Les “neo-cons”, ou l’exultation du désespoir

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Les “neo-cons”, ou l’exultation du désespoir

15 juillet 2006 — Cela va sans dire, et cela va encore mieux en l’écrivant : «  It's Our War », titre de l’éditorial de William Kristoll, dans le Weekly Standard daté du 24 juillet et qui vient d’être mis en ligne. Les néo-conservateurs exultent unanimement. L’essentiel politique du numéro est consacré à la gloire de la “guerre finale” (c’est-à-dire l’attaque israélienne contre le Liban, prestement identifiée comme la nième guerre israélo-arabe, mais très différente des précédentes, — là est justement sa vertu quasiment démocratique et sa différence.).

Voici comment William Kristoll salue la “divine surprise” que constitue l’attaque d’Israël contre le Liban, — qui est, il n’en doute pas une seconde, une attaque contre la Syrie et contre l’Iran, et tout le reste, — ah, cette guerre universelle, avec un rangement parfait, les bons d’un côté et les méchants de l’autre, — voilà qu’ils la tiennent…

« For while Syria and Iran are enemies of Israel, they are also enemies of the United States. We have done a poor job of standing up to them and weakening them. They are now testing us more boldly than one would have thought possible a few years ago. Weakness is provocative. We have been too weak, and have allowed ourselves to be perceived as weak.

» The right response is renewed strength — in supporting the governments of Iraq and Afghanistan, in standing with Israel, and in pursuing regime change in Syria and Iran. For that matter, we might consider countering this act of Iranian aggression with a military strike against Iranian nuclear facilities. Why wait? Does anyone think a nuclear Iran can be contained? That the current regime will negotiate in good faith? It would be easier to act sooner rather than later. Yes, there would be repercussions — and they would be healthy ones, showing a strong America that has rejected further appeasement.

» But such a military strike would take a while to organize. In the meantime, perhaps President Bush can fly from the silly G8 summit in St. Petersburg — a summit that will most likely convey a message of moral confusion and political indecision — to Jerusalem, the capital of a nation that stands with us, and is willing to fight with us, against our common enemies. This is our war, too. »

On retrouve tous les éléments constitutifs de la pensée néo-conservatrice actualisée. Les “bons” sont réduits aux deux éléments essentiels : Israël et l’Amérique. Le champ de bataille est ce Moyen-Orient où tout se passe, le Commencement et la Fin, jusqu’à cet effluve d’Armageddon qu’on distingue dans les encouragements à attaquer l’Iran et ses installations nucléaires (« …we might consider countering this act of Iranian aggression with a military strike against Iranian nuclear facilities. Why wait? Does anyone think a nuclear Iran can be contained? That the current regime will negotiate in good faith? It would be easier to act sooner rather than later. »).

Les néo-conservateurs, qui s’ébattaient avec une rancœur à peine dissimulée dans le désespoir des illusions perdues, ont réagi avec une exultation d’autant plus forte qu’elle est effectivement celle du désespoir. C’est la logique de la rupture ; c’est la stratégie du maintenant ou jamais, du tout ou rien, celle qu’ils ont toujours prônée. Au-delà, ils ne doutent pas de la victoire. Les néo-conservateurs ont la sensation de tenir le monde dans leurs mains.

Dans l’univers virtualiste, les “neo-cons ” restent influents

Les néo-conservateurs retrouvent, avec un naturel et un automatisme qui en disent long, leur schématisme trotskyste préféré. La vertu du désordre se marie à l’exaltation de la guerre pour vous promettre des lendemains qui chantent, les retrouvailles du paradis perdu. C’est la “destruction créatrice”, la “révolution permanente” enfin parvenue à son terme. « Yes, there would be repercussions… », nous promet Kristoll, avec une jubilation fataliste (ou un fatalisme jubilatoire) — et alors ? a-t-il failli écrire… (Plus prudent, il préfère : « …and they would be healthy ones, showing a strong America that has rejected further appeasement ».)

Aucun autre argument ne figure plus dans l’analyse que celui de la force de la dynamique apparue grâce à la “divine surprise”. Les comptes et les décomptes des déboires américanistes en Irak et en Afghanistan, la radicale réduction de la puissance US, les interrogations évidentes sur les capacités opérationnelles de l’attaque israélienne, la perte radicale d’influence de l’Amérique et la paralysie de sa diplomatie qu’on constate depuis quelques mois, tout cela s’efface comme par miracle, disparaît devant la vertu fondamentale de la dynamique guerrière. Il s’agit d’une psychologie contenue dans le corset de fer de la Guerre froide, au son des hypothèses de destruction totale pesées et repesées, puis exaltées par le chant clintonien et bushiste de l’“hyperpuissance”, qui se libère aujourd’hui. Dans le chef de certains néo-conservateurs, l’exaltation est peut-être plus forte aujourd’hui qu’elle ne fut au moment de la guerre contre l’Irak. Dans tous les cas, c’est toujours le même chant guerrier et exalté.

Rien de nouveau, en ce sens. Ce qui est, sinon nouveau dans tous les cas remarquablement singulier, c’est la différence d’appréciation entre ces néo-conservateurs triomphants et l’appréciation critique générale, non-américaniste, qu’on trouve par ailleurs. Qu’on compare le point de vue de Kristoll avec, par exemple, celui d’un Rupert Cornwell, signalé ce jour dans notre “Bloc-Notes”. Cette différence radicale d’appréciation de la situation est un phénomène unique, lié précisément à la situation actuelle. Il n’existait pas, par exemple, en mars-avril 2003 : à l’exaltation des néo-conservateurs correspondait la reconnaissance de la puissance américaniste, même pour la dénoncer éventuellement, chez ces commentateurs qui font au contraire, aujourd’hui, de l’offensive israélienne un signe de plus de l’effondrement du Projet américaniste.

C’est là un point important, qui doit conduire notre analyse au-delà du simple constat d’un désaccord.

Qu’on les aime ou qu’on les déteste, les néo-conservateurs continuent à représenter toutes les tendances radicales qui se manifestent à Washington et dans la conception (ou la non-conception) de ce qu’on n’ose désigner comme une “politique étrangère” américaniste mais qui en tient lieu. Leur appréciation triomphante de l’attaque israélienne renvoie à la même psychologie virtualisée que William Pfaff ne cesse de découvrir avec de plus en plus d’étonnement, telle qu’on la signale dans notre Faits & Commentaires du 13 juillet. On voit combien les néo-conservateurs sont aujourd’hui particulièrement bien “en phase” avec Washington, bien plus qu’on ne pourrait croire. Qu’elles soient plus ou moins radicalisées, les opinions washingtoniennes s’appuient pour juger de la situation sur une même psychologie complètement restructurée selon les normes virtualistes. Cela n’a plus rien à voir avec la psychologie du reste du monde.

En 2002-2003, tout le monde croyait, sauf quelques rares exceptions, à la puissance américaniste, qui pour s’en réjouir, qui pour la dénoncer. Aujourd’hui, c’est sur la réalité de cette puissance elle-même qu’on se trouve en complet désaccord. L’attaque israélienne et l’exultation des néo-conservateurs nous signalent que nous atteignons, — que Washington atteint le dernier stade du virtualisme. Comme le remarque William Pfaff : « What this implies for our future, I simply do not know. »


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