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2956• Autour du conflit ukrainien, on note de plus en plus d’agitations confuses, notamment du côté occidental mais aussi, et de façon inhabituelle, du côté russe. • Du côté occidental, il s’agit de projets et d’armements d’attaque contre la Russie hors de l’initiative ukrainienne. • Du côté russe, il s’agit de la question de l’emploi du nucléaire, dans des circonstances de plus en plus diverses, et l’arme étant considérée comme utilisable dans le cours de la guerre. • Avec un texte de Markku Siira sur une intervention de Sergueï Karaganov.
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Peu à peu, les manœuvres sempiternelles depuis deux ans et demi sur la guerre en Ukraine, les livraisons d’armes, les affrontements de la guerre de la communication, et finalement la mainmise russe, toujours sur un rythme prudent et contrôlé, sur le champ de bataille, ne suffisent plus au débat sur ce conflit. Manifestement, on se trouve dans une phase où l’on est en train de changer de dimension pour s’orienter vers celle de la possibilité d’une guerre totale. Rien ne semble pouvoir arrêter cette dynamique, qui touche principalement le côté occidental, mais qui semble peu à peu pénétrer le camp russe.
Il est certain qu’un faible courant en faveur d’une recherche de la paix a commencé à se signaler, notamment avec la diplomatie d’Orban qui devrait s’inscrire dans le plan de paix que Chinois et Brésiliens préparent par le G20. Mais il s’agit bien d’un “faible courant” qui n’a pour l’instant, – cela peut changer, – rien d’une dynamique. On peut laisser cette question de côté, en espérant qu’elle forcera à ce qu’on lui prête plus d’attention.
Il paraît que l’on était plus préoccupé, durant la réunion de l’OTAN aux USA, par l’état de santé de Biden que par la probable victoire de Trump en novembre. C’est la preuve que les membres de l’OTAN sont de bons petits élèves ; ils font tout comme leurs modèles d’Outre-Atlantique où l’on qu’inquiète en effet, de Washington à Hollywood, des écarts de Biden qui présente Zelenski à l’assistance au son d’un vibrant « Here is Mr. Putin ! ».
Pourtant, Biden s’est montré belliqueux à souhait, un peu dans la veine des pays de l’Est de l’OTAN, comme la Pologne qui prépare son offensive contre la Russie. En fait, les experts américanistes ont surtout présenté leur projet de déploiement de missiles à longue portée et à capacité nucléaire en Allemagne, pour 2026. C’est une résurrection de la crise des “euromissiles” de 1979-1983, un coup mortel porté au traité INF et un avertissement sans frais aux Russes qui ont déjà lancé la production de missiles de la même catégorie.
« Le principal danger lié au déploiement de systèmes de frappe à longue portée en Europe centrale est leur courte durée de vol. Dans les années 1980, lorsque les États-Unis ont déployé pour la première fois des missiles de croisière Pershing et Tomahawk à tête nucléaire en Allemagne de l’Ouest, ils ont considérablement accru les risques d’une guerre thermonucléaire avec l’Union soviétique. Avec un temps de vol jusqu’à Moscou compris entre six et onze minutes, les responsables soviétiques n’auraient que quelques minutes pour identifier, analyser et réagir à une attaque ennemie, augmentant considérablement les tensions et les risques d’une escalade accidentelle et irréversible.
» Quarante ans plus tard, les risques se sont multipliés, Washington non seulement exacerbant les tensions avec Moscou en élargissant l'OTAN jusqu'aux frontières russes et en menant une guerre par procuration totale contre la Russie en Ukraine, mais aussi en installant des éléments d'un bouclier antimissile balistique en Pologne. et la Roumanie qui menace de détacher les mains des faucons du Pentagone désireux de lancer une agression conventionnelle à grande échelle contre la Russie via l’initiative Prompt Global Strike. »
Les missiles prévus pour le déploiement sont le missile de croisière ‘Tomahawk’ (rayon d’action jusqu’à 3 500 kilomètres), les missiles de défense aérienne adaptés à l’attaque offensive SM-6 (400 kilomètres de rayon d’action) et un “missile hypersonique”, sans autre précision. Sur le dernier cas, on restera hautement sceptique sur le fait que les USA puisse réussi à déployer un tel missile en 2026 alors qu’aucun n’a encore réussi des essais préliminaires de qualification après plusieurs années de travail. La promesse d’un tel missile est une manœuvre-simulacre pour renforcer la croyance religieuse des pays-membres dans la puissance US.
Quoi qu’il en soit, le déploiement de tels missiles constitue une source de tension maximale dont on comprend qu’elle dépasse complètement le conflit ukrainien. Cette fois, c’est la question de la sécurité européenne dans son ensemble qui est posée, donc la question de l’OTAN volontairement déployée contre la Russie et la Russie devant envisager un conflit global.
Il s’agit sans aucun doute d’un durcissement américaniste et l’on peut avancer l’hypothèse que la politique intérieure, – c’est-à-dire Joe Biden, – a joué son rôle qui serait alors essentiel. Ce faisant, Biden affirmerait sa position et sa volonté d’une très grande fermeté, attirant à lui le soutien des plus extrémistes des neocon au moment où “les élites” du parti démocrates veulent se débarrasser de lui. Par contre, il reste prudent et très limitatif en interdisant à Zelenski toute frappe à l’intérieur de la Russie dépassant les100 kilomètres. C’est une séparation de plus entre la guerre en Ukraine et la question de la sécurité européenne, dont la problématique ne concerne pas les Ukrainiens.
Face à ces diverses initiatives et ce climat général de menace, les réaction officielle des Russes sont faibles et d’un classicisme un peu palot...
« “La nature de notre réaction sera déterminée de manière calme et professionnelle. Les militaires ont déjà commencé à travailler sur la question. Nous analyserons, bien sûr, les systèmes spécifiques qui seront discutés... Nous déterminerons une réponse militaire à cette nouvelle menace”, a déclaré jeudi à la presse le vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Riabkov. »
En fait, il nous apparaît comme de plus en plus évident qu’à côté de ce flegme officiel qui renvoie à l’attitude de Poutine, commence à monter une grogne critique contre la faiblesse de ces réactions. Il nous semble qu’on en a le signe dans ce texte de Makku Siira, rendant compte d’une intervention de Sergey Karaganov, qui dirige le Conseil de la Politique Étrangère et de Défense et préside le Conseil de rédaction de la revue ‘Russia in Global Affairs’. Une personnalité très influente, qui pèse d’un poids certain dans la direction russe et qui est le partisan de l’emploi préventif du nucléaire et/ou de tirs nucléaires “de démonstration”, voire de tirs sous-marins provoquant des tsunamis, – c'est-à-dire un partisan, d’une façon très certaine et sans état d'âme, de la “banalisation” de l’emploi du nucléaire.
On lira bien entendu le texte ci-dessous mais, déjà, la lecture de cet extrait donne une idée de la dureté et de la “souple fermeté” des conceptions de Karaganov.
« La politique de sécurité de la Russie devrait “se fonder sur l'hypothèse que l'OTAN est un groupement hostile qui a démontré à maintes reprises son agressivité et qui mène en fait une guerre contre la Russie. Par conséquent, toute attaque nucléaire contre l'OTAN, même préventive, est moralement et politiquement justifiée”.
» “Cela s'applique principalement aux pays qui soutiennent le plus activement la junte de Kiev”, prévient M. Karaganov. “Les anciens et surtout les nouveaux membres de l'alliance doivent comprendre que leur sécurité a été considérablement affaiblie depuis qu'ils ont rejoint l'alliance militaire”.
» Karaganov affirme que “si la Russie devait lancer une attaque préventive de représailles contre un pays de l'OTAN, les États-Unis ne réagiraient pas”. Il doute que la Maison Blanche et le Pentagone soient prêts à détruire des villes américaines “pour Poznan, Francfort, Bucarest ou Helsinki”. »
La logique de Karaganov le conduit à considérer le nucléaire comme un outil extrêmement souple, que l’on peut utiliser dans des circonstances de peu d’importance opérationnelles, de façon à élever cette sorte de circonstance au rang de symbole où la dissuasion joue à plein.
« Selon Karaganov, l'abaissement du seuil d'utilisation des armes nucléaires et l'augmentation de leur rendement minimal sont également nécessaires pour rétablir la fonction perdue de la deuxième dissuasion nucléaire : la prévention des guerres conventionnelles à grande échelle.
» “Les planificateurs stratégiques de Washington et leurs hommes de main européens doivent comprendre que le fait d'abattre un avion russe ou de continuer à bombarder des villes russes entraînera une punition sous la forme d'une frappe nucléaire (après une frappe de dissuasion non nucléaire). Ils pourraient alors prendre sur eux de renverser la junte de Kiev”, estime Karaganov. »
Karaganov représente sans aucun doute une aile puissante de la communauté de sécurité nationale. Il n’est pas pour autant un excité extrémiste ; bien au contraire, il s’agit d’un scientifique respecté, – d’où le poids de son opinion. C’est un homme que Poutine est obligé d’écouter même s’il n’est pas d’accord avec lui, et, selon nous, il sera de plus en plus obligé de l’écouter. C’est Karaganov qui avait proposé l’année dernière un tir nucléaire “de démonstration”, Poutine avait repoussé l’idée dans une de ses interventions. Comme l’on voit dans ce texte, cela n’empêche nullement Karaganov de revenir sur l’idée et d’insister.
Bien entendu, les déploiements annoncé par Biden auront pour effet de renforcer la position et les arguments de Karaganov. (Le texte ci-dessous est de Markku Siira, sur son site, avec traduction de ‘euro-synergies.hautefort.com’.)
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Sergueï Karaganov, un politologue russe qui était également proche des cercles de politique étrangère occidentaux dans les années 1990 et 2000, affirme que la Russie devrait faciliter le démantèlement de l'hégémonie américaine par une "politique de dissuasion plus active".
Karaganov n'est pas un propagandiste de la politique étrangère russe, mais les opinions qu'il publie s'adressent principalement à l'élite politique russe ainsi qu'à la communauté stratégique internationale. Karaganov voit le monde à travers le prisme pragmatique de la realpolitik et ne se laisse pas aller à la sensiblerie.
"Si l'élite libérale-mondialiste actuelle quitte le pouvoir, les États-Unis pourraient même redevenir un facteur d'équilibre mondial relativement constructif, comme c'était le cas avant la seconde moitié du 20ème siècle", souligne Karaganov, qui connaît bien les initiés occidentaux.
Il note froidement que, malgré tout, "il n'y a pas de conflits non résolus entre la Russie et les États-Unis". "Les contradictions actuelles découlent de l'expansion américaine, qui a été facilitée par notre faiblesse et notre stupidité dans les années 1990, ce qui a contribué à la montée spectaculaire des sentiments hégémoniques aux États-Unis".
Aujourd'hui, les États-Unis traversent une crise interne et l'élite actuelle ne cesse d'éroder le "soft power" ou l'influence idéologique de Washington dans le monde. "Une politique de dissuasion rigoureuse devrait créer les conditions nécessaires pour que l'Amérique devienne une superpuissance normale", conclut M. Karaganov.
L'Europe, autrefois "phare de la modernisation pour la Russie et de nombreuses autres nations", se dirige, selon M. Karaganov, "vers un vide géopolitique" et "malheureusement aussi vers une décadence morale et politique". L'euro-bureaucratie de Bruxelles a déjà "isolé la Russie de l'Europe par des ordres venus de l'extérieur".
Le désengagement de la Russie de l'Europe est "une épreuve pour de nombreux Russes, mais elle doit être surmontée le plus rapidement possible". L'analyste chevronné souligne que "la clôture n'est pas totale, bien sûr, et qu'elle ne doit pas devenir un principe".
À l'avenir, la coopération devrait être établie principalement avec les pays européens qui s'y intéressent réellement et qui sont intéressants du point de vue de la Russie.
Un élément important de la nouvelle doctrine de politique étrangère de la Russie devrait être une "stratégie idéologique offensive". Selon M. Karaganov, "les tentatives de plaire à l'Occident et de négocier avec lui sont à la fois moralement et politiquement négatives".
"Lorsque la Russie a lancé à titre préventif (bien que tardivement) ses opérations militaires contre l'Occident, elle ne s'est pas appuyée sur de vieilles hypothèses et ne s'est pas attendue à ce que l'ennemi déclenche une guerre de grande envergure. Ainsi, la Russie n'a pas utilisé de tactique de dissuasion active dès le départ", a critiqué l'expert en politique étrangère et de sécurité.
Pour M. Karaganov, l'opération militaire spéciale "doit être poursuivie jusqu'à la victoire". "Nos ennemis doivent comprendre que s'ils ne reculent pas, la patience légendaire de la Russie s'épuisera et la mort de chaque soldat russe sera payée par des milliers de vies de l'ennemi.
Le seul objectif raisonnable pour l'Ukraine est "la libération et la réunification avec la Russie de l'ensemble des régions méridionales et orientales et (probablement) du bassin du Dniepr". Les régions occidentales, en revanche, "feront l'objet de négociations futures". Pour M. Karaganov, la meilleure solution pour elles serait "la création d'un État tampon démilitarisé".
"Un tel État serait un lieu de résidence pour les habitants de l'Ukraine actuelle qui ne veulent pas être citoyens russes et vivre selon les lois russes. Pour éviter les provocations et les migrations incontrôlées, la Russie devrait construire une clôture à la frontière de l'État tampon".
La politique de sécurité de la Russie devrait "se fonder sur l'hypothèse que l'OTAN est un groupement hostile qui a démontré à maintes reprises son agressivité et qui mène en fait une guerre contre la Russie. Par conséquent, toute attaque nucléaire contre l'OTAN, même préventive, est moralement et politiquement justifiée".
"Cela s'applique principalement aux pays qui soutiennent le plus activement la junte de Kiev", prévient M. Karaganov. "Les anciens et surtout les nouveaux membres de l'alliance doivent comprendre que leur sécurité a été considérablement affaiblie depuis qu'ils ont rejoint l'alliance militaire.
Le faucon russe affirme que "si la Russie devait lancer une attaque préventive de représailles contre un pays de l'OTAN, les États-Unis ne réagiraient pas". Il doute que la Maison Blanche et le Pentagone soient prêts à détruire des villes américaines "pour Poznan, Francfort, Bucarest ou Helsinki".
La politique nucléaire de la Russie et la menace de représailles devraient également empêcher l'Occident de déployer massivement des armes biologiques ou cybernétiques contre la Russie ou ses alliés. Il faut "mettre un terme à la course aux armements menée dans ce domaine par les États-Unis et certains de leurs alliés".
Selon M. Karaganov, l'abaissement du seuil d'utilisation des armes nucléaires et l'augmentation de leur rendement minimal sont également nécessaires pour rétablir la fonction perdue de la deuxième dissuasion nucléaire : la prévention des guerres conventionnelles à grande échelle.
"Les planificateurs stratégiques de Washington et leurs hommes de main européens doivent comprendre que le fait d'abattre un avion russe ou de continuer à bombarder des villes russes entraînera une punition sous la forme d'une frappe nucléaire (après une frappe de dissuasion non nucléaire). Ils pourraient alors prendre sur eux de renverser la junte de Kiev", estime M. Karaganov.
Il suggère que la Russie devra modifier - quelque peu publiquement - la "liste des cibles des représailles nucléaires". Les nouveaux membres de l'OTAN, la Finlande et la Suède, figureront-ils sur cette liste ? "Nous devons réfléchir soigneusement à qui nous allons intimider exactement. La menace de représailles doit être suffisamment dissuasive pour une oligarchie mondialiste qui ne se soucie pas de ses propres citoyens", suggère M. Karaganov.
"La plupart des États les plus effrontément agressifs sont des États côtiers. L'oligarchie mondialiste et l'État profond ne doivent pas espérer échapper aux tsunamis provoqués par les torpilles nucléaires russes Poséidon ", prévient M. Karaganov.
"L'amélioration de la crédibilité et de l'efficacité de la dissuasion nucléaire est nécessaire non seulement pour mettre fin à la guerre que l'Occident a déclenchée en Ukraine, mais aussi pour permettre à l'Occident de jouer pacifiquement un rôle beaucoup plus modeste, mais, espérons-le, plus digne, dans le futur système mondial", ajoute-t-il plus amicalement.
La dissuasion nucléaire est avant tout nécessaire pour prévenir l'escalade des conflits et éviter une "ère de guerre" potentielle.
Karaganov recommande de "reprendre les essais nucléaires dès que possible après des négociations avec les États amis". "D'abord sous terre, et si cela ne suffit pas, en faisant exploser la Tsar Bomba-2 à Novaya Zemlya, tout en prenant des mesures pour minimiser les dommages environnementaux".
Si les États-Unis devaient procéder à un essai similaire en réponse, cela "ne ferait que renforcer l'effet universel de la dissuasion nucléaire". En tout état de cause, "le dialogue avec la majorité des principaux pays du monde sur le contenu et la modernisation de la politique de dissuasion nucléaire doit être développé immédiatement".
Karaganov est conscient que nombre de ses propositions seront critiquées. Même Poutine ne voit pas la nécessité de procéder à des essais nucléaires. Toutefois, M. Karaganov estime que les spéculations sur la politique de dissuasion se sont avérées utiles. "Les Américains ont rapidement cessé de dire que la Russie n'utiliserait jamais d'armes nucléaires en réponse à l'agression occidentale en Ukraine".
Karaganov pense que le débat sur cette question se poursuivra, "à la fois publiquement et à huis clos, avec des experts de la majorité des principaux pays du monde et, à l'avenir, avec des représentants du monde occidental qui a survécu [à l'hybris]".