Justin Kunstler face à Poutine

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Justin Kunstler face à Poutine

Il s’agit de deux remarquables commentateurs, sans aucun doute le plus souvent antiSystème selon nos conceptions, quoique de bords complètement opposés : Justin Raimondo est un libertarien isolationniste et conservateur de droite, James Edward Kunstler est un progressiste disons indépendant, proche de l’aile gauche du parti démocrate si le parti démocrate existait encore et s’il avait une “aile gauche”. Quoi qu’il en soit, les deux hommes usent de la même lucidité pour apprécier le traitement que “D.C.-la-folle”, le DeepState, le Système, – appelez la chose comme vous voulez, – fait ou font subir aux Russes depuis quelques années, et particulièrement depuis 2014 (l’Ukraine) et 2015-2016 (présidentielles, Trump et Russiagate). Ils n’acceptent rien de la narrative officielle et rejettent, l’un avec angoisse et l’autre avec sarcasme, les Himalayas de mensonges et de montages de mensonges dont est constitué l’exposé de la “réalité” par les zombies-Système du déterminisme-narrativiste.

... Pourtant, leurs réactions intimes et de conviction face au discours de Poutine lui-même sont complètement différentes, et c’est bien là que se trouve l’intérêt de cette comparaison directe entre deux textes rapides et bien informés. L’un (Raimondo) se retrouve soudain critique jusqu’au mortel soupçon des Russes tandis que l’autre (Kunstler) ne trouve que sagesse et bon sens dans l’intervention du président russe. Nous ne cacherons certainement pas que la réaction de Kunstler a notre préférence, tandis que le cas de Raimondo, que nous suivions depuis près de vingt ans, doit retenir toute notre attention du point de vue de la “fatigue de la psychologie”, – et c’est dire que, peut-être, sans doute, son cas précis intéressera-t-il PhG dans une futur page de son Journal-dde.crisis.

Pour l’instant, tenons-nous en à la lecture de ces deux textes qui, au moins d’accord sur ce point, ne dissimulent pas où se trouvent les responsabilités de la situation actuelle, et par conséquent des mesures d’armement que les Russes ont développées depuis des années. Il s’agit évidemment de l’aspect le plus important de cette situation crisique, déjà éclairée par les responsabilités de la CIA en la matière, comme les définit Gilbert Doctorow.

(Il faut noter que, face à l’incrédulité ou à la diffamation de “bluff” de nombre de commentaires présentant les précisions sur ces nouvelles armes données par Poutine, on trouve, nulle part présentée ni commentée, et nullement démentie, l’affirmation par les Russes qu’ils ont lancé à plusieurs reprises des “signaux” pour des conversatioons de sécurité concernant ces nouvelles technologies qu’ils développaient, à “leurs partenaires occidentaux”, – lesquels n’exprimèrent à cet égard comme à tant d’autres aucun désir de coopération. [Selon une source politico-militaire russe anonyme, citée par Tass.])

Ci-dessous, adaptations françaises des textes de Justin Raimondo, le 5 mars 2018 sur Antiwar.com, et de James Howard Kunstler, le même 5 mars 2018, sur son site Kunstler.com/Clusterfuck-nation.

dde.org

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Voici la nouvelle Guerre Froide

Si le président Trump est “la marionnette de Poutine“, comme le prétendent les dingues de #TheResistance, alors pourquoi le leader russe fait-il un discours menaçant de détruire les Etats-Unis avec des armes nucléaires “invincibles” et illustre sa menace d’un ICBM russe volant autour du le globe et frappant la Floride? Bien que les Russes le nient, il me semble que ce missile se dirige tout droit vers Mar-a-Lago.

Le dernier discours de Poutine a duré plus de deux heures : la première partie a été consacrée à l’avis de Poutine sur tous les aspects de la vie en Russie, de l'état des aéroports au marché du logement en passant par les soins de santé, illustrant le fait qu’il n’y a quasiment aucun aspect de la vie quotidienne qui n’est pas influencé par l'Etat russe. C'est une illustration de ce que nous avions l'habitude d'appeler le despotisme oriental : exhorter constamment ses sujets à faire mieux, Poutine a une opinion sur toutes les questions imaginables, et plus encore.

Après une heure et demie de la chose, quand ses auditeurs ont été engourdis par le déversement sans fin de ce bavardage, Poutine s’est lancé dans la description très concrète des nouvelles armes que la Russie a développées, y compris un missile nucléaire “invincible” soi-disant capable d'échapper aux systèmes anti-missiles. Il fait précéder tout cela d’une série de récriminations, indiquant justement que les États-Unis se sont retirés du Traité ABM en 2002, affirmant que toute tentative de la part de la partie russe pour négocier était accueillie avec indifférence et même mépris par l'Occident : “Non, personne ne voulait vraiment nous parler du cœur du problème, et personne ne voulait nous écouter. Alors, vous allez nous écouter maintenant !”

Or, ce que nous entendons après avoir écouté, c’est une menace claire de destruction des États-Unis - et, incidemment, toute la vie sur terre - avec des armes nucléaires. Il n’y a aucun moyen de minimiser la gravité de la menace ou d’ignorer les intentions de Poutine. Certes, il prétend que c'est juste pour la défense de la Russie, que l’agression n’est pas du tout dans ses intentions, – “tout au contraire” – mais il sait parfaitement comment tout cela sera accueilli aux Etats-Unis.

En passant, ce discours devrait dissiper l'idée un peu bizarre avancée par les promoteurs du Russiagate que Poutine est une sorte de génie maléfique qui a le contrôle sur la façon de manipuler les Américains à chaque occasion. Si ce discours est une indication de la façon dont les Russes connaissent leurs tourmenteurs américains, alors ce n’est rien de moins qu'une confession d’ignorance pure. Les Américains n’aiment pas être menacés : ils réagissent, non pas avec couardise et frayeur, mais avec la détermination de donner une bonne leçon à l’apprenti tyran potentiel. C’est précisément ce que veut le War Party, et le dirigeant russe leur a certainement donné l'occasion d'affirmer que la Russie représente une menace mortelle pour les États-Unis, l'Occident et le monde entier.

Après des années de provocations – non seulement le retrait du Traité ABM, mais aussi le déploiement massif de troupes de l'OTAN à quelques kilomètres de la frontière russe, pour des “exercices” militaires qui sont essentiellement une répétition d'une attaque à grande échelle contre la Russie, les opérations de regime change en Ukraine et sur la périphérie de l'Etat russe, et même des menaces de renverser le régime actuel au Kremlin, – les Russes répondent enfin. On peut facilement imaginer des citoyens russes ordinaires écoutant leur chef et disant “Il était temps !”

Et c’était bien son audience, – le peuple russe, qui va être appelé à voter à nouveau pour Poutine et qui semble enclin à le faire (malgré la propagande occidentale qui pousse les partis d'opposition très marginalisés). C'était donc bien un discours électoraliste mais il s'adressait aussi à l'Occident : “Alors, vous allez nous écouter maintenant !”

Eh bien, oui, nous écoutons, et franchement, ce que nous entendons est plutôt déprimant. La nouvelle guerre froide est désormais officiellement lancée : la campagne de haine dirigée contre la Russie par les démocrates et leurs alliés néoconservateurs a réussi. Nous pouvons certainement exclure tout pourparlers de paix entre les États-Unis et la Russie. Alors que Poutine, dans son discours, dit qu'il est ouvert aux négociations, il devrait être assez évident pour lui et pour le reste d'entre nous que cela n’arrivera pas : le sommet que beaucoup d'entre nous espéraient, au cours duquel la relation américaine avec la Russie aurait été redéfinie, était une rêverie qui s'est dissipée assez rapidement dans les vents furieux du discours politique américain - qui s’est transformé en une tempête de feu belliciste anti-russe.

L’État profond a désespérément essayé de bloquer tout rapprochement américano-russe – ce qui est l’une des raisons pour lesquelles il a lancé une opération de changement de régime contre le président Trump. La campagne de propagande “Trump, élu par les Russes” qui a infesté nos cerveaux, qui a été menée par les médias “traditionnels” depuis un an et demi, est un élément essentiel de cet effort. Comme il est lentement mais sûrement démystifié et discrédité, il est tout à fait possible que Trump pourrait très bien tenir sa promesse de campagne pour poursuivre une nouvelle relation avec la Russie. À l'heure actuelle, cependant, nous devons observer une grande victoire pour le War Party.

Je préviens depuis longtemps que la perspective d'une confrontation militaire avec la Russie est le principal danger pour la paix et la sécurité, et ces nouveaux développements ne font que souligner l'urgence de cette thèse. L'engagement du président Trump pendant la campagne pour trouver un moyen de “s’entendre avec la Russie” – un engagement que les électeurs ont approuvé – est maintenant oublié. Les généraux et les conseillers de Trump n'ont jamais été d'accord, et maintenant ils ont réussi à inverser la tendance : il serait difficile d'imaginer une tournure plus dangereuse.

Justin Raimondo

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Éclairez-les donc

Il doit être difficile pour les éditeurs du New York Times de continuer à s’arracher les cheveux jour après jour dans leurs efforts pour faire démarrer la troisième guerre mondiale. L’édito d’aujourd'hui, (« Un vide stratégique face à la menace russe sur deux fronts ») vise à entretenir une double hystérie, l’une sur un nouveau missile gap et l’autre sur l'ingérence russe dans les élections à venir de novembre 2018, à mi-mandat.

La vision du monde du Times commence à ressembler au scénario d'une suite de Batman avec Vlad Putin dans le rôle du Joker, le psychopathe caquetant qui doit être arrêté à tout prix ! Les généraux américains ont déjà lancé le signal d’alarme à destination de Batman, mais Donald Trump, dans le rôle du Caped Crusader, hésitant et encoconné de son Batcave de 1600 Pennsylvania Avenue, se perd encore dans une de ses interminables crises d’identité bipolaire. Pour l'amour de Dieu, hurle le Times, faites quelque chose ! Les Russes arrivent ! (Le chef de la police Hillary, de Gotham City, a dit exactement cela la semaine dernière dans un Tweet !)

Je pense qu'ils ont mal compris le message récent de M. Poutine quand il a annoncé de nouvelles technologies de missiles hypersonique qui, en principe, se jouerait de n’importe quelle défense antimissile américaine imaginable. Le message réels, pour les non-déficients mentaux qu’on peut encore retrouver dans cette idiocratie boiteuse et caricaturale de république que nous sommes devenus, était le suivant : La guerre nucléaire est toujours impensable, alors s’il vous plaît bien arrêtez d’y penser.

L'autre position stratégique de M. Poutine est également dénaturée, – en réalité, pas même reconnue, – dans l'explosion de la propagande du NYT lundi, à savoir la tentative de stopper la politique de regime change des Etats-Unis, ici et là, et partout sur la planète, laissant derrière elle une traînée d’“États mis en faillite” l’un à la suite de l’autre. En tant qu’Américain progressiste, je dois dire que ce sont deux propositions admirables. Est-il stupide de rappeler que la guerre nucléaire ne profitera à personne ? Ou que le monde en a assez de l'ingérence militaire américaine dans des pays tiers ?

Bien sûr, le trope usé de l'ingérence russe aux élections de 2016 occupe toujours la piste centrale du cirque politique américain. Afin de maintenir l’hystérie à son niveau paroxystique, le Times d’aujourd’hui publie une autre tentative maladroite de renforcer les prévisions selon lesquelles les élections de 2018 à mi-parcours seront piratées par la Russie. Comme d'habitude, la proposition suppose que le prétendu piratage de 2016 est à la fois prouvé et significatif alors que, depuis deux ans, aucune preuve de ce piratage n’a été avancée à part l’épisode des “13 petits trolls“ russes sur Facebook, manifestement besogne d’amateur. (Au fait, comment cela peut-il se comparer avec le “coup” menant au renversement de février 2014 du président ukrainien Viktor Ianoukovitch ?)

« [...] [D]ans des déclarations publiques ces dernières semaines, les principaux responsables du renseignement de l’administration Trump ont admis que le président n'avait pas encore discuté avec eux d’une stratégie pour empêcher les Russes d'intervenir dans les élections de mi-mandat cette année. M. Trump a exprimé de sérieux doutes quant à l'ingérence des Russes en 2016, contredisant les conclusions de ses responsables du renseignement. »

Par inférence, le New York Times ne doute pas que l'élection de 2016 a subi des interférences décisives pour assurer la défaite de sa candidate préférée – bien qu'il y ait de nombreuses raisons de supposer que toute l'histoire russe de “l'ingérence” a été la narrative mensongère d’une action “psy-ops” de la CIA de John Brennan. Il y a seulement quelques mois, le Times et les réseaux télévisés dénonçaient le fait que le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche (le général Flynn) avait été surpris en train de parler avec l'ambassadeur de Russie, – comme si les ambassadeurs étrangers étaient en poste pour d'autres raisons qu’utiliser les lignes de communication avec les responsables américains.

Ce qui se passe ici fait que la Red Scare de 1920 et l'épisode McCarthyste du début des années 1950 ont une allure bien tranquille en comparaison. Il est raisonnable de supposer que les responsables de n'importe quel pays étranger qui observent le spectacle lugubre en cours en concluront que les États-Unis ont perdu la tête. Quelqu'un s'il vous plaît pour nous emmener au centre d’hydrothérapie !

James Howard Kunstler