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13 juillet 2025 (18H15) – Qu’importe de savoir s’il vole, puisqu’il est inspirateur de tant de plumes qui le suivent et l’observent presque comme un Objet Volant Non Identifié. Il est vrai que retrouver une chronique “de la vie copurante” d’un journal quotidien de nouvelles générales, fût-il suisse, consacré au F-35 comme objet quotidien et sans prétention de moquerie, de dérision, c’est assez peu commun. Le F-35, venu tout droit du JSF, aura donc innové en tout puisqu’il permet de démarrer une chronique sur ce ton-là, je veux dire sur de tels détails :
« Les F-35 ne sont plus des avions de combat. Ce sont les épisodes d’une série en streaming live sur Play Suisse. Chaque jour, un rebondissement... »
Il innove tant en tout qu’il arrive à vous convaincre qu’il est un avion de combat en divisant par trois ses capacités de combat. C’est l’aventure qui arrive périodiquement aux F-35 du Royaume-Uni, vous savez ce pays qui, allié à la France macroniste, entend culbuter les Cosaques jusqu’à Moscou...
Je vous parle de la période pour l’année 2024, et plus précisément, au sommet de sa grande forme, entre octobre 2024 et janvier 2025 :
« Les avions de combat F-35 de l'armée de l'air britannique ne sont capables d'effectuer qu'un tiers du nombre de missions fixées par l'objectif du ministère de la Défense en raison d'une pénurie d'ingénieurs, de pièces de rechange et de la corrosion des métaux, a révélé vendredi un rapport du National Audit Office (NAO). »
Là-dessus, puisque j’ai cité ici une littérature directement issue d’une plume russe et donc fort suspecte, j’ajoute pour plus de sûreté ces précisions écrites dans le rapport NAO :
« “Le ministère de la Défense n'a pas été en mesure d'atteindre durablement ses objectifs de disponibilité des avions, ce qui a entraîné des heures de vol inférieures aux besoins en pilotes. En 2024, la flotte britannique de F-35 affichait un taux de capacité opérationnelle (défini comme la capacité d'un avion à effectuer au moins une des sept missions requises) correspondant à environ la moitié de l'objectif du ministère. Son taux de capacité opérationnelle totale (défini comme la capacité d'un F-35 à effectuer toutes les missions requises) correspondait à environ un tiers de cet objectif”, indique le rapport.
» En particulier, entre octobre 2024 et janvier 2025, certains appareils de la flotte de F-35 étaient “indisponibles pour effectuer la moindre mission” car ils étaient en maintenance. »
Surprenant, n’est-il pas ? Rendez-vous compte du magnifique spectacle que nous aurions eu si, au lieu des vulgaires teuf-teuf nommés ‘Spitfire’ et ‘Hurricane’ qui font un bruit de casseroles, les petits gars de la RAF avaient pu disposer de F-35 ? Churchill n’aurait plus eu qu’à changer un peu sa phrase fameuse du 20 août 1940, en espérant plaire à Roosevelt puisqu’il s’agit de zincs américanistes... Quel chemin, quel progrès accomplis depuis !
« Jamais, dans le domaine des conflits humains, tant de personnes n'ont dû autant à si peu [d’avions]. »
Mais pour autant, revenons à nos amis suisses, plus précisément à monsieur Christophe Passer, qui chronique dans le quotidien ’24 Heures’. Le 6 juillet, il s’est donc attaché au destin des F-35 dans la vie quotidienne des Suisses, de leurs dirigeants, de leurs ingénieurs, de leurs mécanos, de leurs dépanneurs autoroutiers et ainsi de suite.
En plus des “mille et une vies”, Passer a trouvé comme autre titre « Les F-35 ne sont plus des avions », entendant par là qu’ils sont des personnages de séries télévisés pour les diverses raisons qu’on a vues et qu’on va voir...
« Les F-35 ne sont plus des avions de combat. Ce sont les épisodes d’une série en streaming live sur Play Suisse. Chaque jour, un rebondissement. Un e-mail oublié, un lobbyiste en surchauffe, un général ou un conseiller fédéral qui dit l’inverse de la veille. C’est pire qu’un trend sur Google, ou qu’une papesse du vernis à ongles: pourrait-on quémander un dôme d’acier anti-scandale? Ou une toute petite demi-heure sans qu’un nouveau pataquès ne surgisse en alerte TikTok du tarmac des ennuis?
Ça donne envie de se sacrifier pour la patrie en courant dans les tranchées, tous ces brillants officiers et négociateurs, pas vrai? La Suisse voulait des chasseurs furtifs, elle se retrouve avec des grenades à retardement médiatiques. Cela pour la «police du ciel» d’une armée devenue d’opérette, intégrée à rien, à la mission imprécise et au budget incertain: on vise 1% du PIB vers 2035. Un objectif si minimal qu’il ressemble à une arme secrète: il s’agit sans doute de faire mourir de rire, du Kremlin au Pentagone.
Complot ou incompétence? Maladresse ou stratégie? On a déjà eu des évaluations classées top-secret et devenues top suspectes. Des réunions avec les Américains, où le mot «neutralité» était rangé dans la corbeille à papier. Des audits qui donnent des sueurs froides aux pilotes avant même qu’ils aient mis leur casque. Des communiqués où l’on parlait «d’avions les plus performants du monde», tout en oubliant de préciser que, parfois, ils refuseraient de décoller par mauvais temps, que le prix de la maintenance est énorme, que le work in progress du F-35 impliquera encore moult difficultés surprenantes.
Et désormais, Berne bafouille une rumeur de mauvaise compréhension du «coût fixe» ici, un contrat mal ficelé là. C’est écrit en anglais, voyez-vous. Et où sont les bombinettes – forcément archicoûteuses – qui devraient aller avec? Au pays dit des banques, on est en délicatesse avec la comptabilité. Bien du plaisir à la Commission de gestion du Conseil national qui a décidé d’enquêter.
Car la Suisse n’achète pas 36 avions, mais voit trente-six chandelles et fait une master class en géopolitique embarrassée. Allez, nous finirons sûrement par les avoir, ces jolis avions, ne serait-ce que parce que les décideurs politiques et militaires s’accrocheront à la dilution des responsabilités plutôt qu’à corriger les énormités et erreurs. Et puis, faut pas fâcher Trump, n’est-ce pas? Outil de défense, le F-35 restera un abonnement à la polémique, mais tout le monde fera semblant de rien. Les Gripen de jadis, qu’on avait rejetés à coups de bulletins, font aujourd’hui figure de bon vieux projet rationnel. À croire que la vraie menace n’était pas dans le ciel, mais dans les appels d’offres.
Les militaires comme les politiques adorent les expressions lyrico-sentencieuses un peu bêtes, genre «théâtre des opérations» ou «théâtre de guerre». Soupirons que quel que soit l’avenir de la guerre par ici, nous aurons au moins eu le théâtre de patronage. Chers contribuables, soyez gentils de laisser votre argent dans le chapeau à la fin du spectacle. »
Vous rendez-vous de l’impudence qu’il y a, chez ce non-initié, à se moquer de l’incomparable machine ? Car il s’en moque, aucun doute là-dessus... Et puis, alors, je voudrais bien rester sur ce concept de “moquerie” : comment peut-on “se moquer” d’un artefact de si belle facture, qui amène nos capacités, notre brio, notre ascension vers l’Olympe des créateurs de dieux ; justement jusqu’à l’Olympe foulé aux pieds par la chose en question, puisque créée d’essence divin du Dieu de la Technologie, nouveau-venu exceptionnel de la ‘Divine Comédie’ ?
Un instant de silence, je vous prie.
L’emploi du verbe “se moquer” n’indique nullement, dans mon chef, un état d’esprit moqueur pour le développement des remarques qui suivent. C’est exactement le contraire. Il me semble extrêmement sérieux que le F-35 puisse devenir un objet de chroniques du type “sur l’air du temps”, tenues par des gens dont la préoccupation n’est certes pas ni le matériel militaire, ni les choses des armées en marche et des années en guerre. Cela signifie que cette extraordinaire entreprise de désintégration du technologisme qu’est le F-35 a quitté sa sphère favorite de la communication spécialisée du domaine, – cette nuée d’experts et de généraux subventionnés chargé de dire “Circulez, y a rien à voir” au quidam-lambda qui aurait l’idée de s’arrêter pour voir l’avion invisible, – pour se répandre dans le tout-venant et inspirer les non-initiés chargés de râler à propos de choses sans importance.
Non, c’est vrai : aujourd’hui, ils en viennent à râler à propos de ce qui leur est interdit, qui est de mettre en cause le sacro-saint ! Je me rappelle des années 1960, quand le F-104 ‘Starfighter’ (américaniste, de chez Lockheed, tiens comme on retrouve puisque Martin-Lockheed fabrique le F-35) venait d’être livré à la Luftwaffe et avait connu sur cette durée d’une décennie un nombre incroyable d’accidents catastrophiques (destruction de l’avion, souvent mort du pilote) : plus de 700 au tapis sur cette durée d’une décennie. Voyez, mes amis, à cette époque nul besoin de ‘Patriot’ ! D’ailleurs, comme le F-35 ne vole pas pendant les six cinquièmes du temps, on ne nous refera pas le coup du F-104... Mais ce que je voulais dire, c’est que la contestation devant ces énormes pertes n’avait pas vraiment pénétré la sphère des non-initiés, comme pour le F-35. Bien sûr, le F-104 avait gagné le surnom assez remarquable de “Faiseur de veuves”, ce qui était assez flatteur pour la vertu familiale des pilotes... Mais au-delà, rien de plus, rien de vraiment significatif, et une réelle indifférence aux éventuels défauts de l’avion.
Alors voici que paraît ce texte de ce Passer que je tiens comme exemplaire du climat, et qu’il sort vraiment des habitudes de la société civile écrivant dans les gazettes. Peut-être doit-on dire qu’il sort de la piste d’atterrissage, façon plus conquérante que “sortir des clous”, car avec le F-35 l’affaire est en bout de piste... C’est pourquoi, Passer prend un risque, devient un héros sans le savoir : dire ce qu’il écrit à propos du F-35, c’est risqué. Même LaHyène, à Bruxelles, risque de s’en aviser.
Hors de toute moquerie, plaisanterie, sarcasme, etc., je tiens à mettre en évidence l’importance de ce fait. La catastrophe n°1 du technologisme militaire en hypercrise qu’est le programme JSF devenu F-35 a quitté la sphère militaire pour, littéralement, “entrer dans les mœurs”. C’est un événement de grande importance, quelque chose qui participe d’une façon profonde au processus d’effondrement. Plus rien, aujourd’hui, du ‘top secret” au ‘For Your Eyes Only’, des performances stupéfiantes de l’avion invisible dont on s’aperçoit que c’est une libellule enceinte et clouée au sol à cause des entrelacs couteux de sa maintenance, à sa résistance à la chaleur et à sa facilité à se dilater comme un chewing-gum jusqu’à devenir un monstre de Jurassic Park, – rien, plus rien entendez-vous n’est à l’abri de la curiosité publique devenant facilement de l’irritation...
Certains douteront encore de cette irritation, parce qu’ils connaissent mal le F-35 et son extraordinaire capacité à foutre le bordel avec ses innombrables petits bobos dont la guérison de chacun entraîne aussitôt entraîne la naissance de trois ou quatre autres petits bobos. Qu’il n’y en ait ou pas à l’instant ou demain, de cette irritation, n’empêche pas qu’il y en aura obligatoirement dans trois semaines ou dans six mois. Nul ne pouvait imaginer que le F-35 serait aussi mauvais, ni qu’il traînerait avec lui tant de motifs d’irritation. Le monde s’est recouvert de F-35 ! C’est comme une immense diarrhée de technologies guerrières qui traîne avec elle le spectre d’horribles maladies honteuses de fin de civilisation.
Ce n’est ainsi qu’une petite circonstance cette chronique, mais elle nous offre le signe d’un événement de très grande importance. La crise du technologisme entre dans la vie courante des citoyens de ces piètres pays de l’Occident-maladif qui se sont précipités, – Ô Dieu, pardonne-leur, ils savent ce qu’ils font mais n’y comprennent rien, – sur ce sabot incroyable, cet arrogant fer à repasser, ridicule à force d’incontinence et de fragilité pathologique. Le ridicule ne tue plus paraît-il, – on le répète souvent ces jours-ci –mais au bout d’un certain temps ça use, ça use terriblement...