L’anniversaire de 9/11 et la question de l’avenir du régime (US, certes)

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L’anniversaire de 9/11 et la question de l’avenir du régime (US, certes)

L’inquiétude ne cesse de grandir, concernant la situation à Washington, aux USA mêmes, — c’est-à-dire concernant la stabilité du régime américain, selon une problématique que nous avons évoquée à plusieurs reprises. Bien entendu, l’anniversaire du 11 septembre a été l’occasion de longues interrogations sur le terrorisme alors que le seul problème qui importe aujourd’hui est celui de la stabilité du régime américain avec l’administration GW Bush.

D’une façon générale, la lâcheté et l’ignorance des commentateurs à cet égard, dans les grands médias, sont remarquables, et sans aucun précédent d’aucune sorte, dans aucune époque, avec l’accès aux sources ouvertes existant comme il existe aujourd’hui. Cela va jusqu’à l’impudence la plus complète, qui dépasse les leçons de catéchisme marxistes-léninistes qui, elles, au moins, n’étaient crues par personne. Un exemple de cette situation est donné par la lecture, dans une analyse du 13 septembre, un commentaire de cette sorte (concernant le soi-disant “anti-américanisme” des Allemands, qui sont le “they” de la citation) : «  Unable to bear the reality of American power, they have opted instead to live in a world of illusions ». Cette sorte de remarque totalement insensée et grossière, — à l’heure d’une quasi-guerre civile en Irak du fait de l’action américaine, d’une armée US dotée d’un budget annuel de $400 milliards et au bord de l’épuisement à cause de l’occupation d’un pays de cette importance, d’un déficit américain pour 2003 devant approcher les $600 milliards, — est de Andrew Gimson, du Spectator. Elle mesure, non pas l’état de la censure mais l’état des esprits, c’est-à-dire l’extraordinaire puissance du conformisme du commentaire, agissant aujourd’hui comme une véritable drogue de la pensée alors qu’il s’agit d’aborder la seule question centrale de notre temps.

La réalité de l’état du système doit être recherchée dans des remarques obliques, dites en passant, comme on en a déjà relevé ici et là et cité dans nos textes concernant cette question. Une remarque de cette sorte doit être trouvée dans ce texte de l’Observer que nous citons par ailleurs (cet extrait est en effet une aubaine qu’il ne faut pas laisser passer). Elle renvoie à l’URSS de la fin de l’empire.

« A high level source in the UK delegation told The Observer said: “It's difficult to know what the Americans want. They're staying in their hotel. They're behaving like the Soviet Union in the Eighties. It's making it difficult to know what they want.” »

Le virtualisme et l’accélération de la décadence du système

Parmi les commentateurs qui peuvent continuer à montrer une certaine liberté, et qui en ont et les moyens et les capacités, l’explication centrale de la situation actuelle, notamment de la décadence accéléré du système et de l’absence de réaction de ceux qui en ont la charge, rejoint de plus en plus ce que nous proposons comme explication générale, — ce que nous nommons le virtualisme. Dans sa dernière chronique, Maureen Dowd fait ces remarques qui nous renvoie effectivement aux sources du processus conduisant au virtualisme, notamment et principalement avec Platon bien sûr :

« The Pentagon blithely says that we have 56,000 Iraqi police and security officers and that we will soon have more. But it may be hard to keep and recruit Iraqi cops; the job pays O.K. but it might end very suddenly, given the rate at which Americans and guerrillas are mowing them down.

» “This shows the Americans are completely out of control,” First Lt. Mazen Hamid, an Iraqi policeman, said Friday after angry demonstrators gathered in Falluja to demand the victims' bodies.

» Secretary Pangloss at Defense and Wolfie the Naif are terminally enchanted by their own descriptions of the world. They know how to use their minds, but it's not clear they know how to use their eyes. “They are like people in Plato's cave,” observed one military analyst. “They've been staring at the shadows on the wall for so long, they think they're forms.” »

On comprend évidemment le rôle essentiel joué par cette technique du virtualisme qui est chargée de façon extraordinaire du fardeau de représenter une idéologie, pour “couvrir” l’effondrement en cours des structures du système. Il s’agit bien sûr d’un rôle involontaire. L’arme la plus formidable du système, sa capacité de créer “une réalité à la place de la réalité” (et non d’attaquer la réalité dans l’espoir de la distordre grossièrement, comme fait la propagande) se retourne contre lui. Elle empêche en effet de prendre des mesures éventuellement efficaces contre la décadence accélérée de ce système, en trompant ceux qui sont chargés de le défendre sur la réelle situation. L’explication est simple : le virtualisme interdit, sous peine d’excommunication majeure, d’avancer l’idée que la réalité représentée par le virtualisme ne soit qu’une fiction ; affirmer que la réalité n’est pas celle qu’on vous présente dans les rapports, les journaux, les commentaires et les discours, est faire preuve du crime le plus grave, celui de “révisionnisme”. (GW a déjà utilisé cette accusations d’“historiens révisionnistes” contre certains journalistes critiquant son action au nom de la référence au réel immédiat.)

Et si GW était battu en 2004?

La prochaine élection (novembre 2004) est considérée de plus en plus comme une date-charnière. Des sources modérées à Washington, de personnalités qui font partie de l’establishment>D>, estiment que, si GW Bush est réélu, il déchaînera une politique totalement incontrôlable qui mettra sans aucun doute en péril la stabilité du régime américain. Une de ces sources confirme indirectement l’analyse de Bill Vann en estimant que les gouvernements européens doivent absolument “accompagner” la politique américaine, la “contenir” sans provocation, pour tenter d’éviter de très graves prolongements. Ce faisant, néanmoins, ils suggèrent une tactique désespérée et à double tranchant, reflétant l’impasse de la situation : ménager le gouvernement Bush revient également à renforcer ses chances d’être réélu.

Ces analyse très pessimistes invitent d’autre part à considérer la question d’un changement de gouvernement (GW Bush battu en 2004), et notamment ceci : un tel changement impliquera-t-il nécessairement et automatiquement l’abandon de la politique de l’actuelle administration ? Peut-être la question devrait-elle être formulée différemment : un nouveau gouvernement, un nouveau président pourraient-ils abandonner cette politique ?

Nous citons ici un extrait de la rubrique “de defensa”, dans notre édition du 19 septembre 2003 de la Lettre d’Analyse (papier) “de defensa & eurostratégie”.

Le Nouveau Monde perdu

Prêtons attention aux “petits faits” dont Stendhal était friand, tant il y voyait, avec le plus grand bon sens, la réalité des grands événements en train de se faire. Quelques-uns ont retenu notre attention. Ils nous montrent combien, deux ans après 9/11, l'Amérique s'éloigne de nous, de plus en plus prisonnière de son colossal montage sur la menace terroriste, — non pas que cette menace existe ou pas, mais d'en avoir fait ce qu'elle en a fait.

• Un analyste de l'organisation PINR, Matthew Riemer, pose la question : « Would an incoming democratic administration be forced to maintain the Bush Doctrine? » Sa réponse est positive, signifiant par là que les USA garderaient, presque contre leur gré, une doctrine stratégique qui les éloigne de façon décisive du reste du monde.

• Les visiteurs étrangers (touristes, prestataires itinérants de services, comme les artistes, les universitaires, etc) sont en chute libre aux USA, entre les tracasseries administratives de la législation anti-terreur et une nouvelle hostilité anti-américaine. La tendance est déjà dramatique entre 2001 et 2002, elle ne fera que s'accentuer en 2003. (Entre 2001 et 2002 : de 10.4 millions de demandes de visa en 2001 à 8.3 millions en 2002, de 7.5 millions de visas accordés en 2001 à 5.7 millions en 2002.)

• La dernière alerte à une attaque terroriste (fin juillet) a été accueillie avec scepticisme et fatalisme. Entre le scepticisme fataliste d'une Américaine moyenne interrogée par Reuters  :« Great. We can either be panicked, or more panicked », et le fatalisme expert d'un Michael O'Hanlon, de la Brookings Institution :« I think for the foreseeable future, literally nothing can happen that can take us to green (the lowest risk). » L'impression est remarquable : on ne croit plus tellement à la menace terroriste et/ou on ne croit pas une seconde qu'on puisse se débarrasser du nouveau corset d'alertes et de précautions anémiantes établi autour des USA, comme un cordon sanitaire, — ou comme une camisole de force ...

• Pendant ce temps apparaît un nouveau courant, dont témoigne Mark Cousins, dans un article de juillet du magazine britannique Prospect (Cannes vs America). Trouvant le Festival de Cannes bien meilleur qu'on a dit, Cousins s'explique en observant qu'une critique anti-américaine s'exprime désormais, aujourd'hui, aussi bien sur le fond de ce qui est dit, que sur la forme, dans la façon dont certains films sont réalisés. Leur forme repousse la facture hollywoodienne, celle de l'“industrie du cinéma” US éternellement lancée dans une conquête prédatrice du monde, elle explore de nouveaux territoires de la création qui sont autant d'affirmations d'indépendance et d'autonomie à l'égard de la forme dominante, — autant d'affirmations d'anti-américanisme. Conclusion pour notre part  : l'anti-américanisme, de critique et réactif qu'il était, est en train de devenir positif et créatif, jusqu'à laisser entrevoir qu'un jour tout ce qui sera nouveau sera, aux USA également d'ailleurs, “anti-américain” (disons plutôt, pour notre part : “anti-américaniste”).

Observez combien toutes ces remarques renvoient à un sentiment commun, celui d'une sorte de fatalité. Les uns et les autres semblent baisser les bras, non pas devant l'adversité mais devant les conséquences des divers montages imposés à l'Amérique par l'Amérique, dans le sillage de l'ivresse qui s'est emparée de l'esprit américain au lendemain du 11 septembre. Riemer nous dit qu'un éventuel futur président démocrate sera lié à la “doctrine Bush” à cause des effets extérieurs que cette doctrine a provoqués ; l'isolement de l'Amérique du reste du monde apparaît comme l'effet d'un processus bureaucratique d'ores et déjà incontrôlable ; les réactions des uns et des autres devant l'alerte au terrorisme est que l'Amérique ne sera jamais quitte de cette terreur, non pas nécessairement parce que la cause de cette terreur existe mais parce qu'on a élevé la potentialité de cette terreur à des hauteurs inexpugnables. En d'autres termes : on commence à douter qu'un jour, un politicien devenu président, ait le courage, l'audace, le bon sens, le goût de l'évidence, le feu de la révolte de l'esprit, de proclamer que cette absurde “guerre contre la terreur” éternelle est maintenant terminée.

Il s'agit d'une puissance qui se veut empire et qui se veut civilisation ultime, qui se trouve aujourd'hui verrouillée par le haut, à cause de sa direction elle-même paralysée dans un schéma que lui imposent sa paranoïa et l'imagerie qui lui sert de réalité (virtualisme). En faisant le 21 août le décompte navré de la situation catastrophique en Irak, l'Atlantic Monthly, cette revue prestigieuse pourtant toute acquise au soutien du système, ne peut éviter une ou deux phrases d'agacement extrême, en fin d'article : « And yet pundits insist that George W Bush is unassailable on foreign policy. After such success, what failure? » Nous nous demandons effectivement si l'on ne va pas continuer jusqu'au bout à répéter mécaniquement “succès” pour ces peu ordinaires désastres de politique extérieure et de campagne militaire, où le soi-disant Empire continue à gaspiller d'une façon très irresponsable tout ce que l'Amérique a amassé comme puissance depuis 1945.

Le système de l'américanisme est fatigué, il est assailli par les effets de ses contradictions internes, il est dépassé avec sa logique d'empire à l'anglo-saxonne qui n'a plus évolué depuis le XIXe siècle. II se célèbre lui-même comme la jeunesse et l'espoir du monde, montrant par là qu'il se trouve enchaîné à son propre nihilisme et qu'il est incapable d'envisager de se réformer. Que peut-il se passer ? On pourrait répondre “rien”, mais ce serait accepter sa propre logique nihiliste. La nouveauté à attendre viendra peut-être de l'intérieur du système, avec le possible affrontement entre ce système central sclérosé et ses composants (les États de l'Union). Plusieurs petits faits ont montré, sur des problèmes transnationaux comme la lutte contre la dégradation de l'environnement, que des États peuvent choisir une autre voie que celle choisie par un pouvoir fédéral devenu le jouet des groupes d'intérêts qui le subventionnent. Dix États du Nord-Est ont décidé de suivre une politique commune de l'environnement qui répond aux normes du Protocole de Kyoto, contre la politique de Washington. C'est un de ces signes auxquels il faut prêter attention, et sur lesquels nous reviendrons évidemment.


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