La crise climatique divise notre chère civilisation occidentale et transatlantique

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La crise climatique divise notre chère civilisation occidentale et transatlantique


3 juin 2007 — On a rarement, – non, plutôt : on n’a jamais entendu de tels mots entre alliés, – lorsque The Observer, reflétant en cela le climat général, écrit de la réaction des Allemands (et des Britanniques ! Et de la Commission européenne !) à propos de la proposition-surprise de GW Bush sur (contre…) le réchauffement climatique : «Washington was warned that Britain and Europe will not tolerate a separate process. “For me, that is non-negotiable,” the German Chancellor Angela Merkel said of the need to ensure that climate change negotiations take place within the existing UN framework.»

Ambiance, à cinq jours du G8 qui rassemble les éminences principales de la civilisation occidentale. Hier, le Financial Times nous confirmait cela, cette ambiance épouvantable, cette fureur de la partie ROW du G8, principalement les Européens, Allemands en tête comme organisateurs de la fiesta-G8 : «Germany and the European Commission reacted angrily to President George W. Bush’s apparent change of heart on climate change on Friday, setting the stage for a stormy G8 summit of rich industrialised countries next week.»

Les Allemands sont absolument furieux de ce qu’ils considèrent comme un “coup de Jarnac”, un coup de couteau dans le dos de l’administration Bush. Les Britanniques, derrière les sourires-Colgate de “Yo-Blair”, ne le sont pas moins après tout. Même Barroso rumine et remâche, lui qui a fait de la lutte contre le réchauffement climatique le cheval de bataille de sa présidence. L’effet de la proposition Bush est d’abord de pure “politique politicienne” internationale (pour le sort de la planète en réchauffement, on verra plus tard) : tenter de marginaliser le G8 et l’ONU, — marginaliser le reste du monde (ROW, Rest of The World), — rien que cela ! L’édito du jour de l’Observer résume cette fureur, même si avec des pincettes. Constatant que les réunions des grands acteurs de la pollution du monde sont déjà prévues dans les cadres divers affectionnés par notre bureaucratie transnationale, — G8, ONU, Kyoto-I, -II et ainsi de suite, — l’édito poursuit :

«This raises one obvious question. If the stage is already set, if all of the key players, including the new generation of polluters from the developing world such as China, India and Brazil, have been invited, and if all are ready to do a deal now, why wait? What need is there for Mr Bush's alternative summit?

»The answer lies in the Bush administration's scorn for any international agreement that is not brokered by the US. The White House despises Kyoto not because the deal itself has flaws (although it has many), but because it originates from the United Nations, which the White House tends to see as a conspiracy against American power. Since the US is the world's biggest polluter, any deal to cut emissions will put disproportionate pressure on Washington. So if Mr Bush is going to be seen to acquiesce to anything, for face-saving reasons he needs it to be something ostensibly American in origin.»

Il y a maldonne et très grande incompréhension de la psychologie de GW, — qui, en cette occasion, ne se résume pas à un nouveau phantasme de l’hurluberlu lunatique mais résume au contraire l’état d’esprit américaniste “as a whole”, conduit par l’hubris qui en est le caractère principal devenu exclusif depuis le 11 septembre. Cette fureur, ce jugement sévère du comportement de l’administration se nuancent de la satisfaction prudente que GW ait “bougé”. C’est n’y rien comprendre. L’entrée en scène des USA sur la scène internationale de la lutte contre la crise climatique va au contraire susciter des conflits politiques sans fin.

L’édito de l’Observer, avant de sombrer dans la fureur et l’anathème à peine contenus, commence par cette note de satisfaction extrêmement conditionnelle : «George W Bush's announcement last week that he wants to convene a global summit on climate change would have been laudable had it come earlier in his presidency. Much earlier.»

Pas du tout. La seule solution acceptable eût été que l’administration restât dans sa passivité râleuse de ces dernières années, qui n’empêchait pas que des progrès fussent accomplis par ailleurs, y compris aux USA au niveau des pouvoirs locaux (Etats, villes). L’entrée en piste de GW brouille tout, elle introduit le désordre, comme elle l’a fait en toutes les occasions d’action globale, – à commencer par l’Irak.

La crise climatique est donc devenue politique (suite)

Tout se résume à ceci que ROW n’a toujours pas compris ce qu’est en substance l’américanisme, bien qu’il y adhère en temps normal et courant des deux mains. La crise climatique, – ici, le terme importe, dont la “lutte contre le réchauffement climatique” n’est qu’une partie, – est la partition rêvée pour nous faire découvrir que le roi est nu, ce qui se supporte avec le réchauffement général. Tout le monde, parmi les éminences G8/ROW, croit qu’il y va de la survie de l’humanité. Il est d’abord question de la vanité, de l’hubris qui est le principal facteur et moteur de l’américanisme.

Il est vrai que l’engagement de GW Bush modifie grandement les données de la question de la crise climatique. Il les modifie dans le sens inverse de celui espéré par ceux qui attendent, depuis plusieurs années et avec quelle impatience, cet engagement, – ils l’attendent comme on attend le Messie, évidemment, puisqu’il s’agit des USA. L’arrivée des USA sur la scène générale de la crise climatique n’est pas une promesse de solidarité, d’unité, le pas en avant décisif de cette vertueuse “gouvernance mondiale” réconciliant notre fascination américaniste et nos prétentions universalistes (à l’hubris unilatéraliste US correspond l’hubris universaliste du reste de la civilisation occidentale). C’est la chicane , la manœuvre politicienne, la magouille désinformatrice, la vision virtualiste haussées au niveau de la grande scène du monde en crise.

A cause des chausse-trappes que ménage la crise climatique parce qu’on croit en général que la gravité de cette crise transcendera les visions étroites des nationalismes divers, les dirigeants occidentaux hors-USA croient qu’on se trouve sur le terrain idéal conduisant à la “bonne gouvernance” (curieux : nous avions fait une faute et écrit d’abord “conne gouvernance”, comme s’il s’agissait d’un lapsus), – “bonne gouvernance” si possible occidentaliste, si possible mondialiste. C’est tout le contraire qui nous attend. Nous y verrons le déchaînement des passions nationalistes grâce à l’intrusion des USA et, au-delà, l’ombre des différences fondamentales de conception, entre les USA dont la seule philosophie est la réduction de la nature du monde à sa vision économiste du monde et les autres qui au bout du compte ne veulent pas complètement sacrifier la nature du monde à une vision uniquement économiste du monde. Cette déception entre un objectif si complètement angélique et une réalité si bassement politicienne conduit à des réactions qui tranchent vilainement sur l’habituel consensus bon chic bon genre. A-t-on connu une autre occurrence où un chancelier (une chancelière) allemand(e) fait savoir aux USA que quelque chose “n’est pas négociable”, où Allemands et Britanniques font connaître aux USA “qu’ils ne toléreront pas…” ? Seule la crise climatique a assez de puissance pour provoquer de tels miracles.

Répétons-nous encore : cantonner cet épisode à l’immonde Bush est une erreur grossière, qui témoigne de l’incompréhension du système. Le même Observer a encore tort lorsqu’il écrit, avec en plus (sur la fin de l’extrait ci-après) un lyrisme capitaliste qui en dit long sur la lucidité et les travers de la fascination du modèle US malgré tout de la gauche libérale :

«Fortunately, there are now domestic US forces pushing for action on climate change. Public opinion was way ahead of President Bush in accepting the scientific evidence that the planet is in peril. Several US states, most notably California, have responded by taking measures of their own to curb emissions. That, in turn, has led US business, anticipating ever more stringent controls, to stop lobbying for climate-change denial and start investing in alternative energy. Demand for green technology is growing. Agile American capitalists do not need to be motivated by ecological principle to get into that market.»

La poussée des “forces domestiques” US n’annonce pas des lendemains qui chantent au cœur du système US, mais une opposition grandissante entre le système et les pouvoirs locaux qui sont comptables des situations réelles de leurs administrés. Le système ne se soumettra pas plus à ses vassaux intérieurs qu’à ses vassaux extérieurs. Il forcera, y compris pour l’après-Bush, pour suivre la ligne Bush (technologies triomphantes, aucune contrainte sur les marchés même si une part importante du business le demande, affirmation du leadership américaniste hors des contraintes transnationales), – cette ligne qui est sa ligne idéologique fondamentale, qui est l’américanisme pur sucre. Aux USA, parallèlement à l’affrontement intra-occidental dont on découvre les prémisses dans la préparation (!) du G8, on se dirige vers des conflits entre le centre et les Etats. Là aussi, retour au fondamental, à la querelle originelle de la constitution des USA par rapport aux droits des Etats, réglée dans les tueries humanitaristes du docteur Lincoln de la Guerre de Sécession. La crise climatique est l’occasion de mettre à nu notre crise systémique générale, avec les deux siècles d’imposture qui y conduisent. La grande Histoire ne la ratera pas.


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