Notes sur Boeing versus USA

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Notes sur Boeing versus USA

23 janvier 2020 – D’une façon générale, les dernières semaines et même les derniers jours ont vu une détérioration pour la première fois évidente de la position politique de Boeing, alors que les problèmes du 737Max ne cessent de s’accumuler, les nouveaux s’ajoutant aux précédents et aux anciens non encore résolus. Désormais, c’est le programme lui-même qui est directement menacé, et par voie d’enchaînement “en cascade”, l’on peut confirmer et renforcer l’hypothèse que nous faisions dès le premier jour de cette crise que c’est le sort de Boeing qui est en jeu. 

(Le  14 mars 2019 : « Bien, on dira : même au pire de l’affaire des 737Max, Boeing ne peut pas s’écrouler, comme on vous assure de la virginité de Marie… C’est ce qu’on disait de General Motors, de Lehman Brothers, de Wall Street en 1929, etc. Le problème de Boeing, c’est que son joker-737Max est menacé et que le même Boeing a déjà suscité, par son attitude de déni complètement faussaire dès l’origine du programme Max, un front international contre lui. »)

Évoquer une “position politique” de Boeing désormais en cours d’érosion, voire de dégradation, c’est évoquer la place de la principale puissance de ce géant de l’industrie aérospatiale US dans le pouvoir du système de l’américanisme : son influence absolument énorme, sa capacité de corruption sans limites, sa capacité de peser sur les décisions politiques de politique étrangère et de sécurité nationale les plus importantes en fonction de ses intérêts. 

L’hypothèse est que tout cela est déjà en train de s’éroder alors que la puissance de Boeing est, comme toute puissance au sein du système de l’américanisme, une “puissance aux stéroïdes”, avec une part considérable de communication et donc de simulacre ; et cette puissance constamment menacée du fait de cette part de simulacre, par une fragilité latente effectivement dans une mesure inverse aussi importante.

(“Plus on est puissant, plus on est fragile” écririons-nous, comme antithèse du “too big to fall” qui est le slogan décrivant le caractère même du simulacre. La “puissance” accumulée est aujourd’hui essentiellement dans le domaine de la communication, lorsqu’il s’agit d’une puissance politique, hors du domaine direct d’activité de Boeing. Ce qui est communication est, dans l’environnement américaniste et du Système, nécessairement simulacre. Le “too big to fall” renvoie directement au simulacre.)

Par conséquent, il nous paraît juste d’écrire que la crise du 737Max est en train de devenir une crise politique, et qu’elle est en train de devenir purement et simplement la “crise Boeing”.

Trump est tellement déçu...

Nous énumérons quelques-uns des plus récents événements concernant la crise du 737Max, et ce qui justifie notre jugement sur la position (politique notamment, en plus du reste) de plus en plus fragile et vulnérable de Boeing. L’aspect psychologique de l’absence désormais totale de confiance en Boeing joue un rôle important, comme c’est toujours le cas avec la communication.

• D’abord, il y a ce communiqué de Boeing, qui est actuellement à la recherche d’un emprunt de $5 milliards... De ce texte, on retiendra une chose : Boeing pense “raisonnablement” que le 737Max sera remis en service en juillet 2020.

Donc, Ecce Boeing, ce communiqué du 21 janvier 2020 : « Comme nous l'avons souligné, la FAA et d’autres régulateurs mondiaux détermineront quand le 737 MAX sera remis en service. Cependant, afin d’aider nos clients et fournisseurs à planifier leurs opérations, nous leur fournissons périodiquement notre meilleure estimation du moment où les régulateurs commenceront à autoriser la remise en service du 737 MAX. Nous informons nos clients et nos fournisseurs que nous estimons actuellement que la remise en service du 737 MAX commencera au milieu de l'année 2020. Cette estimation actualisée est fondée sur l’expérience que nous avons acquise jusqu’à présent dans le cadre du processus de certification.
» Elle est soumise à nos efforts continus pour faire face aux risques connus liés au calendrier et aux développements ultérieurs qui pourraient survenir dans le cadre du processus de certification. Elle tient également compte de l’examen rigoureux que les autorités de régulation appliquent à juste titre à chaque étape de leur examen du système de contrôle de vol du 737 MAX et du processus du Conseil d'évaluation des opérations conjointes qui détermine les besoins en formation des pilotes.
» La remise en service du MAX en toute sécurité est notre priorité numéro un, et nous sommes convaincus que cela se fera. Nous reconnaissons et regrettons les difficultés persistantes que l'immobilisation du 737 MAX a présentées à nos clients, nos régulateurs, nos fournisseurs et le public voyageur. Nous fournirons des informations supplémentaires sur nos efforts pour remettre le 737 MAX en service en toute sécurité dans le cadre de nos publications financières trimestrielles la semaine prochaine. »

• Quelques heures plus tard ce même 21 janvier, l’autorité fédérale de régulation de transport aérien, la FAA (Federal Aerospace Agency), met les choses au point bien que Boeing ne l’ait à aucun moment impliquée ni même nommée (simplement : « ... l'examen rigoureux que les autorités de régulation appliquent à juste titre à chaque étape de leur examen du système de contrôle de vol du 737 MAX... »). Selon le résumé qu’en fait ZeroHedge.com :

« L’agence suit un processus minutieux et délibéré pour vérifier que toutes les modifications proposées au Boeing 737 MAX répondent aux normes de certification les plus élevées... [...]
» Nous [dit la FAA] n’avons fixé aucun délai pour l’achèvement des travaux. »

• Pendant le cours de cette journée, les actions de Boeing ont naturellement  brusquement chuté  de 6%. Ce qui était une tentative de Boeing de rassurer ses divers interlocuteurs, notamment le monde de la finance, produit immédiatement l’effet inverse.

• Pour tenter de rattraper l’effet manqué du communiqué annonçant la possible reprise des vols en juillet aussitôt contrée par la FAA, le nouveau CEO de Boeing, Dave Calhoun, donne une conférence de presse où il annonce que Boeing recommencera à produire des 737Max « bien avant » la reprise des vols (la production a été arrêtée en décembre), exprimant ainsi sa confiance dans la décision de recertification de vol pour juillet, justifiée selon lui par des rapports très encourageants de pilotes.

Le  même texte  de RT.com qui reprend la nouvelle la “complète” par le détail d’une avalanche de prises de position d’association de pilotes de ligne US en activité extrêmement critiques, l’une d’elles qualifiant la conduite de Boeing comme « au-delà du pire qu’on pouvait craindre ». Dennis Tajer, représentant l’Allied Pilots Association qui regroupe 15 000 pilotes d’American Airlines, résume la situation psychologique pour le Financial Times : « C’est comme le jeu de Jenga,[la confiance]est de plus en plus haute, toujours plus haute, et puis tout d’un coup elle s’effondre complètement, d’autant plus complètement qu’elle est très haute. »

• Enfin, fait important sinon décisif pour déterminer une nouvelle phase du calvaire de Boeing, une intervention très sévère de Trump lors d’une interview avec CNBC. Son intervention est présentée par ZeroHedge.com, de plus en plus “trumpiste” en évoquant une mesure de sauvegarde d’une étrange facture compte tenu de l’ampleur du désastre, – changer le nom du programme, oublier le “737 Max”, comme si le rebaptiser “737 Phénix” ou “737 Extra” suffirait à le faire voler en toute sécurité et rétablir la confiance des utilisateurs...

« Alors que les appels pour que Boeing change le nom de son 737 Max-8 s’intensifient, le président Trump a une fois de plus eu raison lorsque, l’année dernière, il avait suggéré que Boeing change le nom du Max.
» Devant le calendrier incertain de remise en service du Max, Trump s'est dit “très déçu” par Boeing, et s’est exclamé que les difficultés de la compagnie pourraient faire perdre aux USA plus d'un demi-point de pourcentage au PIB.
» “Je suis tellement déçu par Boeing... leurs problèmes ont un impact énorme. [...] Vous savez, quand vous en parlez en terme de croissance, cette crise est si importante que certains disent qu’elle pourrait nous coûter un demi-point de notre PIB. Alors Boeing, hein... Une grande, grande déception pour moi. Une énorme déception”. »

Vertige de l’effondrement du 737 Max

Dès la  mi-décembre 2019, il est apparu que le manque-à-exporter (Boeing est le premier exportateur US) résultant de la crise 737Max pourrait effectivement coûter un demi-point du PIB aux USA en 2020 et éventuellement faire passer l’économie US en récession. L’ampleur de la casse est mesurable lorsqu’on compare les projections de livraison d’avions Boeing en 2019 qui était de 860 avant la crise, et qu’en réalité Boeing a livré 370 avions en 2019.

L’annonce de la décision de relancer la production avant la très-hypothétique recertification fixée par l’expertise prospective de Boeing et complètement méprisée par la FAA est une mesure de panique, pure décision de relations publiques. S’il y a quelque chose qui n’est pas urgent actuellement, au meilleur cas où la crise serait résolue dans les meilleurs délais, c’est la relance de la production. Pour l’instant, Boeing a 400 biréacteurs 737Max sur ses parkings, en attente de livraison, et qui devraient subir des modifications substantielles pour réparer toutes les voies d’eau avant d’être livrés. Les “experts” qui pontifient autour de Boeing estiment qu’il faudra une année et demie à Boeing pour écouler son stock de non-livrés et boucler la crise dans son état actuel.

... Et tout cela, dans le meilleur des cas, si la crise est techniquement résolue au point où elle en est sans aggravation supplémentaire, si le 737Max redevient apte à voler dans des conditions de sécurité qui seront évidemment draconiennes. Rien n’est assuré de ce point de vue, et plus le temps passe, plus le délai de recertification s’allonge, plus se renforce la possibilité de l’abandon complet du programme... C’est-à-dire, une catastrophe apocalyptique pour Boeing qui a 5 000 exemplaires du 737Max en commande pour 370 livrés, – et au-delà, la possibilité d’ une catastrophe apocalyptique pour les USA. Il y a deux semaines, les analystes de la Bank of America notaient dans une revue interne : « Nous recevons de plus en plus de signes de préoccupation de la part de nos investisseurs concernant la probabilité que le Boeing 737 MAX ne soit jamais remis en service. »

La “crise Boeing”, crise politique

Lorsque nous disons que la crise du 737Max est devenue à la fois une crise politique et la “crise Boeing”, c’est à partir du constat de l’isolement grandissant de Boeing dans le système de l’américanisme. Deux faits infèrent directement dans ce sens :

• La réaction de la FAA est particulièrement révélatrice, alors que, comme nous l’avons souligné, à aucun moment Boeing ne prétend parler au nom de l’organe fédéral. La mise au point de la FAA est donc inutile du seul point de vue des faits, et si elle est faite c’est implicitement pour souligner qu’il n’y aucune raison d’accepter la prospective de Boeing, donc qu’il importe désormais de mesurer la confiance qu’on peut accorder à Boeing pour son expertise et son savoir-faire. 

Il y a un an encore, la FAA et Boeing était comme cul et chemise, et l’organe fédéral, absolument corrompu par l’avionneur agissait quasiment “sur ordre“ de Boeing pour la régulation et les opérations de certification. Si la FAA a effectué ce virage à 180°, c’est parce qu’il ne fait plus bon du tout être “ami de Boeing” aujourd’hui, au niveau de la communication et des relations publiques qui règlent l’essentiel de la position dans le Système. A partir de cela, on peut aller plus loin dans l’hypothèse et observer que si l’organe fédéral se montre si agressivement pointilleux avec l’avionneur c’est qu’il en a reçu l’autorisation, voire l’incitation à le faire de l’administration fédérale.

• En un sens, les commentaires de Trump complètent l’interprétation qu’on peut donner de l’attitude de la FAA. Le président US, qui favorise en général le Corporate Power et particulièrement les industries de hautes technologies, et plus encore les industries exportatrices, se devait d’être un soutien constant de Boeing. Il ne l’est plus du tout et place même Boeing en position d’accusé.

Il y a là une réaction assez normale d’un président qui ne raisonne qu’en termes capitalistes d’exportation et de marché, et bien plus encore dans une année électorale des présidentielles, où Trump fait porter l’essentiel de son argumentation pour sa réélection sur le boom économique que son action a engendré. Que l’on pense ce qu’on veut de cette affirmation de boom économique dans le cadre de l’économie réelle, – et il y a beaucoup à en dire, – mais il importe pour que le simulacre tienne sa vraisemblance face à l’électorat d’écarter tout risque, tout soupçon, toute menace de catastrophe industrielle majeure qui mettrait également en péril le puissance exportatrice des USA, et la situation du pays lui-même telle qu’elle est présentée dans le simulacre.

• Par conséquent, – oui, “crise politique” sans aucun doute, à la fois pour le paysage politicien le plus sordide, à la fois pour la puissance des USA d’une façon générale. Qui plus est, il s’agit d’une crise qu’on ne peut résoudre par les tours de passe-passe habituels, comme l’on fait par exemple pour la finance et Wall Street, en renflouant les banques avec du papier imprimé par tonnes. Boeing travaille sur du réel, et la réalité dans ce cas se trouve dans l’absolue nécessité de la bonne sécurité d’un avion dont on ne cesse de découvrir les travers, les faiblesses, les vulnérabilités structurelles, parce qu’il a été conçu dans l’urgence pour contrer Airbus et son A-320Neo, pour des raisons financières et comptables, hors de toutes les traditions de l’industrie aérospatiale.

Solitude de Boeing

Cette crise devenue politique infère également la très-grande solitude de Boeing, comme le voit avec l’attitude de la FAA et des autorités fédérales, alors que le reste de l’industrie se contente de voir venir sans le moindre souci de solidarité.

(Bien au contraire : s’il devait y avoir une préoccupation de l’un ou l’autre concurrent en cas d’avatar majeur de Boeing, la préoccupation serait d’envisager de reprendre si le Pentagone le jugeait souhaitable certaines parties ou plus des activités militaires de l’avionneur.)

Cette “solitude de Boeing”, qui répond à sa responsabilité dans la situation où ses pratiques irresponsables l’ont mise, se mesure essentiellement au risque que la crise fait courir à l’économie de l’américanisme. Comme nous l’avons déjà rappelé, le facteur psychologique est essentiel, dans ce cas par un effet d’entraînement catastrophique ; non seulement la masse brute en crise du géant industriel qu’est Boeing interfère sur cette situation économique et bien entendu sur les exportations, mais également la dynamique et l’effet catastrophique d’entraînement en cas d’aggravation de la situation. Dans notre citation de ce rappel que nous faisions en  mars 2019, il y avait l’évocation d’un précédent que l’histoire officielle ignore généralement :

« Or, il ne s’agit pas que de Boeing, il s’agit de bien plus que de Boeing
» Un rappel d’abord, selon cet axiome qui nous gouverne, selon lequel il faut tenir compte de tous les facteurs, y compris et même d’abord, avant tous les autres, du facteur psychologique. Dans un des textes de la rubrique ‘Glossaire.dde’ sur le moment historique fondamental selon nous du “Trou noir du XXème siècle” (1945-1948), nous avons rapporté comment en 1946-1948, l’industrie aéronautique US avait failli s’effondrer, comment elle avait été sauvée de justesse par le gouvernement US et ses commandes militaires après l’interprétation-simulacre par l’américanisme, par Forrestal (Pentagone) et par Marshall (département d’Etat) du “coup de Prague” du 27 février 1948. L’intervention gouvernementale, bien entendu complètement en opposition aux pratiques capitalistes, – What else ? –fut accomplie pour la raison essentielle que cet effondrement imminent de l'industrie aéronautique risquait  d’entraîner les USA dans une nouvelle Grande Dépression essentiellement par l’effet psychologique. L’enjeu est considérable et de cet ordre, aujourd’hui avec Boeing, – beaucoup plus psychologique, presque magique si l’on évoque la puissance et l’écho du nom de Boeing, que par les simples calculettes et graphiques des comptables-économistes. »

Aujourd’hui, la situation est bien entendu complètement différente (l’industrie aérospatiale s’est intégrée en un très petit nombre d’entités, dont les deux géants Boeing et Lockheed-Martin). Il n’est pas dit que la puissance publique pourrait intervenir de la même façon, ni qu’elle le pourrait par ses moyens propres, ni qu’elle y parviendrait dans l’imbroglio ainsi créé : si le programme 737 Max est réellement pourri, rien ne pourra le sauver au stade de développement où il en est, et si le programme 737 Max s’effondre il sera très difficile de sauver Boeing... Au reste et d’ici là, selon ce scénario-catastrophe, la situation catastrophique sera passée de Boeing seul à l’ensemble de l’industrie, c’est-à-dire de l’économie du système de l’américanisme.

Aujourd’hui, la “solitude de Boeing” commence à ressembler à celle du pestiféré autour duquel se dessine la question : comment éviter la contagion ?

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