Les risques obligés d’Obama

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Les risques obligés d’Obama

23 octobre 2008 — Impossible de ne pas prendre “un ton présidentiel” nous dit-on d’Obama, qui vient de parler comme s’il était déjà président. Il ne l’est pas encore nous dit-on également, comme si nous avions tendance à l’oublier, alors qu’un sondage (d’AP) ramène l’avantage d’Obama de 7% à 1%, – à 44%-43%; alors qu’existe l’inconnu de l’“effet Bradley”, c’est-à-dire la dissimulation par un certain nombre de personnes sondées de leur opposition à Obama parce qu’il est Africain-Américain.

D’un autre point de vue, qui est celui de l’efficacité et de la responsabilité, Obama doit effectivement prendre cette attitude. Il s’agit, dans sa position de favori incontestable, d’appréhender la préparation de la transition dans une période extrêmement dangereuse et incertaine, notamment avec un sommet crucial qui vient d’être annoncé pour le 15 novembre, – le premier sommet sur l’éventuelle réforme du système financier, auquel le président élu sera convié à participer. Dans ce cas, la préparation très “présidentielle” à la transition qu’affiche Obama est à son avantage; elle apparaît comme l’affirmation du sens des responsabilités, et il est avantageux pour lui, même et surtout électoralement, de l’afficher en faisant comme s’il était élu et préparant cette transition. La situation elle-même, avec un pouvoir inexistant à Washington, pousse dans ce sens.

«Barack Obama began to speak openly and in detail about the post-election transition period from George Bush's presidency for the first time yesterday, opening himself up to charges of complacency», écrit le Guardian aujourd’hui, dans un article mettant en évidence cette attitude d’Obama et de son camp. Du point de vue même de la simple psychologie et de ce qu’on pourrait nommer une “dynamique psychologique de groupe”, qu’on pourrait également désigner comme du “groupthinking”, cette confiance excessive partagée au sein de l'équipe Obama est avérée et inévitable: «…a sense of confidence that his campaign team is finding it hard to hide».

Cette situation est d’autant plus inévitable que l’annonce du sommet du 15 novembre rend nécessaire une préparation pour ce sommet, – dans tous les cas des candidats en cas d’élection, – particulièrement pour le camp d’Obama où l’on ne peut cacher qu’on juge la victoire acquise. Tout cela accroît paradoxalement le désordre alors que le but est justement d’éviter le flottement, le désordre d’un certain point de vue, de la période de transition…

«As most polls showed the Democratic candidate's lead over his Republican rival John McCain still growing, Obama held a meeting in Richmond, Virginia, to discuss with senior national security advisers the foreign policy challenges he would face as president. Bucking the trend, one poll, conducted by Associated Press, showed McCain cutting back Obama's 7% lead three weeks ago to 1%, on 44% to 43%.

»Obama's comments mark a significant change in the campaign, switching from rhetoric to a more presidential tone. Although Obama added the caveat that “I don't want to get too far ahead of myself,” his comments reflected a sense of confidence that his campaign team is finding it hard to hide. At a press conference after the national security meeting, he said that although he had been almost single-mindedly focused on the economy, he had plans ready for Iraq, Afghanistan and other foreign policy problems.

»He spoke about having teams in place to deal with foreign and economic policy during the awkward transitional period between November 4 and the inauguration on January 20. Interviewed yesterday, Obama said a smooth transition was essential to make sure America's enemies did not take advantage of a shift in administrations.

»In another sign of looking beyond the November 4 election, he welcomed a White House-organised international summit on the economic crisis planned for November 15. With Bush as a lame-duck president and Obama as possibly the president-in-waiting, the Democratic candidate would be a key figure. “I am happy today that the White House announced a summit that provides an opportunity to advance the kind of cooperation I called for last month,” he said. “America must lead and other nations must be part of the solution too.” He refused to be drawn into what role he would play at the summit if he was elected president. He said his economic team was already in constant touch with the treasury secretary, Henry Paulson.

»To avoid sounding too presumptuous, he said: "Even though the election will have taken place and there will be a new president-elect, we are still going to have one president at a time until January 20, until the new president is sworn in.”»

Le dilemme de la transition

Jamais la question de la transition n’est apparue, justement, comme une question aussi essentielle. Le fonctionnement du système US y oblige, avec une transition importante en durée, – du 4 novembre 2008 (élection) au 20 janvier 2009 (prestation de serment). Bien entendu, le précédent à cet égard est celui de la Grande Dépression. A cette époque, la transition durait cinq mois (élection premier mardi de novembre, prestation de serment premier mardi de mars de l’année suivante). C’est en raison des circonstances dramatiques de la transition 1932-1933 que ce délai fut ramené, par un amendement à la Constitution, à un peu moins de trois mois. Pendant la transition, la situation intérieure de l’Amérique s’était formidablement détériorée, jusqu’à des risques d’effondrement structurel du pays, sans pouvoir réel pour lutter contre cela.

(Ce délai considérable entre l’élection et l’entrée en fonction était dû à des raisons pratiques. Les constituants de 1787-1788 avaient estimé que la taille considérable du pays autant que sa décentralisation initiale à cause de sa constitution en Etats autonomes au départ, dans une époque où les communications étaient très lentes et requéraient un déplacement physique, imposaient effectivement ce délai. Les Etats avaient besoin de s’organiser en fonction de la nouvelle présidence. Aucune des caractéristiques d’aujourd’hui, notamment la rapidité des événements, et précisément l’extension rapide de certaines situations de crise, n’existait alors pour militer contre ce délai.)

Elu en novembre 1932, FDR avait refusé la proposition de Hoover (président en place, battu par FDR) de coopération durant la transition, pour ne pas avoir les mains liées par des décisions portant en partie la marque du même Hoover. On peut s’interroger sur la validité de l’argument. On peut surtout avancer un autre argument, la question étant alors de savoir s’il y avait préméditation ou pas de la part de FDR dans ce domaine; l’autre argument est la volonté psychologique de rupture avec Hoover, pour provoquer un choc dans l’électorat, argument d’autant plus acceptable que, par ailleurs, la politique de FDR fut très loin d’être fondamentalement différente de celle de Hoover. Effectivement, c’est le changement d’homme et le changement de méthode beaucoup plus que les mesures prises qui, en mars 1933, provoquèrent un choc psychologique qui permit à la population US de commencer à retrouver une sorte d’élan vital qui l’avait abandonnée, de commencer à écarter les perspectives d’effondrement qui marquèrent les mois précédents. C’est l’aspect psychologique de l’action de FDR, auquel nous accordons une importance fondamentale, et cet aspect psychologique fut nourri par l’absence de coopération entre Hoover, identifié à la Grande Dépression, et FDR, l’homme complètement nouveau, le sauveur sans compromission avec Hoover.

Obama aborde le problème de la transition avant l’élection, d’une façon absolument opposée, avec les risques qui vont avec. (Ne risque-t-il pas de perdre le 4 novembre en indisposant des électeurs avec cette assurance? C’est une chose qu’on a déjà reprochée à Obama, son assurance qui, pour ses critiques, devient de l’arrogance.) On comprend bien sa démarche, suscitée par la maîtrise qu’il voudrait montrer, notamment pour démentir les accusations d’inexpérience venues du camp McCain; par le caractère du personnage lui-même, d’un Obama calme, plein de sang-froid, qui entend procéder méthodiquement; par les mœurs même du système et de l’époque, qui constituent une affirmation de la prise de contrôle également méthodique des affaires du pouvoir; enfin, par l’inévitable et stupide arrogance américaniste, qui émane évidemment de tous les cercles de conseillers qu’on peut trouver à Washington, qui est ce besoin vital, presque désespéré, correspondant à l’hubris pesant et récurrent de la chose, de paraître un “leader” («America must lead and other nations must be part of the solution too» – Obama parlant du sommet du 15 novembre, et laissant entendre que “America” ce sera lui). Dans ce catalogue, on ne voit rien qui différencie Obama du reste dans ses penchants psychologiques, même s’il est très intelligent; la plus brillante intelligence, si elle est prisonnière d’une psychologie fautive (l’américaniste, dans ce cas), nous donnera à certains points les mêmes défauts qu’à l’habitude, peut-être avec plus de brio mais aussi d’éventuels effets aggravés.

En attendant, Obama se trouve devant une situation complexe, avec plusieurs dilemmes qui marquent sa décision de jouer le jeu du candidat “déjà élu” puis de l’élu “déjà président” s’il est élu.

• Le premier constat est classique et déjà vu: il est très bien de très vite paraître “présidentiel” mais il ne faut pas trop le paraître avant l’heure. Les électeurs peuvent se révolter et voter contre lui. Risque classique effectivement, détaillé par le Guardian.

• Il est très bien de vouloir effectuer une transition ordonnée et coordonnée, pour conserver la stabilité du gouvernement dans ces heures difficiles. Mais on risque évidemment de rater “l’effet FDR” décrit ci-dessus, le choc de l'arrivée au pouvoir marquée par une action politique et psychologique décidée, renversant le sentiment de la population. Peut-être Obama ne croit-il pas cela nécessaire, peut-être ignore-t-il cette partie de l’action du pouvoir. Si c’est le cas, il va vers des déboires lorsqu'on mesure l'état psychologique de la population. S’il est élu et suit ses plans de coopération avec l’administration en place, il connaîtra le triomphe médiatique habituel, avec gémissements d’extase des intellectuels (“premier président noir“, etc.) mais ce sera un triomphe trompeur. Cela ne signifiera rien du sentiment profond de la population qui attend une rupture politique et psychologique avec ce qui a précédé, tandis que cela accentuera une confiance en soi d’Obama déjà un peu trop forte.

• Cette même coopération qu’il réclame de l’administration inexistante Bush & Cie risque de provoquer des effets pervers. On imagine bien GW, enfermé dans son autisme de sauveur de la nation malgré elle depuis 9/11, viscéralement hostile à son successeur pour toutes les raisons qu’on connaît avec en plus le sentiment obscur de ce pauvre esprit élevé à la fonction la plus haute et qui s’imagine avoir un “legs” à protéger, – GW donc, retrouvant toute sa vigueur pour mettre tous les obstacles possibles à la succession, avec les procédés habituels, voire une décision catastrophique ou l’autre, – ou bien tentant d’enfermer Obama dans certaines orientations politiques et économiques (comme FDR craignait officiellement en coopérant avec Hoover). Cela pourrirait l’entrée en fonction d’Obama et chargerait sa présidence débutante d’un handicap peut-être mortel.

Mais qu’importe… La crise décide et, en ce sens, à cause de la pression de la crise, du sentiment populaire qu’elle suscite, Obama, avec sa psychologie, ne peut sans doute envisager ni imaginer d’agir autrement que dans la direction qu’il semble prendre. La chose est d’autant plus évidente qu’il y a cette réunion du 15 novembre, suscitée par la crise, qui exige une direction US autant soudée qu’elle peut être. C’est la crise qui est maîtresse du monde aujourd’hui, et elle est “globalisée” dans le sens le plus emporté, qui impose notamment cette conférence du 15 novembre (FDR n’avait pas à tenir compte de cela, en 1932-33, dans son univers isolationniste). La pression de la crise est terrible et ses effets sont insaisissables, puisque l’un d’eux est d’activer l’attitude “présidentielle” d’Obama au risque de mettre en cause in extremis son élection assurée, ou de compromettre éventuellement sa présidence.

Ce qui conduit, pour conclure et par politesse, à une sorte de post scriptum qui est à l’autre hypothèse, jugée si improbable: et si McCain l’emportait par surprise? La réponse est simple. Nous entrerions, par une autre porte, par une porté dérobée si l’on veut, dans le désordre le plus complet. Les électeurs l’auraient élu sans l’avoir voulu comme président, car décidément McCain a tout pour ne pas être président. Autre hypothèse, autre temps. On verrait alors ce qu’il faut en penser et dans quel sens il faudrait s’exclamer.


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