Les grands chefs US de théâtre (sauf celui de Central Command) sont vraiment très mal en point

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 2008

Les grands chefs US de théâtre (sauf celui de Central Command) sont vraiment très mal en point

Il y a eu un petit écho des auditions qui ont eu lieu au Congrès américain la semaine dernière. De grands chefs militaires étaient invités à témoigner. On a surtout cité le général Ralston, CINCEUR (commandant en chef du théâtre européen, en plus de sa fonction internationale de commandant en chef suprême des forces de l'OTAN), et l'amiral Blair, CINCPAC (commandant en chef du théâtre du Pacifique). Donc, deux des fameux CINC (cette acronyme qui signifie Commander In Chief peut être prononcé king par ironie, on comprend pourquoi) qui furent l'objet de toutes les attentions il y a trois ans, lorsqu'on exposa qu'ils disposaient d'un pouvoir militaro-diplomatique considérable, un peu à la manière des vice-rois de l'époque victorienne. Cette fois, Ralston et Blair se présentèrent en vice-rois bien appauvris, bien geignards et amers.

Ralston et Blair sont des victimes, qui paraîtront inattendues voire déguisées à certains, de la Grande Guerre contre la Terreur qui donne tous les pouvoirs et beaucoup de moyens à un autre “CinC”, celui de Central Command. (Il s'agit en l'occurrence du général Tommy Franks, de l'U.S. Army.) Voici ce qu'en dit la dépêche d'Associated Press en date du 21 mars :

« Leaders of the U.S. Pacific and European commands said the war on terrorism has overtaxed troops and equipment, leaving dangerous shortages that ultimately could hurt Americans. The commanders were asked whether they had enough forces to carry out all current operations as well as possible military action against Iraq, and their answers were "very troubling," said Rep. Ike Skelton, Missouri Democrat, who asked the question.

» "We do not have adequate forces to carry out our missions for the Pacific if the operations in [Afghanistan] continue at their recent past and current pace," Navy Adm. Dennis C. Blair, commander in chief of the Pacific Command, told the House Armed Services Committee.

Donc, surprise pour ceux qui sont habitués à faire sonner des commentaires extasiés sur la puissance militaire américaine. Au contraire, constat de la réalité : la puissance militaire américaine est en réalité extraordinairement insuffisante pour les missions d'hégémonie agressive globale, avec conflits à la clé, que la direction washingtonienne veut développer. L'absence simultanée de porte-avions pendant de longues périodes dans des zones stratégiques comme l'Atlantique orientale, la Méditerranée et le Pacifique occidental, sont des faits stratégiques essentiels, et extrêmement significatifs de l'état des moyens stratégiques américains.

La cause en est évidemment le rassemblement de forces dans l'Océan Indien pour la campagne en Afghanistan, qui a mobilisé jusqu'à trois groupes de porte-avions au plus fort de l'offensive aérienne. Lorsqu'on compare cette concentration de forces à l'intensité réelle de cette guerre, à son importance qu'on peut apprécier désormais comme mineure par rapport à d'autres campagnes envisagées, à l'incapacité où sont les Américains de la terminer et même au contraire, on mesure la situation stratégique très difficile où se trouvent les planificateurs du Pentagone. Cela est d'autant plus vrai que les faiblesses concernent des aspects structurels fondamentaux de la machine stratégique américaine, qui ne peuvent compensées que sur un terme moyen-long. (Il faut au minimum 5 ans pour construire un porte-avions et encore n'a-t-on pas pour autant un groupe opérationnel. Reste alors la solution de sortir de “cocon” certaines unités. Là aussi, il faut un certain temps — autour de 6 mois — pour remettre les unités en état et, surtout, on provoque un vieillissement artificiel de la machine de guerre américaine avec des unités dépassées et sous-équipées.)

Cette situation confirme dans tous les cas que le budget du Pentagone, même gavée pour la FY2003 de ses $48 milliards en plus, est notablement insuffisant. On en revient à l'idée déjà ancienne et largement débattue sur ce site qu'il faudrait aujourd'hui un budget correspondant à 4-4,5% du PNB pour à la fois maintenir la machine militaire US dans son état de fonctionnement et pour lancer une dynamique d'expansion, alors qu'on se dirige vers 3,3-3,5% vers 2004-2006. Une situation plus acceptable aujourd'hui, avec les frais supplémentaires de la guerre, serait un budget de $496 milliards pour FY2003 et non $396 milliards. Et là, vraiment, on se trouve au-delà des capacités de l'Amérique dans l'état actuel des choses.

C'est une situation évidente et par ailleurs systématiquement ignorée des commentateurs politiques : la puissance et les ambitions de l'Amérique sont fondées sur des plans et des méthodes qui demandent des moyens militaires et des moyens budgétaires complètement en-dehors d'une comptabilité normale, des moyens militaires et des moyens budgétaires si extraordinaires qu'ils ne pourraient être réalisés que par une mobilisation maximale de l'économie américaine au service de la machine militaire. Voilà la réalité devant laquelle se trouvent les chefs politiques américains, par ailleurs totalement engagés dans la poursuite de la Grande Guerre contre la Terreur.

L'alternative est classique : en rabattre sur les prétentions stratégiques et envisager à terme, et peut-être un terme plus rapide qu'on croit, des désengagements de certaines zones. Dans quel sens et où ? Voici une indication, qui est en fait une indication de plus tant nous avons déjà eu de signes dans ce sens.

Un post-scriptum pour les amis européens de l'Amérique

Le constat fait durant ces auditions des deux CINCsest que cette situation générale a des effets évidents sur les engagements américains dans les zones qui ne sont pas considérées comme essentielles dans la Grande Guerre contre le terrorisme. C'est une évidence qui doit être rappelée. On la voit exprimée clairement dans les auditions de Blair et de Ralston. Pour autant, on voit également, et c'est ce qui nous importe que ces effets sont traités différemment selon les zones.

On met en évidence deux points, d'où l'on pourra aller à une conclusion.

• Le Pacifique a été dégarni comme l'Europe mais a été rétabli en priorité dans ses capacités. Blair : « We were without a carrier battle group in the Western Pacific in the Afghan war's early days. » Cela implique que Blair a récupéré un porte-avions pour le Pacifique occidental vers le mois de décembre 2001. Ralston, lui, rapporte qu'il est toujours sans porte-avions depuis le début de la crise : « Likewise, Gen. Ralston said he has not had an aircraft carrier in many months, save for a few days when it traveled through the Mediterranean. »

• Cette précision de Ralston est intéressante : « I have not had a marine amphibious ready group since October of last year. This is the primary unit that I use to evacuate Americans if there is a NATO operation taking place in one of those 91 countries. And I don't believe I will have a marine amphibious ready group this year other than just for a few days as they transit the Mediterranean. » L'argument est employé par Ralston parce que c'est le seul susceptible de frapper les parlementaires et qu'il reflète aussi bien le sens ses consignes stratégiques prioritaires de CINCEUR. Si l'on veut parler de façon plus nette, voici ce que cela signifie : il n'y a aujourd'hui, à Washington, qu'un seul argument, une seule manoeuvre qui justifie le maintien (ou un éventuel réajustement) de forces américains en Europe : la capacité d'évacuer des Américains (civils ou militaires, Ralston se garde bien de préciser) d'Europe.

La conclusion est difficile à écarter. Aujourd'hui, l'Europe est la dernière priorité américaine, et même plus du tout une priorité. C'est en Europe que les Américains commenceront à se désengager pour augmenter leur effort ailleurs (en Irak, par exemple), voire pour simplement le maintenir. Mais non, d'ailleurs, le mode futur est déplacé. Ce que nous dit Ralston in fine, c'est que ce désengagement américain d'Europe a d'ores et déjà commencé.

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