L’Amérique en Irak, complètement étrangère au monde

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L’Amérique en Irak, complètement étrangère au monde


21 avril 2003 — En dix jours (depuis la “sécurisation” de Bagdad et la fin effective du conflit), la situation américaine en Irak s’est considérablement dégradée. Il s’agit moins de l’effet d’actions maladroites ou stupides (bien que celles-ci aient leur part) que d’une sorte d’atonie, d’impuissance où se trouvent engluées les forces américaines. Littéralement, elles ne savent pas quoi faire.

Un texte du 21 avril, paru dans le Christian Science Monitor, nous donne quelques indications et explications pratiques, techniques pourrait-on dire. Les Américains ne savent que faire ; ils ont admis avant la guerre qu’il faudrait appliquer les lois locales, au moins pendant un temps, mais ils ignorent tout de ces lois locales. Ils n’ont rien préparé, malgré les exhortations des dissidents et des exilés à se préparer dans ce sens. Il y a même, — c’est tellement classique chez les Américains,— l’absence de traduction des textes sur les lois irakiennes.

Voici les considérations générales de ce reportage, exposant la situation d’impréparation des Américains :


« Exiled Iraqi lawyers say the US government failed to adopt - or even translate from Arabic - suggestions they provided in advance on how to prevent the kind of civil disorder, including looting and revenge killings, that has marred postwar Iraq.

» Weeks before the unrest erupted, the exiles proposed imposing martial law for 24 hours. The Pentagon also shelved a recommendation to recruit and vet Iraqi traffic police and security officers, who American soldiers did eventually turn to - but without checking their backgrounds.

» These are just two examples, lawyers familiar with the process say, of how inadequate preparation by US officials hampered efforts to reestablish law and order in Iraq. While the war itself may have been meticulous - planned over many months to achieve its objectives with speed and flexibility - US preparation for the next phase appears to have been less thorough.

» As the process of occupation begins, US officials are struggling to cope with new legal and administrative rules that take effect when hostilities turn to governance. For instance, coalition forces are supposed to begin applying local laws, but they don't understand what they all mean.

» “Some 18-year-old marines are arresting people suspected of looting. But what do they do with them?” says one international lawyer who has been involved with the US in postwar planning. “They don't have a clue on what procedure to apply.” »


Le reste est à l’avenant. Cette situation d’impréparation explique la facilité avec laquelle des pouvoirs de substitution, notamment religieux, se mettent en place, faisant augurer les difficultés, voire l’impossibilité où se trouveront rapidement les Américains de les déloger. D’ailleurs, comment les déloger sinon avec des moyens d’adaptation à la situation locale, pour se poser en alternative séduisante ? On ne voit pas comment les Américains apprendraient demain ce qu’ils se sont refusés d'apprendre pendant les mois et les mois de préparation à cette guerre.

L’attitude des exilés et autres amenés par les Américains pour occuper le pouvoir, et dont ils espéraient se servir comme autant de courroies de transmission, évolue et va évoluer dans le sens évident : une distance de plus en plus grande des Américains et un rapprochement des forces locales, pour établir leurs propres pouvoirs. Bientôt, les “alliés” des Américains, et autres démocrates exilés, feront partie du tissu du nouveau pouvoir irakien, sur lequel les Américains n’auront guère de contrôle. La dérive de la position des Américains va se poursuivre comme elle a commencé : de plus en plus vers un statut de troupes d’occupation, donc de moins en moins supportées, et plus encore si le Pentagone obtient ce qu’il veut, — quelques grandes bases dans le pays, où il n’y aura rien de plus pressé que de replier ses forces, les coupant encore plus de la population.

Quelles sont les causes de cette situation, de cette attitude américaine ?

• D’abord, elle n’est pas exceptionnelle mais constante. Il faut que le pays soit complètement détruit, comme l’Allemagne et le Japon, pour que les USA puissent parvenir à y jouer un rôle majeur d’organisation. Encore cela ne dure-t-il qu’un temps et cela ne pacifie pas les rapports : après la période de Guerre froide qui écartait toutes les récriminations à cause du danger commun, il suffit de voir les rapports entre les USA et l’Allemagne aujourd’hui, et les rapports entre la population japonaise et les forces US aujourd’hui. Dans toutes les entreprises extérieures entreprises par les forces US, les Américains se sont toujours montrés extrêmement malhabiles dans leurs tentatives d’intégration dans les pays étrangers (voir le Viet-nâm) et dans leurs rapports avec des groupes non-US (exemple de la CIA qui n’avait pas prévu d’instructeur parlant espagnol pour entraîner les Cubains anti-castristes qui débarquèrent à la baie des Cochons en avril 1961, contribuant ainsi à faire de cette expédition une catastrophe).

• Des raisons conjoncturelles sont données pour la situation US en Irak, notamment la concurrence entre le Pentagone et le Département d’État. Elles ont joué, certes, si elles n’expliquent pas tout. Cet aspect des choses continuera à jouer, cette concurrence se poursuivant, et s’aggravera sans doute si le Pentagone, plus unilatéraliste et isolationniste, arrive à tenir le rôle principal (comme c’est probable).

• L’explication principale est américaine, elle est dans la psychologie américaine. Les Américains réfutent par leur psychologie et leur histoire toute valeur réelle aux civilisations non-américaines, et ils n’ont en général pour elles aucun intérêt (comportement fortement renforcé par leur système). Lorsque des expéditions extérieures sont réalisées sous le contrôle du système, cette conception absolutiste joue à plein et les conduit à dénier le plus souvent le moindre intérêt aux systèmes extérieurs. Ce manque d’intérêt se renforce d’un manque de curiosité, attitude également favorisée par le système, et par une croyance absolue à la supériorité du système américain.

L’aventure irakienne a toutes les chances d’offrir de multiples opportunités au développement de dynamiques anti-américaines, qu’elles soient irakiennes ou irakiennes d’influence extérieure (iranienne, par exemple). De même que la guerre a plus démontré l’infériorité absolue des systèmes militaires tiers-mondistes comme celui de l’Irak que la supériorité du système US, l’après-guerre montrera l’infériorité dramatique du système américain pour le contrôle de possessions extérieures, encore plus que la supériorité de systèmes locaux (comme le système islamique) dont l’action américaine fera obligeamment le lit. Cela en dit beaucoup quant aux capacités américaines, vraiment très grandes, de transformer le désordre créé par l’action militaire en ordres anti-américains. Cela en dit encore plus quant aux ambitions impériales US, proclamées par les excités néo-conservateurs : pour établir un empire, il faut pouvoir. Les Américains ne peuvent pas.