Le sondage Broder

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Le sondage Broder


2 juillet 2002 — David S. Broder est un éditorialiste américain respecté. Il est plutôt de tendance modérée, indépendant des deux partis mais plus proche des démocrates que des républicains, surtout dans l'esprit extrémiste où on trouve ces derniers aujourd'hui. Son article « A New Questioning of the War », publié le 30 juin dans le Washington Post, mérite toute notre attention.

Broder a effectivement l'habitude d'effectuer des périples intérieurs dans le pays, dans ''l'Amérique profonde'' si l'on veut, pour mieux identifier et mesurer les sentiments de la population. Plus que des voyages d'information, on appellerait cela des ''voyages d'impression'', un peu à la mode des déplacements qu'effectuaient ces voyageurs-chroniqueurs aux temps (bénis ?) où n'existaient ni moyens de communication, ni moyens d'investigation statistique. Ce n'est pas aussi précis qu'un sondage, comme un sondage peut être parfois faussement précis, mais cela est souvent bien plus significatif.

Dans ce cas, Broder tire une conclusion générale très importante : l'état d'esprit des Américains est en train de changer. Le contraste est saisissant avec une autre chronique de la même sorte qu'il avait publiée, le 5 décembre 2001 dans le même Washington Post, sous le titre de « It wasn't Pearl Harbor II

« Much of my time was spent with Democrats, ranging from a mayors' convention to interviews with candidates for legislative and statewide office in all four states. And what I heard convinces me that the nine-month moratorium on dissent from Bush's war on terrorism is coming to an end.

(...)

» The fresh questioning of the war on terrorism is also a phenomenon of the Democratic left. But if I have learned anything in four decades of covering politics, it is to pay heed when you hear the same questions — in almost the same phrases — popping up in different parts of the country.

» In San Francisco, during a taping of PBS's ''Washington Week,'' a member of the studio audience asked the panel why we had said that support for the war remained strong, ''because I don't know anyone here who favors it.'' The next night, at a social gathering, Oakland Mayor Jerry Brown asked skeptically, ''How do you wage war on a technique?'' And, he added, ''How do you ever know when you have won?'' At every stop in Iowa, Dean heard similar questions. Many involved not just the war itself but also its effects on personal liberty and political dissent. Attorney General John Ashcroft was a frequent target. »

Ces changements sont difficilement mesurables au niveau statistique, dans un système d'ailleurs extrêmement contestable à cause des manipulations, volontaires ou non, des orientations des enquêteurs, etc. « I am not talking about a shift in overall public opinion, where support for the president as commander in chief remains high. », écrit Broder, d'une façon qui pourrait paraître paradoxale. Mais c'est exactement cela, et c'est bien plus important que toute évolution d'opinion qu'on puisse envisager.

Effectivement, il s'agit d'un changement d'état d'esprit bien plus que d'un changement d'opinion. Il s'agit, d'une façon plus large, de la sortie d'une période d'hébétude caractérisée par une mobilisation générale du jugement autour du seul fait de la crainte du terrorisme, d'une attaque terroriste, etc, et qui dure depuis le 11 septembre 2001. Cette évolution se traduit évidemment par une appréciation critique de l'action menée par le gouvernement ; si elle se fait, elle se traduira également par la prise de conscience critique d'autres phénomènes, par exemple (mais quel exemple !) le phénomène de la colossale crise du capitalisme américaine où l'administration a évidemment ses responsabilités.

David S. Broder montre, dans le paragraphe qui clôt sa chronique (« Developments in the war will slow or accelerate this change. But you can feel it happening »), une certitude d'impression qui ne laisse pas d'impressionner.