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215313 avril 2010 — Depuis une semaine, un débat discret mais très intéressant déchire l’Amérique “profonde”, qui ne fait ni la une du New York Times ni celle du Monde, ni la préoccupation des présidents Obama et Sarkozy. Il concerne le jugement qu’il faut porter sur les soldats sudistes, de la Confédération formée en 1861 après qu’un certain nombre d’Etats du Sud des USA aient fait sécession, jusqu’en avril 1865, à la signature de la capitulation du Sud par le général Robert E. Lee.
L’affaire a commencé après que le gouverneur de Virginie Bob McDonnell ait proclamé le mois d’avril 2010 “the Confederate History Month” sans faire allusion à la question de l’esclavage, au contraire de certains autres Etats du Sud ayant également choisi ce thème pour ce mois d’avril mais eux en faisant mention de l’esclavage. McConnell s’est excusé et à rétabli une mention de l’esclavage (pour le condamner, indeed), – voir le 7 avril 2010 (sur CNN.News).
Un commentateur fameux de CNN, Roland S. Martin, avait commenté l’attitude du gouverneur McConnell lors d’une de ses émissions, où il avait également qualifié les soldats de la Confédération de “terroristes”. Cette appréciation a déclenché une considérable polémique. Martin la présente et la commente en conservant la même position («And I will never, under any circumstances, cast Confederates as heroic figures who should be honored and revered. No – they were, and forever will be, domestic terrorists.») Son texte est sur CNN.News, le 11 avril 2010.
En voici un extrait:
«Based on the hundreds of e-mails, Facebook comments and Tweets I've read in response to my denunciation of Virginia Gov. Bob McDonnell's decision to honor Confederates for their involvement in the Civil War – which was based on the desire to continue slavery – the one consistent thing that supporters of the proclamation offer up as a defense is that these individuals were fighting for what they believed in and defending their homeland.
»In criticizing me for saying that celebrating the Confederates was akin to honoring Nazi soldiers for killing of Jews during the Holocaust, Rob Wagner said, “I am simply defending the honor and dignity of men who were given no choice other than to fight, some as young as thirteen.”
»Sherry Callahan said that supporting the Confederacy is “our history. Not hate; it's about heritage and history.”
»Javier Ramirez called slavery evil, but prefaced his remarks by saying that “Confederate soldiers were never seen as terrorists by [President Abraham] Lincoln or U.S. generals on the battlefield. They were accorded POW status, they were never tried for war crimes. Not once did Confederate soldiers do any damage to civilians or their property in their invasion of the north. The same is not true of Union soldiers.”
»Realskirkland sent me a Tweet saying, “Slavery is appalling, but was not the only reason for the CW [Civil War]. Those men, while misguided on some fronts stood up for what they felt was right. They embodied that American ideal that the states have a right to govern themselves. THAT is what a confederate soldier stood for.”
»If you take all of these comments, don't they sound eerily similar to what we hear today from Muslim extremists who have pledged their lives to defend the honor of Allah and to defeat the infidels in the West?
»When you make the argument that the South was angry with the North for "invading" its "homeland," Osama bin Laden has said the same about U.S. soldiers being on Arab soil. He has objected to our bases in Saudi Arabia, and that's one of the reasons he has launched his jihad against us. Is there really that much of a difference between him and the Confederates? Same language; same cause; same effect.
»If a Confederate soldier was merely doing his job in defending his homeland, honor and heritage, what are we to say about young Muslim radicals who say the exact same thing as their rationale for strapping bombs on their bodies and blowing up cafes and buildings? If the Sons of Confederate Veterans use as a talking point the vicious manner in which people in the South were treated by the North, doesn't that sound exactly like the Taliban saying they want to kill Americans for the slaughter of innocent people in Afghanistan?»
Parallèlement, des textes en grand nombre ont été publiés à propos de cette polémique, puis sur les sujets plus vastes qui en ont été développés. On trouvera par ailleurs, ce même 13 avril 2010, dans notre rubrique Ouverture libre, des citations d'auteurs qui ne sont guère du parti du Martin sur les causes et caractères de la Guerre de Sécession.
L’intérêt de la polémique qui est brusquement apparue dans les réseaux, sur Internet, et avec divers commentateurs, sur les propos de Martin, tient à ce que son thème a quitté la cause apparente de l’esclavage, le problème qui était soulevé par le gouverneur de Virginie McConnell oubliant de condamner réglementairement l’esclavage. Le thème a évolué dans un sens extrêmement intéressant. Nous sommes passés d’une part à la question posée par Martin sur les Sudistes qui seraient des “terroristes”, d’autre part à la question des causes de la Guerre de Sécession.
La question posée par Martin (avec réponse affirmative implicite) pourrait être actualisée sous une autre forme que celle de “les soldats sudistes sont-ils des terroristes?”. Elle pourrait être posée sous la forme modernisée, type post-9/11 de “qu’est-ce que c’est qu’un terroriste?”. Les arguments de Martin pour déterminer que les Sudistes étaient des terroristes ne sont pas faux au regard de la description qu’il fait d’un “terroriste” aujourd’hui. Là où il est plus critiquable, c’est qu’il a l’air de se satisfaire de cette définition et de clore le débat, alors qu’on sait très bien la dimension de diabolisation hystérique qui s’attache aujourd’hui au terme de “terroriste”. Le fait de défendre ses terres, son pays, sa patrie légitime, contre un “envahisseur”, parce qu’on juge de tout cela dans ce sens, caractérise, dans les explications de Martin, un “terroriste” de type al Qaïda ou de type taliban, et finalement un “terroriste” tout court. Cette description, par ailleurs caractéristique du simplisme sophistiqué, et donc du sophisme du système de la communication, jamais plus fort que dans sa version américaniste, définit donc un “terroriste”. Les soldats confédérés, qui défendaient leurs terres, leur patrie, etc., contre des envahisseurs, étaient donc des “terroristes”, c’est-à-dire des êtres aussi vils que sont les “terroristes” selon les conceptions américanistes actuelles, avec la dimension de condamnation sans appel qu’on imagine. Que cette condamnation sans appel contenue dans l'effet de communication d'un mot (qui n'a rien à voir avec son sens) implique des activités telles que la défense de sa patrie ou de son identité ne le gêne pas… Martin est satisfait et clôt le débat par un “they were, et forever will be, domestic terrorist”. Il oublie un peu vite qu’il faut se garder de trancher forever, surtout dans ces temps de système de communication regnante, et il montre un peu trop de certitude sur la justesse de l’emploi du mot “terroriste” dans tous les cas qu’il décrit.
Martin croit piéger ses innombrables protestataires qui défendent les soldats confédérés et, selon sa dialectique sophistique, il les piège effectivement. Mais il est lui-même piégé parce que son incontestable intelligence est elle-même réduite à une tromperie honteuse et devient pure sottise lorsqu’elle sacrifie absolument au sophisme comme il le fait. L’emploi du mot “terroriste” lui suffit, sans même débattre en réalité de l’antagonisme entre le sens diabolique qui s’y attache et l’emploi qu’il en fait en y attachant des activités aussi nobles que la défense d'une patrie et la défense d'une identité. Tout ce que nous démontre Martin, malgré lui, c’est que nous employons des mots dont le sens est totalement déformé, perverti, violé, châtré par rapport à la réalité, pour nous complaire à nous-mêmes et sauver notre vertu. Cette vertu est peut être sauvée, mais au prix de l’honnêteté et du courage de l’esprit, – et de la dignité de l'âme du causeur, – disons, s'il en a une..
Car Martin, qu'il ait ou non une âme, est vertueux. Prestigieux présentateur de CNN, soutien de Barack Obama et Africain-Américain lui-même, il s’élève contre l’esclavage des Noirs qui exista jusqu’à la Guerre de Sécession avec une vigueur qu’on comprend et qu’on ne peut que partager. C’est la vertu qu’il en déduit pour lui-même qui est contestable. C’est au nom de cette vertu-là qu’il assimile les confédérés à des “terroristes”; il oublie de préciser que cette vertu-là concerne bien davantage l’arme dialectique de l’antiracisme qui existe d’aujourd’hui («le racisme de l’antiracisme», comme disait Finkelkraut), que l’esclavage aux USA qui n’existe plus depuis 1862/1865, avec l’Acte d’Emancipation de Lincoln et la fin de la Guerre de Sécession. Il oublie, ou bien plutôt il n’a pas noté comme c’est souvent le cas avec la dialectique du sophiste, que ses interlocuteurs, eux, ne parlent pas de l’esclavage mais de la légitimité, de la souveraineté et de l’identité des peuples et des communautés face à l’invasion armée étrangère, fût-elle faite au nom de la Vertu.
Ce débat ne fait pas grandir moralement l’esprit du temps. (Certes, on s’en serait douté, – que peut-on en attendre d’autres, de l’“esprit du temps” et de ses débats, quand cela est pratiqué par le système et ses créatures?) Il met en évidence l’hypocrisie du sophisme, les déformations du sens des mots pour complaire aux partis pris de vertu des tenants du système, la tromperie et l’imposture de la sottise à laquelle conduit l’exercice de l’intelligence selon cette partition de l’hypocrisie génitrice de cette même tromperie et de cette même imposture. Le fait d’englober sous le terme de “terroriste”, avec sa charge de violente condamnation au nom de l’argument de la diablerie, permet toutes les assimilations du monde, y compris celle d’envoyer en enfer des gens qui se battent pour leur légitimité, leur souveraineté et leur identité.
Les soldats sudistes étaient des “terroristes” comme le sont les gens d’al Qaïda? Fort bien, alors Martin peut annoncer en exclusivité pour CNN que l’U.S. Navy devra baptiser son prochain sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SSBN) du nom de USS Ben Laden. Cela serait pure justice équitable, puisque l’U.S. Navy déploya en opération, entre 1960 et 1983, un SSBN immatriculé SSBN-661 et baptisé USS Robert E. Lee, en l’honneur du général commandant en chef de l’Armée confédérée de la Virginie du Nord, puis de toutes les armées de la Confédération, révéré avec George Marshall comme l’un des deux plus grand chefs de guerre qu’ait enfantés les USA (ou la CSA, pour Confederate States of America?), – par conséquent général en chef des “terroristes” du Sud, et chef terroriste lui-même, encore bien plus terroriste que ses soldats. L’U.S. Navy célèbre donc les “terroristes”, Martin et sa vertu devront songer à s’en occuper.
Mais laissons Martin, la gloire africaine-américaine et intégrée de CNN, jouer avec cette poussière et occupons-nous de l’essentiel. Car l’essentiel se trouve bien dans le fait que ce débat si illustratif de l’“esprit du temps”, – le vrai, celui-là, – est parti d’une commémoration de l’Histoire de la Confédération (les Sudistes), a démarré à fond sur la question vertueuse de l’esclavage et s’est trouvé, tout aussi vite, diverger vers la question essentielle de la légitimité et de la souveraineté des Etats de l’Union. C’est-à-dire, le grand débat sur la cause véritable de la Guerre de Sécession, que la vertu américaniste préfère nommer “Civil War”, pour bien nous prouver que jamais on ne songea une seconde à défaire l’entité que forment paraît-il les USA.
Or, c’est non. Toutes les réactions montrent que la “mémoire collective”, aux USA aujourd’hui et quoi qu’il en fut auparavant, nous parle beaucoup plus de la Guerre de Sécession, – guerre pour la souveraineté des Etats, – que de la “Civil War”, – guerre du soi-disant Etat central contre les “rebelles”, ci-devant “terroristes”, défendant l’esclavage et rien que cela. Cela montre bien que c’est cette question de la légitimité, de la souveraineté et de l’identité qui est dans tous les esprits. Cela montre bien que la grande affaire de l’antiracisme, qui est l’emblème du système illustré par un Martin ou l’autre, est en réalité l’arme dialectique fondamentale du système pour écarter, ou tenter d’écarter (avec de moins en moins de succès) la riposte structurante qui porte sur les questions de légitimités, de souveraineté et d’identité.
L’animateur du site WarNews, présentant l’article de Martin sur les “terroristes” sudistes, commentait, le 12 avril 2010: «Amazing .... the American Civil War ended almost 150 years ago .... but it still brings out emotions and feelings that should have been buried a long long long time ago.» Pas du tout, rien n’est enterré qui ne puisse ressurgir, lorsque le deuil fut fait au nom d’une vision déformée de la cause du décès. Le débat sur les causes de la Guerre de Sécession est plus que jamais actuel parce qu’il est redevenu complètement actuel, parce qu’il concerne un problème qui est aujourd’hui latent dans tous les USA, dans tous les Etats de l’Union, à ce moment où le caractère usurpateur, trompeur et de pure imposture du système du faux-Etat central éclate dans chacune de ses décisions, dans chacune de ses proclamations, dans sa politique à la fois stupide et injuste, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Dans cette époque de faux-semblants et de virtualisme, de symbolisme et de dialectique trompeuse où triomphe le système de la communication, les débats contradictoires et soudainement déstabilisants apparaissent selon des voies inattendues et imprévues. Ici, c’est le propos d’une célébration que les gouverneurs impliqués ne voulaient certainement pas déstabilisante, et qui le devient parce que le scribouillard qui a écrit la proclamation pour le gouverneur McConnell de Virginie a oublié de mentionner le “minimum syndical”, – la condamnation de l’esclavage. Il ne faut pas chercher plus loin la cause de tout ce tintamarre; la cause est dérisoire, et le tintamarre considérable; la cause est sans signification et la tintamarre d’une profonde et pressante signification. Effectivement, l’inconscient américain, derrière la conscience américaniste imposée, affleure la surface. Il est par la nécessité de l’évidence légitimiste, souverainiste, identitaire, antisystème, c’est-à-dire sécessionniste en latence comme l’on est contre un système centralisé usurpateur et producteur constant de la crise déstructurante qui marque le crépuscule de cette civilisation qui n’en vaut plus guère la peine. Elle n’est plus faite que de poussières diverses avec lesquelles les Martin divers et appointés peuvent effectivement aller jouer.
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