La dé-mascarade des masques

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La dé-mascarade des masques

Quelques lignes extraites d’un article très récent, et vous comprendrez aussitôt que le texte rencontrerait l’assentiment de nombre d’antiSystème y compris une frange toujours prompte à dégainer son complot. Cela concerne les masques en question, ceux dont le genre humain a reçu instruction de se couvrir, au moins jusqu’à la chute de l’empire romain... Voici l'extrait :

« Cette fois, nous y sommes.
» Nous regardions, interloqués, au début de l’épidémie, les lointains pays d’Asie porter le masque comme un seul homme.
» Et nous nous disions que leurs traditions de discipline favorisaient cette mesure extrême qui, dans nos contrées, était inconcevable.
» Or est-ce l’effet d’une psychose?
» De la grande misère épistémique d’un pouvoir médical qui n’a jamais étalé si naïvement ses revirements et ses doutes?
» Est-ce l’obligation que se sont infligée les gouvernements de faire quelque chose, et de le faire coûte que coûte, face à une épidémie exponentielle mais qui ne voit croître, pour le moment, ni le nombre des morts ni celui des hospitalisés?
» Les masques se sont abattus, cruels et laids, comme un fatum, sur les visages de chacun.
» Et nous ne pouvons plus marcher dans une rue, flâner ou nous affairer, sortir sur un coup de tête ou poussés par la nécessité, sans nous mettre sur les lèvres et le nez ce bout de tissu chirurgical.
» Tous masqués.
» Tous dissimulés.
» Et, au fond, tous muselés... »

Certes, vous l’avez deviné aisément, puisque la chose, l’article du 31 août 2020 de BHL dans Le Figaro, a fait grand bruit sous le titre de « La grande peur des bien-portants ». Ainsi, voici qu’il publie un article que nombre d’antiSystème qui ont l’habitude de vouer Bernard-Henri Lévy aux gémonies, prendraient aisément au compte de leurs plumes ; qui plus est, il le fait dans Le Figaro, qui n’est pas précisément de ses amis. Comme on dit dans les salons des talk-shows des réseaux de la communication politiquement-correcte, – le virus, le sacré Covid19, il ‘fait bouger les lignes’ et il ‘casse les codes’, – au choix, servez-vous comme chez vous, selon l’expression qui vous sied.

Le débat sur le port du masque, – car il y a bien débat, comme il y eut débat sur la création de la ‘force de frappe’ nucléaire de De Gaulle, – est devenu extrêmement dense, intense et tendu. (Plus que pour la ‘force de frappe’ ? Cela se discute.) Il est vrai qu’il y a, dans certaines hypothèses, des perspectives complètement extraordinaires. On peut aisément imaginer l’hypothèse, comme certains médecins eux-mêmes le font avec une grande inquiétude, d’une situation où en théorie l’on ne déciderait jamais de cesser de porter des masques ; après tout, il y a toujours des virus, partout, en circulation, et donc toujours des gens infectés, et donc alerte donnée et ainsi de suite... Et ainsi retrouve-t-on une civilisation, la civilisation ‘la plus avancée’ de l’histoire-courante on s’en doute, enchaînée à une pratique à la fois dérisoire et fortement, quotidiennement contraignante, dont l’effet politique est ridicule mais considérables, dont les effets psychologiques pourraient être ceux d’une dévastation... Que se passe-t-il ? Une manigance ?

De toutes les façons, quant aux possibilités et aux hypothèses, rien ne peut plus nous étonner dans cette étrange folle-époque.

A prendre cette affaire d’un autre point de vue, on observera qu’elle est, justement, typique de la susdite “folle-époque”. Elle est à la fois décalée, disproportionnée, dérisoire, complètement écrasante, absurde et incroyablement grave ; elle a un côté bouffe et un côté tragique, – nous y sommes, tragédie-bouffe si typique des temps qui vont. En fait, pour briser là et lui donner sa vraie dimension cachée, on dirait qu’il faudrait faire appel à cette dimension de cette sorte de ‘vigilance métaphysique’ ‘dans la rue’, au long des ‘événements en-cours’ dont PhG parle par ailleurs, pour parvenir à distinguer ce qui est à prendre et ce qui est à laisser, séparer le bon grain de l’ivraie, distinguer l’essentiel s’il y en a et mettre le reste au magasin des accessoires.

Le texte que nous avons choisi pour cette grave crise-simulacre du port du masque prend l’affaire, pour son compte, d’un point de vue bien différent. Spécialiste de la communication désormais connu de nos lecteurs, Arnaud Benedetti inclinerait plutôt à nous offrir une analyse qui fait du port du masque une sorte de parabole de l’impasse où se trouve aujourd’hui la communication du gouvernement, et ainsi nous donnant une excellente appréciation de la politique française actuelle, barbotant complètement dans son cul-de-sac. Ainsi, ce qu’il peut y avoir d’impuissance et donc d’absurde dans le port du masque, renvoie à ce qu’il y a d’impuissance et d’absurde dans la communication du gouvernement, donc dans sa politique. Le port du masque est une illustration symbolique de notre temps, autant qu’il est une production bouffe et tragique de cette folle-époque.

La façon d’aborder le ‘dossier’ de Benedetti suppose qu’il écarte toutes les explications embrouillées et mystérieuses que l’univers complotiste, coincé entre virus et vaccin, nous propose comme allant de soi. Ce serait alors “Le plus beau de tous les complots du monde” aurait chanté Tino Rossi à la sauce-2020 : est-ce trop beau pour être vrai ?

Benedetti nous présente un gouvernement bloqué, ce qui rejoint par exemple, – puisque PhG en parle, – l’avis de Finkielkraut lors de sa première chronique pour LCI, lundi 31 août. Plutôt qu’un moyen de contrôler les esprits, les citoyens et leurs respirations, type 2020-1984, il y voit l’action de dirigeants complètement perdus et dépassés, évoluant dans un brouillard complet, prenant des décisions pour n’avoir pas à subir les reproches des manifs et des urnes, voire les multiples actions judiciaires (« la peur du tribunal ») que divers citoyens préparent contre eux. Dans un autre article (pour Valeurs Actuelles), Benedetti résume finalement le propos en l’élargissant par ce constat général qui nous convient assez justement :

« Pétrifié par le chaos général, l’appareil politique est au bord de la rupture. »

“Pétrifié” ? Il est étrange, – ou bien à l’inverse, convenant parfaitement à la nature même de cette folle-époque, – que le mot ‘pétrifaction’ (processus de transformation qui vous change en pierre) soit tellement proche jusqu’au quasi-identique du mot ‘putréfaction’ (processus de pourrissement d’une chair morte). Les mots ne trompent pas lorsque leur mission est d’éclairer notre esprit pétrifié, non plus que les proximités des formes de déstructuration et de déconstruction dans la situation et le processus de l’étrange folle-époque.

Un esprit pratique, lui, demanderait : en un mot, ou disons en une question, – comment en est-on arrivé, ‘à l’aide’ (?) d’une décision portant sur une matière sans nul doute incroyablement accessoire et dérisoire, à nous enfermer dans une situation d’apparence si complètement bouffe et aux prolongements pourtant et éventuellement, si infiniment tragiques ? Il est vrai qu’il y a de la nature et de la folie dans tout cela ; et alors y a-t-il peut-être, sans doute, absolument, marché conclu, – de la métaphysique ?

En attendant les suites de l’affaire, voyez ce qu’Arnaud Benedetti en dit dans sa tribune de Figaro-Vox du 31 août 2020, sous le titre : « Benedetti : “Le masque est devenu l’objet qui cristallise la communication des pouvoirs publics” » (Professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne, rédacteur-en-chef de la Revue Politique & Parlementaire,  Arnaud Benedetti a publié Le coup de com’ permanent [éd. du Cerf, 2018] où il analyse les stratégies de communication de Macron, ainsi que La Fin de la com’ [éd. du Cerf, 2017].)

dedefensa.org

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Le masque comme communication

S’il existe un objet qui cristallise l’impossible communication des pouvoirs publics, c’est bien le masque. On ira sans peine chercher dans les volte-face du gouvernement sur ce sujet les raisons de cette impasse mais elles ne suffisent pas vraisemblablement à expliquer cette dernière. Bien d’autres facteurs, indépendants des erreurs parfois criantes de l’exécutif, peuvent nous aider à comprendre la polémique récurrente dont le port du masque est l’objet. À commencer par les incertitudes des scientifiques qui au seuil de l’épidémie ont fait valoir parfois leurs désaccords au grand jour, ne facilitant nullement la fabrication d’une décision et d’une doctrine intangible sur la question.

Mais c’est justement parce que tout s’est joué et se joue dorénavant au grand jour que l’exercice communicant devient une entreprise rongée par l’aléa, le doute et au final par son lot incompressible de malentendus, voire de polémiques. Il ne peut y avoir de communication parfaite ou tendant à l’optimum lorsque le politique ne parvient plus à se tenir en distance des jeux d’opinons. Cette réalité n’est pas nouvelle, elle est consubstantielle à l’exercice démocratique dans un espace public où la confrontation régule la pluralité des expressions. Ce que la communication politique perd en performativité, la démocratie le gagne en vitalité et mieux même, c’est parce que l’espace public se démocratise que la propagande recule, à proportion que la communication s’émancipe de celle-ci.

Nous vivons sur cette idée chimérique, rémanence d’un âge d’or confondant concorde et unanimité. Or, la concorde est le contraire de l’unanimisme: elle n’abolit pas la controverse, elle l’ordonne et la rend acceptable. L’unanimisme, lui, est l’artefact que les régimes propagandistes s’efforcent d’imposer pour dissoudre tout espace public. Par construction, la communication dans un système en tensions comme la démocratie libérale ne peut-être que forcément inaboutie et en conséquence imparfaite, elle est soumise tout autant à contestation qu’à réfutabilité, et seule une pensée magique ou marchande, dénuée de rationalité ou d’honnêteté intellectuelle, peut faire accroire à la possibilité d’un absolu de la communication.

Cet invariant de la faillibilité communicante est en conséquence une constante des régimes libéraux ; elle s’en trouve cependant encore plus accrue aujourd’hui qu’hier, avec force risque désormais pour l’hygiène du débat public et plus largement pour la condition démocratique. L’âge des masses ou des grands agrégats d’opinion est désormais derrière nous. L’époque est à l’opinion insaisissable à force d’être scintigraphiée, parcellisée, travaillée par des concurrences permanentes de visibilité, s’exprimant de manière disséminée sur la ligne de feu des réseaux, de l’info en continue, de la sollicitation incessante des réactions et des avis, des attentes et des sentiments, traquant l’infinitésimal pour mieux en faire un événement sur le sismographe affolé autant qu’affolant d’une actualité dont la pente tend à substituer au réel les représentations de celui-ci, à la mécanique factuelle l’éruption émotionnelle.

Tout se précipite, se dissocie, se disloque au point de basculer dans un nouvel âge, ni celui des foules, pour reprendre le vieil archétype de Gustave Le Bon, pas plus celui des publics pour exciper la notion mise en exergue à la fin du 19 ème siècle par Gabriel Tarde, mais celui de la fission des opinions, de leurs «granularisations» accélérées et surtout de leur accès à la publicité au nom du principe de l’hyper-médiatisme qui accorde autant, voire plus de valeur à la marginalité qu’à la centralité, au minoritaire, voire l’ultra-minoritaire qu’au majoritaire. Cette visibilité des opinions fractionnées, les affrontements qu’elle génère entre ces dernières sur le théâtre sans filtre de l’agora contraint plus que jamais l’exercice du pouvoir, la prise de décisions et mutadis mutandis l’acceptabilité de celle-ci. Ce champ de forces qui presse les dirigeants questionne, contredit, voire infirme leur action, faisant de ces derniers les otages des paradoxes et injonctions contradictoires d’une société dont la surexposition des fractures tend à paralyser et à rendre tout arbitrage inopérant. La communication, tant décriée, n’est dés lors que le reflet d’un politique empêtré dans son impuissance à déjouer les pièges de l’atomisation de la cité. De ce point de vue, les polémiques «poupées-russes», autour des masques, sont un révélateur parmi d’autres de cette extrême-différenciation des opinions. Quasi irréductibles les unes aux autres, comme enfermées dans leurs bulles, poursuivant le sillon de leurs courses folles, leurs propriétés singulièrement corrosives expriment sans doute un fait de civilisation aussi inquiétant que la virulence d’un... virus !

Arnaud Benedetti

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