Le vol interrompu de l’Apache (suite)

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Le vol interrompu de l’Apache (suite)


29 mars 2003 — Dans une chronique F&C de début de semaine, nous nous attachions à une interprétation des réactions américaines, au niveau militaire et tactique, après la perte d’un AH-64 Apache. Nous complétons cette réaction par l’observation des critiques qui se sont soulevées, à Washington, à propos de la perte de l’hélicoptère et de l’attitude tactique des militaires.

Nous-mêmes critiquions la démarche US, tendant à renforcer la protection des missions des hélicoptères de combat par crainte de pertes, parce qu’elle conduit dans une voie absurde où toutes les qualités intrinsèques de cet appareil (discrétion d’intervention, surprise, etc) sont évidemment compromises. Les réactions que nous recueillons sont exactement inverses  : au contraire, il faut renforcer toujours plus, non seulement la protection mais encore la préparation des missions des AH-64 (à un point où l’on pourrait proposer l’idée que l’on exigerait la destruction complète des défenses de l’objectif, et l’objectif lui-même par le fait, si bien que le AH-64 n’aurait plus rien à craindre puisqu’on aurait accompli sa mission pour lui). Par exemple, on lit dans un article du Philadelphia Inquirer du 25 mars :


« Another retired senior officer said the Apache Longbow helicopter gunships that were shot up badly Sunday had been sent on a deep strike against Republican Guard divisions guarding the approaches to Baghdad. He and others said the Apaches shouldn't have been used that way.

» ''They should have been preceded by suppression of enemy air defenses,'' the general said. ''There should be a barrage of long-range artillery and MLRS (Multiple-Launch Rocket System) rockets before you send the Apaches in.'' »


Ce qui est le plus étonnant dans ces réactions, c’est la “dramatisation” des circonstances de l’attaque des AH-64, c’est-à-dire l’incompréhension des problèmes. On peut en avoir un exemple également dans un éditorial du New York Times le 25 mars (le NYT qui a pourtant publié l’article décrivant l’incident, où les conditions de cet incident étaient perçues comme beaucoup moins dramatiques).


« Army Apache helicopters attacked and destroyed up to 15 armored vehicles of a Republican Guard division in central Iraq but were driven back by a ferocious hail of small-arms fire and rocket-propelled grenades. Virtually all the Apaches were hit, and one went down. It was the latest evidence that some of the initial hopes — even assumptions — that Iraqi resistance would quickly crumble seemed not to be panning out. »


On peut discuter les termes de la description de ces engagements. Nous nous en tiendrons à un point, qui est celui de notre témoignage direct. Les deux descriptions faites ci-dessus impliquent un engagement d’une extrême férocité, des hélicoptères criblés de balles, dont l’un abattu, dont il apparaît évident qu’il serait au moins autant criblé de balles que les autres. Mais nous avons vu cet Apache filmé à la TV irakienne, avec des plans moyennement et très rapprochés totalisant 30 à 40 secondes, — aucun impact de balle n’était discernable. Du coup, entre les deux versions présentées sans preuve plus évidente pour l’une que pour l’autre, — celle d’une retraite précipitée face à une défense à armes légères et celle d’une retraite forcée sous une grêle de balles, avec tous les hélicoptères touchés, — nous choisirons évidemment la moins dramatique.

Ce qui se passe est que Washington, le tout-Washington des experts est stupéfié qu’en temps de guerre on puisse se battre, et qu’on puisse se battre avec des AK-47 contre des AH-64 (ou contre des Abrams). Un seul AH-64 abattu, et l’événement prend des dimensions cosmiques. Le tout-Washington des experts (et aussi du monde occidental) a oublié qu’à la guerre il y a des pertes, souvent explicables par des incidents de hasard, plus que par un événement militaire énorme et monstrueux, et d’un modèle répertorié dans le manuel.

Les AH-64 ont rebroussé chemin parce qu’on leur tirait dessus avec des AK-47, ce qui n’était pas prévu dans le manuel puisque la défense AA classique (“autorisée” dirait-on, avec des missiles SA-6 et des affûts quadruples ZSU-23) était absente du champ. Comme dit le général Wallace, chef du V Corps, « The enemy we're fighting is different from the one we'd war-gamed against » ; et la fortune de la guerre et des alizés fait qu’une rafale de AK-47, comme quatre ou cinq balles de Parabellum d’ailleurs, peuvent descendre un AH-64. (Par contre, recommander «  a barrage of long-range artillery and MLRS (Multiple-Launch Rocket System) rockets » contre des AK-47 portés par quelques fedayins en maraude, cela laisse à penser, et sur l’efficacité, et sur l’état des esprits des conseilleurs.)

Tout cela, ces explications de bon sens, ne sont pas acceptables. Il faut transformer l’incident en une bataille épique, l’adversaire en un monstre asymétrique sorti de nulle part, et la mission d’un hélicoptère de combat où surprise et rapidité devraient prévaloir, en une mission qui devrait être préparée par une préparation d’artillerie digne des grands engagements de l’Armée Rouge pendant la Grande Guerre patriotique. Face aux surprises de la guerre asymétrique, laquelle est un modèle de guerre aussi vieux que l’affrontement entre David et Gioliath, l’Amérique et son armée n'ont qu’une réponse : le poids, super-lourd de préférence.