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1354La crise conduit à des situations étranges et inédites, où l’on retrouve, selon l’expression américaine, des situations de “strange bedfellows”, – ou encore, selon l’expression en vogue au temps de l’affrontement autour du communisme, d’étranges “compagnons de route”, mais cette fois sans machination humaine organisatrice, simplement par les logiques paradoxales des situations. L’accélération et l’aggravation de la crise conduisent effectivement à une certaine “libération” des réflexions et des observations, à une intégration progressive des événements dans des conceptions plus vastes, à l’apparition de jugements plus fermes, qui peuvent paraître de plus en plus paradoxaux à mesure que la crise laisse voir de plus en plus clairement son caractère de rupture.
Il s’agit ici de la situation de la crise sectorielle de l’industrie automobile aux USA, et du débat autour de l’aide fédérale qui lui est finalement accordée après diverses péripéties. On cite un texte du commentateur britannique George Monbiot, dans le Guardian ce matin; Monbiot, dont les positions extrêmes vis-à-vis, ou plutôt à l’encontre du capitalisme sont connues; positions de principe, mais également appuyées sur une vigoureuse promotion de la nécessité d’une transformation radicale de notre système à cause, notamment, de la pression grandissante de la crise climatique qui exige une telle rupture. Dans ce cas de l’industrie automobile, Monbiot, qu’on identifie ainsi comme proche de la gauche radicale et “altermondialiste”, se retrouve aux côtés des républicains extrémistes (de droite) qui ont voté contre le plan d’aide fédérale au Sénat. «It's not often that I find myself on the same side as right-wing Republican politicians. But for the past two weeks I've been cheering the neocon nutcases as they tried to prevent the big motor manufacturers from receiving government money for their failed business model.»
Le titre du billet de Monbiot sonne effectivement comme la profession de foi d’un hyper-libéral, “social-darwinien”, partisan de laisser mourir une industrie qui n’a pas su s’adapter au progrès technologique et gestionnaire du capitalisme dans sa marche en avant prédatrice: “Laissons mourir Detroit” («Let Detroit die»). La contradiction, explique Monbiot, n’est qu’apparente, ou bien elle est circonstancielle, qu’importe...
«There might have been some justification for bailing out the banks – their collapse would have brought the rest of the global economy down – but there is no excuse for this new round of corporate socialism. The potential failure of GM, Chrysler and Ford, like that of Jaguar Land Rover, is entirely of their own making. Long after it became clear that people wanted smaller, more economical cars, they continued to produce monstrous guzzlers. As SUVs rust in showrooms all over America, it looks as if the only thing which will sustain the “Big Three” over the next year or two is even more government money.
»Now that the US package has been approved, European manufacturers will clamour even more loudly for the €40bn they say they deserve for being almost as useless as their competitors across the Atlantic. The British government has already been in talks with Jaguar Land Rover - one of Europe's dirtiest companies – to keep the pollution flowing at state expense. If this bail-out goes ahead, British taxpayers will be paying an Indian company to produce cars for the wealthy, to help them drive the world towards climate breakdown. What a great deal.
»Just think what could be done with money like this if it were invested instead in a green energy revolution. Not only would it stimulate lasting manufacturing jobs, it could also fund the emergency measures required to prevent runaway climate change. But on both sides of the Atlantic, governments plead poverty when they are asked to invest in the future, then lavish funding on the past. Never underestimate the lobbying power which lurks behind sunk costs.»
...Monbiot pourrait aussi relever que la plupart de ces républicains récalcitrants représentent des Etats sudistes, qu’ils se sont révoltés contre le plan d’aide aux constructeurs automobiles de Detroit parce qu’il n’y a pas l’équivalent pour le Sud, que tout cela fait renaître les accents de la Guerre de Sécession. Dans ce cas également, il se retrouverait dans une bien étrange compagnie, “strange bedfellows” à nouveau. Cela ajouterait à la confusion, à condition qu’il soit bien question de confusion.
Le fait est que la grande crise réduit tous les affrontements classiques, notamment idéologiques, à une portion de plus en plus congrue. Le fait est que le système, par les pressions terrible que génère sa crise, expose aussi bien les “contradictions internes” des anciens affrontement idéologiques que ses propres “contradictions internes”. Tout cela augmente la confusion d’apparence. La puissance de l’affirmation du systèmes dans ces dernières années, suivie de la puissance de sa crise, mettent de plus en plus en évidence combien ces affrontements idéologiques ont constitué souvent des leurres utiles, comme des situations qui seraient des “idiotes utiles”, détournant l’attention du principal et affaiblissant des forces qui auraient pu affaiblir le système. Le système avait toujours favorisé ces affrontements idéologiques, en en tirant partie comme il pouvait. Aujourd’hui, il apparaît que les “contradictions internes” des adversaires idéologiques sont de plus en plus souvent de peu de signification, et de conséquences assez faibles, à côté de l’ampleur de l’affrontement avec le système confronté à sa crise (dans ce cas, les “contradictions internes” pèsent de tout leur poids). Le commentaire de Monbiot signifie qu’il suffit de comprendre que l’essentiel est devenu, aujourd’hui, la lutte contre le système, par tous les moyens, sans s’offusquer de rencontres inattendues. La tâche principale devient alors de déterminer ce qui, dans les événements divers qui secouent notre temps historique, est le plus dommageable au système. Monbiot estime que la mort de l’industrie automobile US, malgré tous ses effets sociaux, portera un rude coup au système, et c’est en fonction de certte analyse (qui se discute, bien sûr) qu’il se situe en l’occurrence, – et tant pis pour les “strange bedfellows”.
Mis en ligne le 20 décembre 2008 à 18H51