La Libye, piège pour l'Amérique

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La Libye, piège pour l'Amérique

L'irrésolution manifestée par Barack Obama à propos de l'engagement militaire contre Khadafi, son annonce télévisée de lundi 28 ayant plaidé pour une intervention limitée, montre bien que le pouvoir politique faisant la loi à Washington et représenté par les différents lobbies (pétrolier, israélien, militaire) ne contrôle plus guère les évènements.

En Libye, ce sont pour l'essentiel des intérêts industriels européens, italiens, français et anglais, soutenus par les services secrets de ces pays, qui se sont initialement exprimés. Mais eux-mêmes n'étaient pas d'accord entre eux. Fallait-il conserver Khadafi pour protéger leurs investissements, ou mettre en place un “gouvernement rebelle” avec qui négocier ultérieurement. Les Américains étaient moins directement intéressés que les Européens sur ce point. Mais ils ne pouvaient se désintéresser de l'opération engagée par la France et la Grande Bretagne. D'une part, le pétrole libyen ne les laisse pas totalement indifférents. D'autre part et surtout, tolérer que se mette en place une coalition militaire européenne dans la région sans en prendre la tête aurait été perçu par le monde entier comme une démission. Cela aurait été en tous cas le début d'une Europe diplomatique, militaire et même économique s'affranchissant progressivement de leur influence, qu'ils persistent à combattre par tous les moyens. D'où l'engagement militaire imposé à Barack Obama. Le masque de l'Otan ne trompe personne. C'est bien le lobby militaro-industriel américain qui mène la guerre.

Mais contre qui? Certes comme nous venons de le voir, contre les intérêts européens et leur volonté éventuelle d'indépendance. Mais aussi contre un Khadafi jusqu'à présent considéré comme un bon allié des Etats-Unis face au “terrorisme arabe” et pour la protection des intérêts stratégiques d'Israël. Israël est désormais dans une situation extrêmement difficile. Il doit craindre la victoire en Libye, comme en Egypte et ailleurs, de forces politiques nouvelles décidées à remettre en cause les “accords d'Oslo” précédents et susceptibles de reprendre des guerres larvées ou ouvertes contre lui. Le soutien de l'Amérique aux anti-Khadafi sera certainement perçu comme un feu vert donné aux mouvements plus ou moins pan-arabes ou “terroristes” de la région pour qui Israël, enfermé dans une intransigeance suicidaire, sera de plus en plus considérée comme un verrou à faire sauter. A cet égard, le puissant lobby pro-Israël américain ne peut pas voir d'un bon oeil l'engagement militaire en Libye.

Par ailleurs, le lobby pétrolier américain, aussi puissant que le lobby israélien, voit tout aussi mal l'encouragement que donne actuellement l'Amérique à des mouvements contestant de plus en plus ouvertement les Etats pétroliers autoritaires jusqu'ici alliés et complice des Etats-Unis. Si des rebelles s'installaient finalement à Tripoli ou même seulement, dans le cas d'une partition, à Benghazi, toutes les forces qui luttent contre les pouvoirs en place dans l'ensemble du Moyen-Orient, avec des objectifs et des moyens encore dispersés, s'en trouveraient galvanisées. Qu'en serait-il par ailleurs de l'Iran, pour le moment encore dans l'expectative? On ne voit pas alors comment les Etats-Unis pourraient maintenir leur contrôle sur les exploitations pétrolières, les voies de communication et les gouvernements – sauf à s'engager dans des campagnes de contre-révolution qui donneraient d'eux au reste du monde, monde arabe, Europe et aussi Russie et Chine, une image tout à fait différente de celle du Bon Samaritain qu'a tenté d'endosser Barack Obama. On peut penser par contre que les Européens pourraient trouver plus facilement que les Américains des accords avec de nouveaux pouvoirs arabes, compte tenu des intérêts que tous partagent dans cette partie du monde.

La conclusion de cette analyse il est vrai sommaire est que, quelle que soit l'issue des opérations visant à éliminer Khadafi, les Etats-Unis seront à terme perdants. D'où l'embarras qu'a manifesté, derrière Obama, une partie de l'establishment américain. Certains pensent peut-être maintenant qu'il aurait mieux valu laisser les Européens mener leur guerre seuls, quitte à maintenir la flotte en back-up si les choses avaient mal tourné aux dépends des intérêts américains.

Jean-Paul Baquiast