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890Trouvé un entretien de Régis Debray, dans lequel il esquisse une interprétation historique très large, ou peut être métahistorique après tout.
(Lien : http://www.culturalgangbang.com/2010/01/la-nation-de-leau-vive.html.)
Question : «
Debray : « Trois cycles ont pris fin. Le premier cycle, court, s’est cristallisé au moment de la Seconde Guerre mondiale et de la Libération, résumé par Malraux quand il disait : il y a les communistes, les gaullistes et rien. Aujourd’hui, il n’y a plus de communistes, plus de gaullistes et le “rien” est devenu “tout”.
» Le deuxième cycle a commencé en 1789, qui a marqué la naissance de la passion politique, de la politique comme religion et même de la politique tout court puisque c’est à partir de 1789 que les notions de gauche et de droite sont apparues. Les hommes se sont regroupés non plus en fonction d’allégeances familiales, régionales ou confessionnelles mais en fonction d’une certaine conception de l’homme. La politique est née alors en tant qu’affrontements d’idées, de visions du monde – ce qui n’empêchait pas les querelles économiques et sociales mais mettait du jeu entre les appartenances sociales et les fidélités politiques. Je dirai un peu arbitrairement que ce système est mort en 1968, dans un festival d’hyperbole superlative qui n’était que le feu d’artifice avant fermeture. Un an plus tard, l’homme posait le pied sur la Lune et cette image matricielle de la Terre vue du dehors, comme vaisseau, a provoqué un choc de représentation : l’homme s’est regardé comme espèce. Le troisième cycle est né avec Jésus-Christ, quand l’homme a donné du sens au temps. L’homme réalise son essence à travers le temps. Cette structure de l’attente, de l’espérance et de l’accomplissement, cette conception du temps conditionne la politique – la religion politique est la sécularisation de la rédemption, de l’eschatologie, du salut, du jugement dernier. Mais aujourd’hui ce dernier cycle a pris fin. Nous avons quitté l’histoire pour la nature : cela s’appelle l’écologie.
» Aujourd’hui, les hommes ne pensent plus temps, progression, mais espace. Nous sommes des païens avec des instruments de mesures très légitimes sur le CO2, la montée des eaux, autant de choses que la religion de l’histoire avait exclues. Celle-ci est punie par là où elle avait péché puisqu’elle avait oublié la nature et privilégié la construction d’usine, le tracé des routes, etc. Chaque période de l’histoire fait expier à la précédente son impensé : nous n’avions pas pensé la nature et maintenant ceux qui pensent la nature tendent à oublier la dynamique historique des conflits, pour une notion plus orientale d’harmonie cosmique.
» Vous remarquerez au passage que l’on parle sans cesse de mémoire mais on n’apprend plus rien par cœur. Comme pour confirmer cette évolution, la Chine sera bientôt la puissance rectrice – elle l’est déjà économiquement, elle le sera politiquement, financièrement… »
Les lecteurs de dedefensa peuvent être intéressés aussi par cet aller-retour à l'écologisme.
Question : « Comment analysez-vous l’échec de la conférence de Copenhague ?»
Debray : « Vous me faites parler de ce que je ne connais pas. Mais je pose une Question de méthode. J’ai entendu des écologistes dire leur stupéfaction, leur incompréhension devant ce qu’ils estiment être la bêtise et l’irresponsabilité des politiques. Sans doute tous ces chefs d’Etat déraisonnent-ils mais alors, il y a une coïncidence dans la déraison parce que, tout de même, les représentants de 75 Etat-nations ont participé à ce fiasco. Si j’étais Yann Arthus Bertrand ou Nicolas Hulot, je me demanderais si ma grille d’analyse correspond à la réalité. Je me dirais : “Nous sommes mille personnes dans le monde, une élite certes, mais les hommes d’Etat travaillent pour des milliards d’humains… Se trompent-ils à ce point ? Est-ce que les notions que j’ai liquidées – la souveraineté, l’égoïsme des nations – ne correspondent-elles pas à quelque chose, encore aujourd’hui ? Ne suis-je pas en train de défendre une raison utopique, sans prendre en compte le principe de la réalité ?” Je ne mésestime pas les alertes qui concernent le climat. Mais lorsque des responsables de haut niveau venus de tous les coins du monde tiennent le même langage, il faut s’interroger sur soi-même autant que sur eux. »
Cette paire de gifles ne fait pas de lui un apologiste du CO2. Le reste de l'entretient relève du topos “l'Islam et nous”, et m'intéresse moins, mais monsieur Debray se lit toujours avec plaisir.
“GEO”