dans les torrents de censures diverses déversés sur nous pour nous assurer d’une exceptionnelle récolte idéologique sans canicule inopportune pour l’héroïsme-woke, quelques éclats de ce que nous appelons une vérité-de-situation ; certes et redite, “peu à peu, les choses changèrent très vite” pour nous faire comprendre que les choses n’allaient pas du tout dans le sens impérativement proclamé, mais plutôt inversement, dans le sens interdit par les consignes du Camp du Bien.

» Bref (bis), je passe là-dessus car on en connaît assez pour en arriver à la situation présente. Les Russes dominant leur sujet, mais peu à peu sans trop se presser et plutôt en canonnant diablement l’adversaire pour éviter les pertes ; l’économie russe rose de plaisir et pétante de santé tandis que l’inverse survient de l’autre côté, du côté que je nomme, comme vous le savez, bloc-BAO comme si l’on y trouvait la force d’un bloc de granit ; et comme d’habitude, enfer et damnation, simulacre de la chose, papier-mâché plutôt que granit...

» Le premier composant de ce développement (tournant ?) “inattendu” (?) de la fortune du monde est peut-être ceci que je désignerais comme le premier élément du “tournant profond” dont l’on parle dans le titre... Ce que l’on annonçait dur comme du granit pour la Russie est en train de se produire pour le bloc de papier-mâché. Au contraire, la Russie caracole, avec une économie florissante et une machinerie militaire qui produit ce qui importe ; au contraire, c’est le bloc-BAO qui sème le carnage dans son économie et qui ne cesse de s’épuiser militairement dans des initiatives grotesques, – par exemple, lorsque CBS.News, pourtant bien vu dans le Camp du Bien, vous annonce que 70% des $milliards d’armements transférés à l’Ukraine au détriment des réserves militaires des donateurs disparaissent dans diverses poches des escouades d’oligarques et des “bataillons spéciaux” des corrompus. (Les tentatives de censure par les petits soldats du GAFAM bloquant la vidéo de CBS.News  démontrant cette situation relèvent du pathétique-bouffe ; notre système de censure est vraiment en train de devenir fou tant il est grossier et fait bon marché de lui-même...)

» Là-dessus, surprise surprise (pour les prophètes-courts), le deuxième composant du “tournant profond” se trouve dans ce fait que la Russie n’est pas, mais alors pas du tout isolée comme nous le promettaient Lemaire & Cie... Parmi les innombrables signes de la chose, on peut citer une sorte de “preuve par le G20” (celui de novembre en Indonésie). Les pays qui se sont opposées à toute mesure symbolique sinon vexatoire contre la Russie, y compris la non-invitation faite à Poutine, donc ces pays qui ont pris sans équivoque le parti de la Russie sont au nombre de dix : l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Russie et la Turquie. Le reste, dans la volaille du camp adverse, c’est le bloc de papier mâché, regroupé autour du sémillant Biden. Qui est isolé par rapport à qui et à quoi ?

» Ainsi est apparu le second constat après le premier qui est que la “guerre longue” avantage la Russie et non le bloc-BAO, et le second  enchaînant directement sur le premier. Cette situation de “guerre longue” fixe un antagonisme non plus d’une guerre régionale, mais d’un affrontement autour du sort d’une civilisation. Cette idée largement partagée désormais, notamment par Jacques Sapir, est celle du “Grand-Sud” faisant sécession du leadership arrogant du bloc-BAO et mettant en cause tout ce qu’il reste de son vacillant édifice. Du coup, l’Ukrisis du départ, composé de l’affrontement de la Russie contre le régime de Kiev, prend la dimension globale et cosmique de l’affrontement entre l’ordre ancien qui s’effrite affreusement dans ses querelles et troubles internes, qui perd sa puissance économique et militaire, et le reste (“The Rest of the World”) qui lève l’étendard de la révolte et ne cesse de pousser à cette dynamique de déconstruction des déconstructeurs.

» Ainsi en suis-je conduit à mon hypothèse centrale du “tournant profond” du président russe Poutine. Je suis soudain poussé par le sentiment intuitif que cet homme, soudain pressé, lui, par un affrontement régional peut-être improvisé et délicat, a découvert tout soudain combien l’adversaire, – l’OTAN et non plus le clown-Zelenski, – était faible, vulnérable, totalement intoxiqué par ses propres narrative, et qu’il y avait là une occasion unique à saisir, une occasion que le destin ordonnait de choisir. Ainsi l’homme de la guerre courte et audacieuse aurait-il choisi de passer à la guerre longue et prudente, pour entretenir une dynamique qui enflamme le monde entier et met mortellement en cause la suprématie d’une civilisation plongée dans l’abîme noir...

« ...notre situation présente, au bord de l’abîme, dégringolant dans l’abîme, disparaissant dans ce trou noir sans fond que nous avons nous-mêmes creusé, et que même nous continuons à creuser au long de la chute comme si nous voulions que cette chute soit encore plus profonde, plus éperdue, plus enfouie, creusant au fond comme l’on fait pour une chute sans fond... »

» Évidemment, aujourd’hui que cela semble être fait dans le sens de cette dynamique, on est tenté de penser que l’avisé Poutine ne pouvait pas passer à côté de ce qu’il aurait préparé, et que son “tournant profond” était une évidence qu’il ne pouvait qu’exploiter exactement comme il l’avait prévu. Je suis moins assuré de cela (de cette prévision) dans mon sentiment d’être absolument assuré qu’il y a bien un “tournant profond”, passant d’une Ukrisis locale à l’Ukrisis globale. Je crois que la puissance des événements, qui nous vient de bien au-dessus de nous, a dû surprendre Poutine lui-même, qu’il a caché sa surprise derrière son impassibilité qui fait sa grande force de caractère, et ainsi pouvant s’installer parfaitement pour mieux assurer sa conduite et négocier à merveille ce qui était devenu dans cette aventure incroyable, un “tournant profond” sanctifiant la GrandeCrise dans tous ses états.

» La fantastique vitesse de l’événement dont l’impulsion nous vient des dieux nous prend tous par surprise, y compris celui qui en fait le meilleur usage possible. Ainsi sommes-nous assurés de vivre une époque sans pareille dans l’histoire du monde. C’est souvent bien lourd à porter ; c’est parfois lumineux à contempler. »
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Maturité d’‘Ukrisis

A partir d’un schéma de situation que nous (PhG dans son ‘Journal-dde.crisis’) esquissions en août 2022, et qui s’est confirmé, nous voyons aujourd’hui se fixer d’une façon structurée une hypothèse générale que nous détaillons ci-après. Il s’agit du constat que nous approchons du point de “maturation” d’‘Ukrisis’. Chronologiquement, plusieurs faits tendant à substantiver cette hypothèse et à étendre la crise ‘Ukrisis’ au-delà de la situation ukrainienne, et dans une nouvelle situation où l’Ukraine n’est plus ni la matrice ni le centre d’activité de la crise. En d’autres mots plus concrets, nous dirions que le constat de la situation se déplace d’un théâtre d’opération que les Russes entendent verrouiller pour poursuivre leur travail de destruction du potentiel ukrainien (c’est-à-dire du potentiel otanien, – c’est-à-dire un affaiblissement général et un gel des faibles moyens d’actions de l’“Ouest-collectif”, paralysés par la pression russe), – vers un champ d’action global en plusieurs points.

Désormais, l’attention va se porter sur des fractures dans le système du bloc-BAO, dans le Système lui-même finalement, sur des dynamiques de recomposition dont on a parfaitement identifié le sens.

• L’affaiblissement accéléré des membres de l’UE, alors que la pression du centre est de réduire leurs souverainetés tout en leur demandant des moyens supplémentaires, notamment militaires. Les bureaucrates n’ont toujours pas compris que ceci dépend de cela : on ne peut renforcer la puissance d’une nation en affaiblissant sa souveraineté, au contraire on la mine. Le reste va dans le sens de cette logique qui est que la centralisation de l’UE va se poursuivre jusqu’à atteindre la centralisation de rien du tout, avec des États-membres s’en détachant s’ils le peuvent et comme ils le peuvent.

Note de PhG-Bis: « C’est une question de perception ! Ainsi faut-il entendre désormais le discours du ministre allemand de la défense, non du point de vue ukrainien (“L’Allemagne ne va plus pouvoir livrer d’armes à l’Ukraine”, – quelle blague !) mais du point de vue allemand et européen... L’Allemagne, comme tant d’autres pays européens, est devenue en quelques mois une puissance/une puissance militaire de troisième zone, – et pourra-t-elle se relever d’une telle performance ? »

• Les USA sont entrés en campagne, – bien plus que se tourner de l’Europe vers l’Asie, cette tendance américaniste du type-monstre du Loch Ness agitée régulièrement comme une menace, qu’on nous ressort régulièrement tous les quatre ans depuis trois-quarts de siècle, – laquelle, malheureusement, ne s’est jamais réalisée. Par ailleurs, il y a une bonne chance qu’à cause des circonstances spécifiques que nous connaissons, nous assistions à ceci : les USA ne vont pas se tourner vers quoi que ce soit parce qu’ils sont à bout de souffle, pressés sur leur frontière Sud avec un comportement insupportable pour leurs voisins, et plongés dans une pathologie mentale qui regroupe toute la préoccupation de cette nation autour du sort de Trump et de Stormy Daniels, et des folies du wokenisme. Certes, cette évolution des USA, en accélération constante, nous offrira un changement bienvenu.

• Pendant ce temps, la progression des désertions des anciens satellites colonisés de l’Ouest Collectif est fulgurante, au bénéfice d’organisations rivales, – qui deviennent rivales par la forces des choses, – BRICS et OCS, notamment. Le cas de l’Arabie est sans doute le plus exemplaire, vues la rapidité et la fermeté des décisions anti-bloc BAO de l’Arabie, par rapport au jugement qu’on avait de ce pays, d’asservissement confortable aux  consignes US. L’on constate de tous côtés de tels déplacements politiques, et certains parlent à l’Amérique sur un ton jamais imaginé auparavant.

Note de PhG-Bis : « Ceci par exemple, comme signe de l’humeur ambiante et pour en finir, – pour l’exemple, – à propos de la maturation de ‘Ukrisis‘ :

“‘Nous devons donner une leçon à l'Amérique lors de ces élections’, a déclaré Erdogan, cité par Anadolu.

“L'ambassadeur [des USA] Flake a rencontré le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kilicdaroglu, le 29 mars, ‘dans le cadre de conversations continues avec les partis politiques turcs sur des questions d'intérêt mutuel entre nos deux pays’, selon un tweet de l'ambassade américaine.

“‘Nos portes lui sont fermées, il ne peut plus entrer. Il doit rester à sa place’, a ajouté le président Erdogan. ‘Honte à vous et pensez avec votre tête. Vous êtes un ambassadeur. Votre interlocuteur ici est le président’.” »

Voilà le “nouveau monde”...