La novlangue de nos salons-rédactions

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Nous sommes dans une époque d’une puissante (r)évolution des communications et d’une intense manipulation des informations. Les faits sont de moins en moins identifiables, les langages antagonistes pour les “décrire” importent de plus en plus. Les décisions politiques sont de plus en plus dépendantes de la perception des faits, c’est-à-dire de leur description par les langages antagonistes. La conclusion est qu’aujourd’hui ce que nous dit le langage lui-même est bien plus important que l’objet qu’il prétend nous décrire.

Il y a un intérêt exemplaire, pour ce jour, dans l’édito du Monde du 21 octobre. Le texte constitue une critique un peu coincée de l’attitude de la France, s’opposant aux initiatives du Commissaire européen (c’est-à-dire britannique) au Commerce Peter Mandelson. Laissons le fond du débat, qui est absolument contestable et fondamentalement basé, pour le sens, sur la trouille inimaginable que la France se trouve “isolée” au sein de l’UE. (Cela n’est évidemment pas le cas, la France n’est pas “isolée”, ne serait-ce que parce qu’il n’y a aucune unité parmi les 24 autres même si les 24 votaient contre la France, — d’ailleurs, même cela n’est pas le cas. Il serait temps que les journalistes, pour y comprendre quelque chose, s’en remettent à autre chose que les communiqués de l’UE et les votes accessoires des ministres.)

La dernière phrase du dernier paragraphe nous intéresse: « Les attaques continuelles de Paris contre la Commission européenne ont diminué sa force de persuasion. Ce n'est pas en s'obstinant dans une tactique défensive, largement inspirée par des considérations de politique intérieure post-référendum, que la France retrouvera son rôle moteur en Europe. »

Si ce n’est pure novlangue, cela y ressemble fort. Trois remarques :

• La première pour noter, en passant, le poids du jugement implicite, qui méprise complètement la démocratie et la souveraineté, de l’expression « tactique… largement inspirée par des considérations de politique intérieure post-référendum, que la France retrouvera son rôle moteur en Europe ». Cette phrase signifie en réalité qu’on suit une politique conforme au vote de la majorité du peuple français, non sur un sujet intérieur mais sur le sujet dont il est question (référendum sur la constitution européenne).

• La seconde est l’étrange affirmation que des « attaques continuelles » (de Paris contre la Commission européenne) « diminuent [la] force de persuasion ». Sans autre argument qu’une interprétation tendancieuse d’une situation (la bataille Paris-Mandelson n’est pas finie et si Paris tient bon, on ne donne pas cher de la politique de Mandelson), il s’agit d’une logique complètement inversée. Des attaques ne peuvent diminuer une « force de persuasion », elles l’expriment au contraire.

• L’esprit de la chose est largement confirmé par l’équivalence qui suit, qui est de la pure novlangue: les « attaques continuelles » deviennent, dans la phrase suivante, « une tactique défensive ». Une attaque n’est pas une défense, c’est dit. Ce contre-sens complet, qui affligerait certainement les gloires militaires de la France, nous en dit plus sur le jugement politique et sur l’interprétation de l’événement qu’une longue dissertation. Le sens des mots est inversé au nom d’une idéologie qui guide le choix du langage. Le langage est une arme et c’est à lui qu’il faut prêter toute son attention, non aux faits qui sont évidemment interprétés par lui dans le sens qu’on veut.


Mis en ligne le 22 octobre 2005 à 14H31