Logique dévolutionniste : les États contre la NSA

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Logique dévolutionniste : les États contre la NSA

On se rappelle que nous signalions, dans un texte du 11 juillet 2013, le cas du Montana qui travaillait à une loi de la législature de l’État, qui n’avait rien à voir avec la crise Snowden/NSA mais qui serait nécessairement opérationnelle contre les pratiques de violation de la vie privée de la NSA. Antiwar.com fait une rapide revue d’un mouvement nouveau, qui progresse dans nombre d'États de l’Union (au moins une dizaine), qui se précise de plus en plus dans un sens dévolutif particulièrement marquée, et cette fois en rapport antagoniste direct de l'action de la NSA. (Le 1er novembre 2013.)

«As public outrage continues to grow at the NSA surveillance state, the efforts at Congressional reform still seem on the distant horizon, with a lot of obstacles to getting anything done in a timely fashion. That’s giving privacy laws a shot in the arm on the state level, with many state representatives seeing a chance to get out in front of the scandal while the national legislature remains deadlocked. The Pennsylvania legislature is moving forward to investigate the NSA, and at least 10 other states have resolutions aimed at restricting data collection, particularly as it is liable to end up in the NSA’s hands.

»Microsoft, one of the first PRISM cooperators, was quick to reject the idea of state-level reforms, saying that online privacy was a “national or an international issue” and that state laws would be “counterproductive” and inconvenient for them personally.»

Au moment où l’on s’est intéressé à cette loi du Montana, et compte tenu du fait que l’esprit et la forme dataient de l’“ère pré-Snowden”, on se trouvait en présence d’un document et d’une initiative politiques incomplètes par rapport à l’analyse qu’on en pouvait tirer, et encore difficiles à véritablement interpréter. C’est dans ce sens que nous présentions ce document, dans le texte référencé plus haut. (Le 11 juillet 2013, notamment avec ce passage citant le représentant Zolnikov, député républicain de la législature du Montana, auteur du projet de loi impliqué. On trouve dans ce passage un texte référencé sur l’évolution structurelle, ou déstructurante, des USA, le 8 juillet 2013.).

«Nul n’ignore, et Zolnikov en premier, que cette loi du Montana est frontalement et fondamentalement opposée aux législations policières et de surveillance du gouvernement fédéral. Par conséquent, le cas ira très probablement devant la Cour Suprême, à l’initiative du gouvernement fédéral et au nom de la prééminence théorique de la législation fédérale sur les législations des États de l’Union. Le climat est, aujourd’hui et depuis le 6 juin, radicalement différent de ce qu’il était le 6 mai, lorsque la loi fut entérinée par le gouverneur du Montana, et ce qui aurait été un cas mineur avec peu de chance de tenir devant le bulldozer juridique et ses moyens de pression du gouvernement fédéral en temps normal, devient beaucoup plus ouvert dans le climat qu’on connaît dans l’époque post-Snowden. Dans ce cas, cet événement local et anodin a toutes les chances de devenir l’avant-garde d’un mouvement national d’affrontement entre les États de l’Union et le gouvernement fédéral, avec des effets internationaux à mesure.

»On tiendra d’autant plus pour cette hypothèse qu’il faut placer le cas dans le cadre général qu’on a décrit le 8 juillet 2013, sur la “balkanisation-dévolution” rampante des USA, États-versus-centre, et que le centre ne cesse de s’affaiblir dans sa mécanique institutionnelle, législative et exécutive d’exercice direct du pouvoir. Plus encore, le cas est d’autant plus intéressant que la faiblesse du gouvernement fédéral ne l’empêcherait pas d’être intransigeant dans une telle occurrence, parce que ce n’est pas lui qui est en cause mais la puissance anciennement occulte et désormais à ciel ouvert (du point de vue de la communication) du monstre-NSA, et que le gouvernement fédéral en est pratiquement le prisonnier, comme il est d’autres centres de pouvoir plus puissant que lui. De ce point de vue, on peut être assuré de l’intransigeance de la NSA, entité bureaucratique monstrueuse qui ne connaît et ne supporte aucune limite, et qui imposera son diktat au gouvernement fédéral pour qu’ aucune restriction ne soit apportée à son empire impératif dont l’ambition est une surveillance infinie et pour l’éternité, sans aucune limite concevable pour l’objet de cette surveillance.. [...] Face à une telle intransigeance et compte tenu de la nouvelle situation de l’Amérique (“balkanisation-dévolution”), les États, surtout s’ils sont nombreux à avoir suivi l’exemple du Montana, seront eux aussi poussés à une intransigeance impliquant leur survie en tant que collectivités disposant d’une certaine autonomie et fortement dépendantes des souhaits et pressions de leurs citoyens. (Cela, d’autant plus qu’on peut envisager que les lois type-Montana qui pourraient surgir aujourd’hui dans d’autres États devraient logiquement être beaucoup plus dures que celle du Montana, dans l’époque post-Snowden.)»

Certes, depuis juillet, la situation a notablement évolué, d’une façon beaucoup plus rapide et beaucoup plus approfondie, sinon déstabilisatrice, que l'on prévoyait, et que l'on aurait pu prévoir dans tous les cas.

• D’abord, cette évidence que chacun connaît, selon laquelle la crise Snowden/NSA ne cesse de gonfler, de s’élargir, de s’accélérer, hors de tout contrôle possible. La dimension nationale de la crise s’est fermement installée, provoquant l’intervention du législatif avec l’évidence d’oppositions tranchées et conséquentes. Le Congrès est devenu un lieu de débat (de “conversation”) et, surtout, l’habituel lieu d'élection du classique blocage politique washingtonien. Mais justement, qu’il y ait blocage politique signifie que la partie anti-NSA est bien aussi forte que la partie pro-NSA, ce qui est évidemment une surprise et une avancée considérable de la crise et du parti antiSystème par rapport au 11 juillet dernier. Plus encore, on jugera remarquable et particulièrement déstabilisant l’aspect bipartisan des oppositions (conservateurs populistes de droite et démocrates populistes de gauche unis pour cette occasion en antiSystème, avec contre eux une coalition républicain-démocrate classique du “parti unique”). Cela signifie, effectivement, 1) que la querelle sur la NSA est aujourd’hui une crise chronique d’ampleur nationale, qui se répercute sur l’attitude du public (hostile en majorité à la surveillance intrusive intérieure) et sur les nécessités électorales à mesure des élus  ; 2) que le Congrès ne peut arriver à déterminer une attitude législative réformatrice de la NSA, tant il est divisé, avec des projets de loi directement antagonistes (y compris au Sénat) ; 3) donc, que le “centre” législatif ne présente aucune alternative acceptable pour des élus dépendant directement des électeurs de leurs États.

• Le deuxième point nouveau par rapport à juillet est que l’ampleur internationale nouvelle de la crise (depuis une décade) a entraîné une crise au niveau de l’exécutif, dont la rapidité et l’ampleur sont remarquables. Cette “crise dans la crise“ oppose de plus en plus nettement l’exécutif à la NSA, ou à la communauté de sécurité nationale. Sans élaborer sur la destinée de cette “crise dans la crise”, elle signifie, pour ce qui nous intéresse, que le gouvernement dans son ensemble, le facteur le plus puissant de structuration et d'attraction du “centre”, est divisé par son antagonisme d’affrontement sur cette question de la NSA qui est justement en débat dans les États. Cela implique, par exemple, – une hypothèse parmi d’autres, – que la question de la surveillance intérieure va devenir un sujet d’antagonisme au sein du gouvernement, avec la NSA résistant pour ne pas perdre ses prérogatives alors que le Congrès ne parviendrait pas à voter une loi lui imposant telle ou telle attitude. Les États de l’Union et leurs représentants se trouveraient alors devant une situation bloquée au niveau actuel, dénoncé partout, de surveillance intrusive de la NSA, avec le “centre” incapable de trancher.

... On comprend évidemment combien les deux situations exposées encouragent les États, et leurs législatures propres, à voter des lois restrictives des activités de la NSA. A ce point de blocage washingtonien, les élus des États pour la représentation washingtonienne n’ont plus guère d’argument à opposer à ces initiatives locales, au contraire ils ont tout intérêt, électoralement, à les appuyer. L’ensemble présente une situation générale idéale pour un développement de situations locales (États) d’indépendance législative vis-à-vis de la NSA, avec possibilité de recherche d’actions directes d’interférence dans les capacités de la NSA. C’est là qu’intervient la prise de position de Google, qui s’oppose à ces initiatives autonomes des États, le lendemain même du jour où l’on apprend que la NSA “pille” Google et Yahoo sans consulter ces sociétés de stockage d’information. Google, et avec lui le Big Business, se trouve pris entre le marteau et l’enclume, dénonçant les initiatives locales qui fragmentent son marché et son opérationnalité, tout en apparaissant comme un gruyère pour la pénétration de la NSA, et fixant ainsi d’autant plus l’hostilité des États, cette fois non seulement à l'encontre de la NSA mais aussi du Big Business de l'internet. On en arrive à cette hypothèse étonnante que les États de l’Union pourraient se juger aussi hostiles à l’ensemble NSA-Big Business qu’un vulgaire Brésil ou qu’une vulgaire Allemagne, et eux-mêmes cherchant à créer des réseaux indépendants des grands groupes US de l’internet. Cette hypothèse a déjà été évoqué dans le cas de sociétés moyennes “dissidentes”, refusant le contrôle de la NSA, et envisageant de s’expatrier pour ne plus se trouver sous le coup des actes d’exception, mais pouvant opérer à l'intérieur des USA... Et tout cela, alors que le gouvernement du “centre” s’oppose de plus en plus à la NSA et cherche à en diminuer les capacités.

Bien entendu, cette affaire est d’autant plus intéressante que, dans ce cas de l’affrontement entre le “centre” lui-même en crise profonde avec ses antagonismes, donc d’une puissance diminuée, et les États de l’Union, il s’agit d’une matière de sécurité nationale. Cela implique la mise en cause indirecte par les États des prérogatives de sécurité nationale, et la politique-Système qui va avec, qui est développée par le “centre”. On a vu récemment, avec le texte de Garry Wills, commenté sur ce site le 18 octobre 2013, combien existait déjà un tissu législatif potentiellement sécessionniste dans nombre d’États, simplement par le développement de législations antagonistes du “centre”, cela sur tous les sujets possibles. Dans la situation évoqué ici, il s’agit du même schéma, mais appliqué à un dossier fondamental de sécurité nationale, et un dossier chaque jour alimenté par des “fuites” sans fin. Il s’agit d’une bonne perspective pour développer une logique de sécession, ou dans tous les cas de “balkanisation” des USA, qui pourrait trouver une expression populaire dès les élections de novembre 2014. Le sujet de la NSA, qui sera certainement toujours d’actualité, avec des développements imprévus à attendre, fera sans nul doute partie de l’arsenal argumentaire des candidats au niveau des États. Potentiellement, parce que le sujet est si complètement d'intérêt de sécurité nationale, il s’agit de la possibilité la plus précise et la plus explosive d’un développement contribuant à une dynamique de “balkanisation”, voire de dévolution des USA, avec possibilité d’explosion centrifuge des composants des USA, accompagnant une dynamique d’implosion du “centre” perdant ainsi ses capacités d’attraction.


Mis en ligne le 1er novembre 2013 à 12H05