Le Pentagone et la Zbellion de 2025

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Le Pentagone et la Zbellion de 2025

Le site The Intercept, sous la plume de Nick Turse le  5 juin 2020, publie le compte-rendu d’un document du Pentagone obtenu grâce au Freedom Information Act, et nommé Joint Land, Air and Sea Strategic Special Program 2018, ou JLASS (JLASS-2018) en abrégé. Il s’agit d’un compte-rendu en 200 pages portant sur des scénarios très divers de situations de crise et d’affrontement  (dont le site propose  un accès à la partie concernée) dans les dix années à venir, donc jusqu’en 2018. S’y trouvent réunis des simulations, des wargames, etc., selon une optique prospective dont le Pentagone et toutes les bureaucraties US de sécurité nationale sont coutumières.

Turse se concentre bien entendu sur le scénario dit Zbellion (contraction de “Génération-Z”, née après 1996, et de “rébellion”), tant ce scénario semble rencontrer dans certains de ses aspects ce qui se passe actuellement aux USA, avec un complément dans nombre de pays du reste du monde. (JLASS envisage bien entendu d’autres sortes de crises, sans grande surprise d’ailleurs : développement de l’islamisme, renaissance de Daesh, crises de famine en Afrique, etc., – bref, les divers classiques et usual suspects.Zbellion, qui porte explicitement sur un complot et une rébellion de la Génération-Z des jeunes gens nés après 1996, suivant la “génération du millénaire”, est assuré par les habituels ingrédients de simulation et participants de ce genre de travail : étudiants et professeurs des universités militaires ou soutenus par le complexe militaro-industriel. Le document, qui ne limite pas sa prospective aux USA, parle d’une simulation « destinée à refléter une représentation plausible des principales tendances et influences dans les régions du monde ».

Un extrait de l’article de The Intercept décrit ainsi l’événement Zbellion envisagé :

« Selon ce scénario, de nombreux membres de la Génération Z, – psychologiquement marqués dans leur jeunesse par le 11 septembre et la Grande Récession [de 2008], écrasés par les dettes de leurs études et désenchantés par les perspectives réduites d’emploi, – ont renoncé à l’espoir d’une vie facile et estiment que le système est manipulé et orienté contre eux. Voici comment les origines du soulèvement sont décrites :
» “Les attaques terroristes du 11 septembre et la Grande Récession ont grandement influencé l'attitude de cette génération aux États-Unis et ont provoqué un sentiment d’instabilité et d'insécurité dans la génération Z. La génération du millénaire a vécu ces événements, mais à un âge et un état d’esprit différent ; la génération Z les a vécus comme une partie de leur enfance, ce qui a affecté leur perception et leur vision du monde... [...]Beaucoup se sont retrouvés avec une dette universitaire excessive en même temps qu’ils découvraient que les options d'emploi ne répondaient pas à leurs attentes. La génération Z est souvent décrite comme étant à la recherche d’indépendance et d'opportunités, mais elle est aussi parmi les moins susceptibles de croire que le ‘Rêve Américain’ existe et elle croit que le ‘système est manipulé’ contre elle. Se considérant souvent comme des agents de changement social, les jeunes de la Génération Z ont soif d'épanouissement et d'enthousiasme dans leur travail pour aider à ‘faire avancer le monde’. En dépit de leurs compétences technologiques, ils préfèrent en fait le contact de personne à personne plutôt que l'interaction en ligne. Ils se décrivent comme étant impliqués dans leurs communautés virtuelles et physiques, et comme ayant rejeté le consumérisme excessif.”
» Au début de l'année 2025, un groupe de ces ‘Zoomers’ mécontents lance un mouvement de protestation. Commençant avec “les rassemblements et les protestations dans les parcs  et les cafés”, – d'abord à Seattle, puis à New York, à Washington, à Los Angeles, à Las Vegas et à Austin, – un groupe connu sous le nom de Zbellion lance une “cyber-campagne mondiale pour dénoncer l'injustice et la corruption et soutenir les causes qu'il juge justes et morales”.
» Lors du recrutement en face à face, les membres potentiels de Zbellion reçoivent des instructions pour se rendre sur des sites secrets qui leur donne accès à des logiciels sophistiqués de piratage, pour aller piller les avoirs des entreprises, des institutions financières et des ONG qui soutiennent ‘l’establishment’. Les gains sont convertis en Bitcoin et distribués à des ‘bénéficiaires méritants’, y compris les membres de Zbellion qui se disent dans le besoin. La direction de Zbellion, selon le scénario, assure à ses membres que leur redistribution des richesses est non seulement intraçables par les forces de l’ordre, mais aussi “en fin de compte justifiée”, car les cibles sont sélectionnées sur la base d’un “sondage sécurisé” des “délégués du réseau”. Bien que l’organisation soit d’origine américaine, les activités de Zbellion se déroulent à la fin des années 2020 également dans toute l’Europe et dans des villes d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, notamment à Nairobi (Kenya), Hanoï (Vietnam) et Amman (Jordanie).
» Dans le monde de la JLASS 2018, les membres les plus militants de la Génération Z ont essentiellement pris l'habitude de taxer à titre privé les grandes entreprises et autres institutions pour lutter contre les inégalités de revenus ou, comme le disent les participants à cette simulation, pour utiliser le “cybermonde pour répandre un appel à l’anarchie”. »

Le reste du texte de Turse est un rappel des événements des jours derniers, essentiellement pour ce qui concerne l’utilisation de forces militaires (Garde Nationale et unités de l’U.S. Army) dans les troubles de rue, et pour ce qui concerne l’attitude plus que prudente, parfois proche de l’insubordination des chefs civils et militaires des forces armées. Considérant tout cela, on peut alors porter quelques jugements sur JLASS 2018 et la Zbellionperçue par le Pentagone et ses différents moyens prospectifs.

• D’abord, il faut saluer le brio bien connu du Pentagone pour la production d’acronymes ou de mots amputés et composés accrocheurs. Zbellion, c’est excellent et l’on espère que Hollywood va se lancer dans deux ou trois blockbusters dans ce sens (Zbellion,Zbellion-Le Retour, Zbellion-Le Retour2, etc.)... Centaines de $millions garantis.

• Pour le reste, le scénario est d’une banalité rare. Il reprend tous les poncifs qui voyagent dans les milieux des cyber-indépendants-contestataires, dans la littérature à mesure et dans les milieux complotistes et dénonciateurs-des-complotistes, ainsi que les diverses expériences réelles, du type Tea Party ou Occupy.

• Les remarques les plus importantes porteront donc sur l’ontologie et la chronologie de la chose. Dans ce qui nous est présenté par JLASS-2018, en quelque sorte “l’essence précède l’existence” : il y a une organisation qui se met en place, dans un but bien défini d’insurrection de la Génération-Z contre le Système. Puis, à partir de là et d’un recrutement très classique, avec un financement complètement autonome qui relève d’un certain degré d’utopie ou de naïveté, ou les deux, chez nos prospectifs (on fait l’impasse sur les donateurs de la génération 1939-1945 du type-Soros), on passe aux opérations proprement dites. Finalement, le volet “manifestations de rue” n’est qu’un aspect de l’opération,  et selon les éléments qui nous sont donnés pas le plus important. De ce point de vue, la prospective est fortement contestable, parce qu’elle met de côté l’aspect circonstanciel (ce qui a déclenché le mouvement actuel, la mort de George Floyd et l’enchaînement antiraciste, – bien que certains puissent penser, on n’en doute pas, que tout cela a été organisé) ; et l’aspect idéologique des soutiens sinon des promoteurs des manifestations, que ce soit les courants marxistes, libéraux-libertaires, le parti démocrate, etc. De ce point de vue, il s’agirait plutôt d’un cas typiquement existentialiste où “l’existence précède l’essence”.

• ... Pourtant, non, il y a une certaine vista dans ce scénario, dans la mesure de la perception d’un très profond malaise chez les citoyens, notammeznt les jeunes, dans la réalité de notre temps. Ce malaise s’exprime justement et fondamentalement par une hostilité contre le Système omniprésent et comptable de tous les événements politiques, sociologiques, technologies, etc., et perçu alors comme un agresseur et un oppresseur. Il n’est pas assuré que la chose était comprise par tous les dirigeants et les élitesSystème en 2018, comme on le voit d'ailleurs par leur surprise chaque fois qu'éclate un événement de cette sorte (Gilets-Jaunes...). Finalement et en seconde lecture, une fois pris le distanciement qui importe,  on peut tout de même rejeter la vision existentialiste et dire que “l’essence précède l’existence”, puisque l’état d’esprit de la rébellion de ces deux dernières semaines aurait existé bien avant la rébellion.

• Sur ce point également (par rapport à l’actuelle situation), la prospective retrouve involontairement ce qui est selon nous est un aspect essentiel du phénomène lorsqu’il est mentionné dans le scénario de Zbellion que le soutien des contestataires à « des causes qu’ils jugent justes et morales » est un moyen parmi d’autres d’opérationnaliser leur rébellion. Cela rejoint parfaitement notre conception, aussi bien que la différenciation que fait le Saker-US pour les événements actuels entre “cause” et “prétexte” (le mot “opportunité” conviendrait également) : l’“insurrection” a pris le “prétexte” de l’antiracisme pour exprimer la “cause” fondamentalequi est une opposition au Système tel qu’il est installé et tel qu’il fonctionne, en agresseur et en oppresseur.

• La chronologie est extrêmement intéressante, parce qu’elle exprime une erreur que, finalement, nous faisons tous, plus ou moins et peu ou prou, en sachant ou en ignorant que nous commettons cette erreur (mais sans moyen d’y remédier si l’on sait) : l’accélération constante de l’Histoire. La prospective situe en 2025 cette explosion qui se déroule en ce moment, sous nos yeux : à deux ans de l’événement, c’est un erreur importante, qui en dit long sur notre incapacité à saisir la puissance de ce phénomène d’accélération. Pourtant, les circonstance de très grande tension crisique existaient déjà en 2018, avec l’affrontement autour de Trump, et l’année de l’élection présidentielle pouvait être prise comme une référence où pourraient se trouver réunies des circonstances favorisant une explosion, – ou la fameuse Zbellion.

 

Mis en ligne le 9 juin 2020 à 09H04

 

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