Le triomphe tranquille des mollahs

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Le triomphe tranquille des mollahs

17 avril 2003 — De nombreux rapports et constats montrent combien le pouvoir religieux, essentiellement chiite, est en train de s’installer en Irak, dans le vide laissé par l’effondrement du régime de Saddam et favorisé par le désordre qui a suivi cet effondrement. On a déjà lu plusieurs textes à cet égard, notamment cet article de l’International Herald Tribune du 14 avril où des religieux chiites réclament le contrôle d’une fabrique d’armes. Les Britanniques sont les plus prompts à tirer des conclusions sur les conséquences potentielles de l’évolution actuelle de la situation en Irak.

Ces événements représentent sans aucun doute des affirmations puissantes de la proximité iranienne de l'Irak, voire de l'influence iranienne (il y a des liens entre les clergés chiites des deux pays, la pénétration de mollahs iraniens en Irak, etc), — d'autant plus fermes qu'il n'y a plus d'attraction centrale forte en Irak. Ils illustrent le fait politique majeur de l’après-Saddam, qui est l’affirmation iranienne. Divers observateurs commentent la situation dans ce sens. On en citera deux.

• L’institut Stratfor (son directeur George Friedman) et il écrit ceci concernant la position de l’Iran (le commentaire date du 11 avril, — 5 jours plus tard, nous gageons que l’appréciation du rôle de l’Iran serait encore largement renforcée)  : « Iran has positioned itself in such a way that its pro-Iranian Shiite groups in Iraq could wage a guerrilla war against the United States, while Tehran holds open the possibility of reaching implicit accommodations with the United States — all at the same time. Iranian subtlety notwithstanding, Washington regards Iran as the single most potentially dangerous regime in the region, because of both its resources and the complexity of its politics and policies. Iran has positioned itself to be fundamentally unpredictable — and having achieved this goal, it concerns the United States tremendously. »

• Justin Raimundo, dans une chronique datant du 14 avril, est bien plus affirmatif encore sur la position de l’Iran dans la crise irakienne, — là encore, ce qui s’explique par les 3 jours écoulés, montrant la progression des positions iraniennes en Irak : « The main political consequence of the war, internally, is to increase Iranian influence: if free elections were held in the southern Shi'a provinces of Iraq, they would undoubtedly usher in some sort of “Islamic Republic.” The effort by the neocons in the administration to install Ahmed Chalabi as the Pentagon's puppet, far from forestalling this possibility, only makes it a more credible threat to the postwar order. I guess it all comes under the heading of “creative destruction”. »

Maintenant, poursuivons l’idée de la “creative destruction” citée par Raimundo. Un très intéressant texte de WSWS.org présente l’attitude des Américains face au désordre et au pillage. Il l’interprète comme une tactique coordonnée, répondant à une conception générale, impliquant que les Américains “laissent faire” de façon systématique, et s’installer ce désordre pendant un temps donné. Ce n’est pas si étonnant, si l’on consulte une citation de GW, confidence faite à Bob Woodward, rapportée par William Pfaff dans une récente (9 avril) chronique : « One of the many curious things President George W. Bush is quoted as saying, this time in Bob Woodward's book, “Bush at War,” is that U.S. strategy in Afghanistan “is to create chaos, to create a vacuum.” Out of the chaos and vacuum, good would come. This echoes the Trotskyist belief in the constructive effect of “permanent revolution.” » Cette pensée vient droit des néo-conservateurs, dont on sait que leur tactique fondamentale est de plonger le Moyen-Orient dans le chaos. (Voir “Practice to Deceive”, de Joshua Micah Marshall, dans le Washington Monthly d’avril, avec cette phrase : « Chaos in the Middle East is not the Bush hawks' nightmare scenario — it's their plan. ») Ce n’est pas absurde ni stupide, c’est utopie pure et simple, de celle que GW peut comprendre et, finalement, embrasser.

Cet aspect très psychologique des plans d’investissement et de changement du Moyen-Orient est pris en compte, même par les analystes les plus sérieux, enfin ceux qui ne sont pas inclinés à accepter les arguments exotiques. C’est le cas de George Friedman à nouveau, de Stratfor, lorsqu’il écrit que l’un des deux buts de l’intervention US en Irak est de « transform the psychology of the Islamic world, which had perceived the United States as in essence weak and unwilling to take risks to achieve its ends ».

Peut-être une intervention deus ex machina permettra effectivement de faire donner tous ses fruits au côté créateur de la “creative destruction” ; peut-être les Arabes comprendront-ils que les Américains ne sont pas faibles et s’inclineront-ils. Si ce n’est pas le cas, nous avons au moins le chaos et les fruits qu’il va donner seront instructifs à découvrir. Ce qu’on voit pour l’instant est combien ce chaos favorise l’installation de la hiérarchie religieuse chiite qui n'est pas sans liens avec l'Iran dans une situation polarisée par l'hostilité larvée ou exprimée à l'encontre des USA, combien il contribue pour l’instant à renforcer le poids et l’influence de l’Iran dans la région, combien il renforce l'idée même de structure religieuse comme ciment social face aux pressions de l'américanisation évidemment perçue de plus en plus comme un facteur de désordre. C’est un problème pour les néo-conservateurs américains ; ils veulent au contraire que poids et influence soient le fait d’un Irak nouveau, c’est-à-dire, naturellement, américanisé ; ils veulent qu'en fin de compte, l'américanisation elle-même soit perçue comme la réponse à la question sociale.