Mélenchon, “la rue” et le putsch

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Mélenchon, “la rue” et le putsch

On observe depuis l’intervention de Mélenchon à Marseille le 27 août à la fin de l'“Université d'été” de son mouvemet une grande agitation en France, marqué par divers conciliabules attendus ou inattendus, des entretiens passionnés et assez antagonistes comme celui de Bourdin interviewant Mélenchon dans le style baston et dogfight (plutôt dans la rue que dans les cieux)... “La rue”, justement, c’est le soupçon de Bourdin à l’encontre de Mélenchon, partagé par divers jugements. Mélenchon emploie le langage de l’insurrection, du “coup d’État”, à commencer par “le coup d’État social” dont il accuse Macron et ses acolytes de l’avoir accompli avec ses “ordonnances”. Par conséquent, c’est-à-dire selon la logique des mots, le “coup d’État” appelle à une riposte sous la forme d’une révolte insurrectionnelle. Facilitée par les sondages catastrophiques pour Macron, la rentrée en France se fera sur un rythme d’insurrection sociale, pour l’instant avec deux manifestations annoncées (celle de la CGT le 11 septembre et celle de Mélenchon et de sa France Insoumise le 23 septembre).

Par simple défaut et élimination, et aussi par son abattage, son verbe et sa capacité à saisir le moment opportun pour l’action, Mélenchon s’affirme comme chef non seulement de la gauche d’opposition, mais quasiment de toute l’opposition. On lira donc avec intérêt un portrait et une attaque virulente de WSWS.org contre Mélenchon, – les gardiens du temple et de l’orthodoxie trotskiste contre la crapule transfuge du trotskisme, et traître au trotskisme par l’intermédiaire de la tendance lambertiste, – fractionniste, relaps et hérétique...

L’intérêt du texte de WSWS.org est qu’il met bien en lumière, tous les aspects que le groupe orthodoxe qualifie évidemment de droitier-démagogique-populiste chez Mélenchon ; cela avec les outrances qu’il faut comme l’on dirait, pour brouiller les pistes, d’un hommage du vice à la vertu (ou bien hommage de la vertu au vice ?). Le fait est que Mélenchon, s’il a un projet sérieux, doit nécessairement “nationaliser” si l’on peut dire son discours pour profiter de la crise du FN et aller chercher des soutiens/des électeurs sur cette frange de l’opposition. Il s’agit comme toujours de la possibilité ou pas d’un rassemblement antiSystème, rassemblant les antiSystème de droite et de gauche. Paradoxalement, la critique de WSWS.org met en évidence ce que les purs trotskistes jugent être des tendances fautives chez Mélenchon, mais qui sont par ailleurs des nécessités politiques si le personnage veut, selon les opportunités, arriver à un résultat marquant.

Le texte WSWS.org du 5 septembre 2017, de Anthony Torres, est ci-dessous. On s’est permis de raccourcir le titre qui, sur l’original, est vraiment un peu trop lourd dans son incorrection (« Mélenchon tend un piège nationaliste à l'opposition aux attaques de Macron »).

dde.org

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Mélenchon tend un piège à l’opposition

La perspective proposée par Jean-Luc Mélenchon dans son discours de clôture à l'université d'été de la France Insoumise à Marseille pour s'opposer aux réformes du Code du Travail par ordonnances voulues par Macron est un piège pour les travailleurs et les jeunes qui veulent se mobiliser contre Macron. La tâche proposée est l’unification des travailleurs en Europe dans une lutte révolutionnaire contre l'austérité et le militarisme. Alors que la colère sociale monte à travers tout le continent, Mélenchon est opposé à une stratégie révolutionnaire ; il veut lancer un mouvement populiste et nationaliste à l'intérieur de la seule France, compatible avec une stratégie d'entrée dans un gouvernement de Macron.

Dans son discours, Mélenchon a insisté sur l'idée qu'il ne s'adressait pas aux «salariés organisés», mais au «peuple». Plutôt que de lutter pour rompre le contrôle organisationnel sur les salariés organisés des appareils syndicaux qui négocient les ordonnances avec Macron, il s'en accommode. Mais, sachant que les syndicats sont largement discrédités, Mélenchon veut lier les travailleurs et les jeunes qui se mobiliseraient indépendamment des syndicats à un mouvement populiste contrôlé par lui.

D’où l’appel à un rassemblement en dehors de celui organisé par la CGT : « Le 23 septembre prochain il faut que le peuple déferle à Paris contre le coup d’État social, contre le coup d’État antidémocratique qui s’organise contre lui.» Il a expliqué : «En quelques nuits, tout le Code du travail a été détruit. Les tout puissants quand ils vous accordent un moment pour bavarder avec vous et bien ils estiment que la discussion est possible avec eux à partir du moment où ils ont raison à la fin. Personne n’a voté pour cette inversion de la hiérarchie des normes».

S'il critique les politiques d'austérité voulues par Macron, Mélenchon s'y oppose dans une perspective chauvine. Il a déjà minimisé la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs sous l'Occupation et applaudi les critiques de Macron par le général Pierre de Villiers, qui était hostile aux réductions du budget militaire voulues par Macron. Dans son discours de clôture, Mélenchon a dénoncé les travailleurs détachés venant d'Europe de l'Est pour trouver du travail en France. Alors que c’est Macron et toute la bourgeoise européenne qui détruisent les acquis sociaux, il a pointé les travailleurs étrangers du doigt : «Le statut du travailleur détaché n’est pas acceptable, nous ne l’avons pas accepté et si nous avions la responsabilité de ce pays, nous n’aurions pas un seul poste de travailleur détaché en France.»

Cela souligne que Mélenchon propose une impasse politique aux travailleurs cherchant à défendre leurs acquis contre les attaques de Macron. Sa perspective n'a rien à voir avec une stratégie socialiste et révolutionnaire pour la classe ouvrière contre le capitalisme européen. Il s'accommode de la domination des mobilisations ouvrières par les coquilles vides des syndicats, en marge desquels il veut développer un mouvement populiste coupé des alliés naturels des travailleurs français : les travailleurs du reste de l'Europe et du monde.

L'orientation nationaliste et la division du travail avec les syndicats que propose Mélenchon témoignent du gouffre de classe qui le sépare du Parti de l'égalité socialiste (PES). L'état d'urgence et la répudiation par la bourgeoisie européenne des droits sociaux acquis par la classe ouvrière sur des générations de lutte au 20e siècle marquent une crise historique du capitalisme. Mais Mélenchon est hostile à une lutte pour l'indépendance politique du prolétariat et à une lutte révolutionnaire du prolétariat pour le socialisme, sur le modèle de la révolution d'octobre 1917.

Il veut passer des alliances avec l'appareil sécuritaire qui impose l'état d'urgence et a réprimé les manifestations contre la loi travail en 2016. Lors de son discours de clôture, Mélenchon a insisté sur l'idée que son mouvement doit être compatible avec l'exercice du pouvoir sous la présidence de Macron : «Nous devons être prêts à gouverner à tout instant. Sil le fallait, demain nous serions prêts à gouverner.»

Mélenchon a dit vouloir collaborer avec les ministres de Macron : «Le ministre Nicolas Hulot a annoncé qu’il organiserait un plan de sortie des hydrocarbures. Nous allons l’observer avec intérêt, et chaque fois qu’il le faudra, nous aiderons.» Mélenchon a dit que si le gouvernement lançait la fermeture des 17 réacteurs nucléaires, il le soutiendrait et applaudirait.

Après avoir remercié la commune de Marseille pour la bonne entente avec les élus, Mélenchon a également salué la police qui «a assuré notre protection». Il a ajouté : «S’il vous plaît, nous savons que beaucoup d’argent est en train de se déployer pour vous donner des moyens matériels de procéder à des répressions. Nous comprenons les tâches qui sont celle de l’ordre public, mais nous nous croyons en une police gardienne de la paix, pas une police de combat contre le peuple. Et vous autres les policiers républicains, intervenez pour que cessent ces méthodes absurdes mises en place par le ministre Cazeneuve, qui consistent à enserrer dans des nasses des manifestants, pour ensuite leur lancer des gaz lacrymogènes.»

Les appels que Mélenchon lance en direction de la police sous l’état d’urgence sont un avertissement pour les travailleurs. Mélenchon, qui veut gouverner sous Macron, cherche une alliance avec la police et l’armée ; ce n'est pas par hasard qu'il a soutenu de Villiers après que celui ci fut limogé pour avoir protesté contre les coupes budgétaires de Macron.

Ses appels réactionnaires en direction de la police, visant à semer la confusion sur l'état d'urgence et désarmer les travailleurs face aux dangers d'une dictature en France, n'épargneront pas la répression aux travailleurs et aux jeunes mobilisés contre Macron. Ils indiquent en revanche que Mélenchon ne s'opposera pas aux assauts de la police contre les personnes qui se mobiliseront contre Macron.

Le soutien de Mélenchon à la police et à l’état d’urgence souligne aussi le gouffre politique entre La France Insoumise et les millions de personnes qui avaient voté pour Mélenchon à la présidentielle. Il avait obtenu un soutien parmi de larges sections de jeunes et de travailleurs au premier tour de la présidentielle, en protestant contre les inégalités sociales et le bombardement par Trump de la Syrie.

Au second tour entre Macron et Le Pen, Mélenchon a carrément refusé de donner une ligne politique. Il a foulé aux pieds le vote de ses propres adhérents sur le second tour, favorable au boycott actif prôné par le PES, afin d'empêcher l'émergence d'un mouvement d'oppositoin large et puissant sur la gauche de Macron. Ceci a préparé la situation actuelle, où Macron prépare ses attaques avec les syndicats, face à l'opposition purement verbale d'une poignée de députés LFI à l'Assemblée.

Mélenchon s’appuie sur une fausse perspective historique et politique en défense du PS et des politique antitrotskistes de la pseudo gauche post-soixante-huitarde : «Nous sommes conscients de nos responsabilités, le peuple français nous a placé en tête du premier tour dans des dizaines de villes du pays. C’est donc à nous, après que pendant plus de 40 ans ce fut le PS, qui a mené jusqu’au point que vous savez. Si tant de chose ont été gagnées par le passé, il ne faut pas l’oublier. Personne ne peut oublier tout ce que le Programme Commun nous a apporté, personne ne peut oublier comment nous avons eu notre 5e semaine de congés payés.»

Ce commentaire met en évidence la perspective antitrotskyste qui sous-tend la perspective nationaliste, pro-syndicale, et pro-policière de LFI. Le Programme Commun n'a pas été une victoire mais un piège pour la classe ouvrière. Alors que l'influence du PCF diminuait parmi les travailleurs en raison de sa trahison de la grève générale de Mai-juin 1968, des forces qui avaient rompu avec le trotskysme, divers sociaux-démocrates et anarchistes, et les milieux intellectuels petits-bourgeois se sont rassemblés autour de Mitterrand, l'homme politique bourgeois et ex-vichyste qui a fondé le PS.

C’est sur cette perspective-là que Mélenchon – un ex-membre de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert, qui avait rompu avec le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) pour s'allier à l'Union de la gauche avec le PS et le PCF – a rejoint le PS. Et après sa victoire aux présidentielles en 1981 et son «tournant de la rigueur» en 1982-1983, le PS s’est avéré être un parti de l’aristocratie financière qui menait des attaques brutales contre les acquis sociaux et désindustrialisait des régions entières.

La promotion par Mélenchon de cet héritage politique réactionnaire souligne qu'il ne tente pas de mobiliser les travailleurs en lutte, mais de leur tendre un nouveau piège politique après la désintégration politique du PS.

Anthony Torres (WSWS.org)

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