L’Iran sans “plan B”

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L’Iran sans “plan B”


16 avril 2006 — Est-ce une surprise? On tendrait plutôt à offrir le constat d’une tendance habituelle, type “warstrike as usual”, dans le Washington de GW Bush. Julian Borger à Washington pour le Guardian (15 avril), constate que les Américains n’ont pas de “plan B” pour l’Iran.

Situation intéressante:

• Dès le début de ce qu’on désigne comme “la crise iranienne”, Washington a occupé une position radicale, d’abord discrètement puis avec une vocifération grandissante. En un mot : les USA ne croient pas à une solution diplomatique (ce qu’on pourrait désigner par “Plan A”).

• Plus encore, ils font beaucoup, sinon tout pour empêcher une éventuelle réussite de cette option (réussite de plus en plus problématique par ailleurs, ceci expliquant en partie cela).

• Pourtant, constate Borger après une enquête à Washington, l’administration n’a pas de “plan B”, d’alternative à cette solution diplomatique. On fait des plans de guerre, certes, mais ces plans en eux-mêmes ne sont pas une politique ni une stratégie :

« The White House, for the last 15 months, has been engaged in plan A, the diplomatic route backed up, if necessary, by sanctions. But Iran once more rebuffed diplomatic overtures this week, and is unlikely to be troubled by sanctions if China and Russia do not participate.

» That leaves the question of what the Bush administration would do next. Colonel Sam Gardiner, a retired air force colonel and expert on targeting at the National Defence University (NDU), said: “I have a terrible feeling they are taking this one day at a time. They have a plan A but not a plan B.”

» The US state department and the Foreign Office, in spite of public statements that a nuclear-armed Iran is unacceptable, privately discuss what the Middle East landscape would look like if Iran acquires a nuclear bomb: there is a tacit acceptance of what may turn out to be the reality.

» But the White House does not accept this. Col Gardiner said: “At one time there was a paper floating around, produced by the NDU, on how to live with a nuclear armed Iran. But they [the administration] are so negative about that. There is no serious discussion about it other than among academics.”

» Flynt Leverett, formerly a Middle East specialist in Mr Bush's national security council, said: “The policy line is that Iran should not have a fuel cycle and that the number of centrifuges [used to enrich uranium] should be zero. But they have ruled out direct diplomacy with Iran, or any kind of grand bargain that would encompass the nuclear issue.”

» Col Gardiner, who oversaw an independent war game study for Atlantic Monthly magazine two years ago, found that the use of a military option rarely left the US in a better position, after likely retaliations and international reaction were taken into account. But he said, it was the Pentagon's job to think up war plans and pass them up the chain of command, gathering momentum along the way. At that level, the administration would have to factor in the scale and nature of Iranian retaliation, which Robert Baer, a former CIA covert agent in the Middle East, believes would be ferocious. “The Iranians are smarter than anyone in this whole equation. Their intelligence service is very good. They know they could do an enormous amount of damage in Iraq, in Lebanon, in the whole region,” Mr Baer said.

» “The administration is realising that there are serious drawbacks with the military option,'' Mr Leverett said. ''If you strike at the nuclear infrastructure, the chance you're not going to hit everything you need to hit is high. Second of all, you're going to make Iranian decision-makers all the more determined to make a bomb. The blowback would be devastating. And if the US, as it's coming out more and more, may have to use nuclear penetrating warheads to get after the facilities then the international political blowback is enormous.” »

Mais pourtant... “On fait des plans de guerre, certes, mais ces plans en eux-mêmes ne sont pas une politique ni une stratégie”, écrivons-nous, — est-ce bien sûr ? Les analystes et commentateurs remarquent souvent que la période actuelle ressemble à s’y méprendre à la période précédant la guerre en Irak, quant à la tactique de la montée de la tension, de sabotage de la diplomatie, etc. On rétorquerait : il n’y a pas trente-six manières de préparer une guerre préventive, où il s’agit par tous les moyens de renforcer la tension pour justifier l’attaque. Là où l’on trouve une similitude très spécifique avec l’Iran, c’est bien dans l’absence de “Plan B” ; c’est-à-dire dans la conviction que l’attaque militaire, au bout du compte, se suffira à elle-même.

Borger note également : « The Bush administration has yet to decide on a clear plan B for Iran [...] But military planning is progressing to fill that policy vacuum and may create a momentum of its own, former administration officials and political observers said yesterday. » Ce rythme de la planification de l’opération militaire va bientôt effectivement “combler le vide politique”, et bientôt à la satisfaction de tous dans l’administration, à l’image de GW Bush. De ce point de vue, on retrouve les conditions de l’attaque contre l’Irak. La théorie implicite, instinctive, est toujours la même : celle du “chaos créateur” qui est fondamentalement l’idée qui soutint la préparation de l’attaque contre l’Irak, qui semblerait très vite convenir à celle de l’Iran. Toute la beauté de la chose est que cette préparation se définit par son contraire, dans le fait de la non-préparation. Le “Plan B” est inutile.

Mais va-t-on alors répéter l’Irak, répéter le désastre irakien? Quel désastre irakien? Le 2 avril, John Steinberg, de “Rawstory.com” observait ceci qui renvoie évidemment à la vision virtualiste du président (Steinberg appuie sa remarque en acceptant la logique originelle du désastre irakien qui freinerait l’aventure iranienne, ou bien la découragerait), — nous soulignons le constat essentiel: « George Bush has a far bigger disaster to conjure away. In addition to nearly 3000 dead American soldiers, he has killed tens of thousands of civilians and destroyed a country. But that is not the disaster they are concerned with: One of the reasons President Bush has been so slow to admit failure in Iraq is because, in his mind it still isn't a failure. As I argued a year and a half ago, the invasion and occupation of Iraq was and remains a success in Bush's view. Halliburton and oil company profits are up. Bush was re-elected. His endless war has made all of this possible. The only fly in the ointment is the war's domestic unpopularity. As public opinion has turned, the gravy train is increasingly endangered. »

Quant à l’ultime réserve qu’avance Steinberg (l’hostilité de l’opinion publique à l’affaire irakienne), une autre beauté de la chose (l’attaque de l’Iran) est qu’elle conduirait, selon les calculs des stratèges de la communication de GW, à renverser l’opinion générale du public, de la défaveur actuelle à la faveur pour l’action du Président. Le principe est qu’on n’en appelle jamais en vain à l’instinct guerrier et patriotique des Américains quand on attaque un pays à 10.000 kilomètres de distance.

Sur le fond et à terme, il n’est pas sûr que GW rencontre une opposition sérieuse de l’establishment washingtonien (« “I think there has been an agreement formed in the administration ... and the body politic of America — a nuclear armed Iranian leadership is unacceptable,” said Lawrence Wilkerson, who was chief of staff under the former secretary of state Colin Powell. ») On voit que le problème dépasse le seul GW Bush. Depuis quelques jours, la fièvre monte, le processus virtualiste est en route. La course de Washington semble tracée.

Et, en plus, les militaires, eux, ont un “plan B”, — et sans doute d’autres dans leurs tiroirs, jusqu’à la lettre Z ; les militaires ou, dans tous les cas, leurs conseillers éclairés comme le général à la retraite McInerney. Cette sorte de porte-parole officieux de l’USAF et néo-conservateur quasiment confirmé, a dans sa besace une alternative à son “plan A”, celui-ci baptisé “Big George” (cela fera plaisir à GW), — et c’est le “plan B”, ou “Big Rummy” (cela fera plaisir à Rumsfeld): « If the president decided to focus solely on Iran's nuclear and missile sites, McInerney proposed a Plan B version he called ‘Big Rummy.’ ‘Big Rummy’ would be executed in a single night, and would concentrate on 500 “aim points.” It would require greater assistance from covert operators if the administration's goal was to provoke regime collapse, McInerney added. »

Quel argument opposer à un empressement si réconfortant?