La vie sans Bolton

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La vie sans Bolton

Une étrange impression de vide suit le départ de John Bolton, le super-faucon dont le monde entier devait craindre les foudres terrifiantes. La réputation de l’homme est (était ?) si terrifiante qu’on attendait quasi immédiatement plusieurs choses de son départ :

• d’abord, une violente réaction immédiate de l’intéressé, d’ailleurs plus ou moins promise par lui et qui semblait déjà amorcée par son attitude au moment de la décision (Trump ayant annoncé avec brutalité son limogeage, Bolton affirmant qu’il n’avait pas été limogé mais qu’il avait démissionné) ;
• ensuite, une action immédiate et affirmée, pour montrer son autorité soi-disant restaurée, du président lui-même ;
• enfin, une réaction très vive des commentateurs, dans un sens favorable et défavorable selon leurs orientations ; on notera la réaction très favorable des deux Paul, le père Ron, ancien député et candidat à la présidentielle, le fils Rand, sénateur du Kentucky : mais on voit dans les commentaires de Ron Paul qu’il n’en attend pas grand’chose en vérité. Même un site aussi attentif aux affaires US et à la politique extérieure que WSWS.org s’en tient à un article d’hier assez anodin sur le limogeage de Bolton.

Pas grand’chose de ce charivari attendu n’est donc survenuet, par l’évidence du temps écoulé notamment pour la nomination du successeur, il n’y a guère de signe qu’il faille attendre quelque chose de très spectaculaireà moins d’une trouvaille dont Trump a le secret. Quoi qu’il en soit, l’effet de surprise et de tension est passé, et de toutes les façons il a été bien moindre qu’on pouvait l’attendre du fait de la personnalité et de la réputation de Bolton. D’ailleurs, Trump hésite en se donnant une semaine pour décider de la personne à nommer en remplacement de Bolton, ce qui montre sa complète impréparation à ce qui est présenté depuis plusieurs semaines, à partir de fuites nombreuses décrivant l’atmosphère épouvantable entre Trump et Bolton, comme l’inévitable issue, – le départ de Bolton. On en est même jusqu’à parler, comme hypothèse extrême qui semble tout de même improbable, de l’attribution du poste de Bolton (conseiller du président et directeur du NSC) à Pompeo, en plus de la position de secrétaire d’État qu’il garderait, – ce qui serait un comble, vues la médiocrité et la brutalité de Pompeo.

(Il n’y a qu’un précédent à cette sorte d’initiative extraordinaire et assez illogique, mettant le même homme à deux fonctions faites pour s’équilibrer sinon se concurrencer d’une manière créative, entre le pouvoir du président qui a directement sous ses ordres le NSC exécutant son propre “gouvernement”, et l’influence et l’autorité du département d’État qui représente une puissante bureaucratie d’expertise, – tout cela demandant donc une séparation très nette, donc avec deux chefs différents. Le seul cas d’intégration des deux fonctions est celui d’Henry Kissinger, directeur du NSC de 1969 à 1973, court-circuitant et réduisant à néant pendant cette période, avec l’accord sinon la complicité active de Nixon qui ne donnant rien au département d’État, isolant totalement le pauvre William Rogers au département d’État, et Kissinger recevant finalement en 1973 le département d’État en plus du NSC, et en cela officialisant une situation qui existait de facto. Le cas de Pompeo est complètement différent. Il n’exerçait aucune prépondérance sur Bolton, au contraire, et il est bien entendu très loin d’avoir le brio, l’expérience théorique, l’autorité quasi-dictatoriale et l’intelligence cynique de Kissinger ; enfin, son président, Trump, à l’exact contraire de Nixon, n’a aucune vision ni le moindre intérêt pour la politique extérieure sinon ceux du businessman. L’opération Kissinger s’accordait à l’administration Nixon extrêmement concentrée selon le vœu du président sur des thèmes de sécurité nationale que celui-ci maîtrisait parfaitement ; rien de semblable avec Trump, dont la notion de sécurité nationale est réduite aux affaires, au commerce et à l’unilatéralisme de maquignonnage, aux sanctions économiques et financières, à la conception mercantiliste, etc.)

Dans le domaine extérieur, les réactions au départ de Bolton sont contrastées, et beaucoup moins démonstratives que ce qu’on pouvait là aussi attendre, là aussi en raison de la “réputation effrayante” de super-faucon de Bolton. On note une certaine satisfaction des Iraniens du fait que Trump parle de la possibilité mais exprimée très et si vaguement, de la levée de certaines sanctions contre l’Iran, avec son désir toujours présent de rencontrer le président iranien, au moins pour une séquence spectaculaire de photos des deux hommes, comme il l’avait fait avec le Nord-Coréen Kim. On ne voit absolument pas qu’il faille y voir pour autant une “percée” spectaculaire dans cette crise.

Beaucoup plus caractéristique et exemplaire de l’attitude générale et de ce que l’on peut attendre de l’événement, sérieusement, est la réaction de la Russie, extrêmement réservée sinon nettement pessimiste sur le fond. C’est une réaction du type “ça ne changera pas grand’chose”, et dite sans la moindre précaution de langage... 

« ...En tout état de cause, le célèbre conseiller néoconservateur, connu pour ses prises de position interventionnistes sur la scène internationale, ne fait plus partie de l'entourage officiel du président américain. Un départ à même de peser sur la politique étrangère des États-Unis ? La Russie, en tout cas, n'affiche actuellement aucun espoir en ce sens.
 
» “Nous avons observé à plusieurs reprises dans le passé que les permutations dans l'administration américaine n'apportaient aucune amélioration. C'est pourquoi nous n'avons aucune attente”, a déclaré Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, à l'agence de presse russe Ria Novosti. “Nous jugeons sur les actes, pas sur les déclarations ou les intentions. Quand nous verrons des progrès, alors nous pourrons dire que quelque chose a changé”, a poursuivi le ministre russe.
» Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Pechkov, a également déclaré aux journalistes : “Nous ne pensons pas que la présence ou la démission d'un fonctionnaire, même de haut rang, puisse avoir un impact sérieux sur la politique étrangère américaine.” »

Le contraste est donc saisissant, entre le tohu-bohu catastrophé ou enthousiaste lorsque Bolton fut nommé, et la quasi-indifférence sinon un effet d’annonce pour son départ même dans ces conditions si brutales et sans précédent. Certains en sont même réduit à des réactions de dérision, comme par exemple l’historien libertarien Thomas DiLaurenzo, avec cette remarque tristement et ironiquement désabusée, du type “rêvons un peu” : « Trump vire Bolton. Il était temps. Il devrait le remplacer par Tulsi Gabbard. » Le sentiment général est effectivement celui qu’on voit avec la Russie, et finalement appuyé sur la considération qui s’est de plus en plus installée qu’il n’y a finalement rien de bien structuré, rien de suivi, de cohérent, à attendre d’un Trump absolument insaisissable. La preuve par l’absurde après tout : pendant les dix-huit mois de son mandat, Bolton le furieux n’a pas réussi une seconde à intoxiquer Trump, il s’est cassé les dents sur lui ; pourquoi Trump changerait-il après le départ de Bolton puisque l’arrivée de Bolton ne l’avait pas changé ?

Finalement, ce qui déplaisait à Trump, c’est sans doute le sans-gêne brutal de Bolton, son ton célèbre pour être péremptoire, ses coups fourrés bureaucratiques, sa mine éternellement furieuse qu’on ne le suive pas et sa haine pour ceux qui ne le suivent pas, plus que ses conseils ou ses points de vue qui n’avaient aucun véritable effet sur la personnalité de Trump avec sa psychologie si caractéristique. Après tout, il est temps d’admettre définitivement que cet homme agit selon ses impulsions à la fois pseudo-intuitives et vraiment-narcissiques. Parfois l’“instinct” de Trump était en accord avec le conseil de Bolton, le plus souvent et de plus en plus souvent, il était en désaccord parce que Trump ne veut pas de vagues pour les élections de 2020 dont on se rapproche à grand pas. Cela signifie que même un Bolton, avec son sans-gêne brutal et sa fureur, n’ont rien pu faire pour manœuvrer Trump qui n’a à l’esprit que ses propres réactions instinctives... Autant pour le DeepState, dont il était pour certains l’exécutant, mais après tout comme McMaster avant lui. Personne ne peut rien contre une telle personnalitéde pure téléréalité qu’est Trump, bouffon insaisissable et formidable semeur de désordre, – ce dont nous ne plaignons d’ailleurs en aucune façon, que du contraire, comme nous ne cessons de répéter depuis l’origine, après quelques illusions vite dissipées. Effectivement, l’épisode Bolton ne vaut que par son limogeage, qui a accentué le désordre trumpiste, avec une démonstration de plus, c’est-à-dire une marque et une pression de plus, même si inconscientes, dans les psychologies.

Une démonstration de plus pour notre compte, sur l’importance quasi-exclusive des événements sans contrôle humain(qu’est-ce que Bolton a donc contrôlé, ou bien changé ?! Nada). L’être humain n’y compte, surtout quand il est bouffe, que s’il va dans le sens du “vent divin” (kamikaze en japonais), – c’est-à-dire des événements semant le désordre au sein du Système. Trump l’a démontré une fois de plus.

Pendant ce temps, l’Amérique célébrait, – ou dira-t-on “décélébrait” comme on dit “décérébrer” ?– le 11-septembre. Pour avoir un exemplaire de la chose, il suffit d’écouter celle que le parti démocrate a jugé bon, sinon excellent, de censurer pour la nomination démocrate USA-2020, pour éviter le piège affreux d’avoir l’air (lui, le parti démocrate) sage et avisé.

Mis en ligne le 12 septembre 2019 à 12H19