Jamaica Kincaid et le woke

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Jamaica Kincaid et le woke

Je lis Autobiographie de ma mère, livre étonnant d’une ilienne émigrée au Usa, Jamaica Kincaid, née Elaine Cynthia Potter Richardson, le 25 mai 1949 à Saint John à Antigua et Barbuda.

Cri de femme voulant être femme et y parvenant d’une certaine façon en jouant sur la caricature que l’on fait des femmes depuis toujours, si… c’est bien une caricature! C’est en de tels livres que se révèle sens et contre-sens de ce que l’homme perçoit (a perçu depuis le commencement?) d’une femme. Pour lui, la femme est toujours quelque chose qu’il finit par mépriser même si jusqu’à sa mort il en reste l’esclave semi consentant au nom de son "insaisissable nature". Kincaid décrit cette aventure d’être née femme dans un pays colonisé, la Dominique, mais qui aurait pu être un autre pays, à une époque où les anciennes colonies de par le monde accèdent à l’indépendance. Dans cette "autobiographie" perce la fiction. Elaine se fait métaphoriquement orpheline de mère puisque sa naissance est contemporaine de la mort de celle qui la met au monde. Alors que dans sa vraie vie, elle aura trois frères venus après elle de ladite mère, ou d’une autre? On ne sait pas.

Pour peindre ce qui pour elle a un sens, il fallait se priver de mère et s’en remettre à un père, dont l’humanité est volontairement dépréciée ou, à tout le moins décrite comme bassement humaine au sens où son seul but dans la vie (il est policier, douanier) est de s’enrichir en profitant de son statut pour pressurer ses compatriotes.

Le désir d’être soi en passant par le "handicap" femme, va évidemment passer par son sexe. Dépucelée par un homme plus vieux, ami de son père, elle apprécie la douleur-joie d’être ouverte. Enceinte, elle résout le problème par avortement "traditionnel" avec philtre sorcier et mise en terre de quatre jours dans le jardin de la sorcière où son sang coupable, s’écoule sans fin. Sa revendication d’un "droit à jouir", sa capacité à jouir supérieure à celle de l’homme, la conforte dans sa supériorité physique et morale vis-à-vis de cet empoté qui ne sait qu’éjaculer même si Roland, l’amant docker à Roseau, apparaît sous les auspices d’une humanité acceptable, presque comparable à la sienne mais sans lendemain. Entre temps, elle a avorté sa demi-sœur à la main. P.99 « Pour elle je fis infuser de fortes potions. Comme l’enfant en elle refusait de sortir, j’introduisis ma main dans son ventre et l’arrachai de force. Elle saigna pendant des jours. Son corps se racornit et se fripa de douleur. Elle ne mourut pas. J’étais devenu si experte à gouverner ma propre vie sur ce plan limité que je pouvais étendre ce pouvoir à toute autre femme qui me le demandait. »

Le lecteur se demande si elle parle d’avortement au sens médical ou littéraire car aller arracher à la main un fœtus dans l’utérus d’une femme, même si on n’est pas médecin, on sait que l’entrée de l’utérus permet une aiguille à tricoter, pas une main. C’est à ces détails de ce genre que la crédulité, l’à priori positif du lecteur, s’émousse un peu et le paysage féminin jusque là envoutant se trouble. D’autant qu’elle se décrit comme une femme qui jouit, qui se touche et qui se hume, et qui a tous les hommes qui lui paraissent bons à avoir. On y sent plus un féminisme à la Solanas qu’à la Simone de Beauvoir ou à la Adèle Haenel. A bien chercher une photographie qui la dépeigne, on trouve celle-là, plus proche de l’héroïne du Sofitel bien connue, que d’une manequine newyorkaise

Pourtant, ça n’épuise pas le sujet. Menant ma lecture à son terme, je réalise combien les humains métissés (surtout évidemment les femmes) qui ont traversé une histoire non seulement de race mais de nation, de pays, de culture, ont été les vecteurs de l’antiracisme nord américain. Kincaid au fond, s’est inventé une nature de déracinée et pour que ce soit parfait, il fallait qu’elle soit sans mère puisque la mère est la racine de tout vivant. Elle la tue donc en la remplaçant.

Alors, les hommes, tous les hommes à commencer par son père, sont les figures de l’inachevé humain. Aux hommes, il manque quelque chose pour faire leur humanité. Ils sont le degré au-delà duquel l’humain accède à l’inhumain, le dernier barreau de l’échelle qu’il n’aurait pas fallu franchir. Le vrai humain, c’est la femme, barreau d’en dessous. Le roman est cette démonstration talentueuse il faut le dire, qu’effectivement, l’enfant, puis la fille Kincaid, puis l’épouse Kincaid d’un médecin anglais échoué à Dominique qui mourra le premier pour laisser notre romancière, talentueuse, je le répète, achever sa démonstration. Les dernières pages sont magnifiques, de finesse, de retenue, de poésie, comme il en sort peu aujourd’hui sous les plumes femmes.

On peut imaginer que si seulement 100 000 mille intellos yankees l’ont lu et ont répercuté son cri dans les universités et dans l’Amérique instruite entre 1980 et 2020, ça peut expliquer Soros, le féminisme forcené de femmes (qui bien sûr ne lui arrive pas à la cheville) et le woke, ce mouvement qui se fait passer pour une aventure intellectuelle et civilisationnelle comme le marxisme autrefois fut une aventure de ce type et conduisit là où on sait et… c’est pas fini! Ecoutez Lucy à la High School Grinnel au Kansas.

L’Eveillé, le vrai, sait que le christianisme et le Christ sont consubstantiels mais différents, le Woke actuel n’est pas cette magnifique prise de conscience par une écrivaine de la tragique réalité de l’humain et du monde. Son amour de la nature et de l’être humain (dans ses petitesses et ses souffrances) sont à égalité. Il y a des pages magnifiques qui me rappellent ma vie au Cameroun et mon aventure avec Geneviève, fille Bassa bien supérieure à moi. Qui me rappellent le Céline du Voyage quand, au Cameroun justement, il rencontre cet homme rongé de fièvre et de fatigue qui amasse de l’argent en trafiquant tout ce qui peut se trafiquer pour l’envoyer à sa fille qu’il n’a jamais vue et vit dans une pension en France. Il y a le même amour dans les deux. Un amour que rien ne peut détruire. La différence est que Kincaid est mère-fille et pas l’inverse.

Kincaid a eu deux enfants alors que dans son roman elle se réjouit de ne pas en avoir eu, d’être restée la stérile qui n’aura donné la vie à personne. Une lectrice la consolerait, le lecteur que je fus moins, car des femmes à la Kincaid on les trouve pas sous le sabot d’un cheval et, quand elles n’écrivent pas elles doivent être aussi désagréables que le sont les écrivains hommes avec leurs femmes. Voyez Joyce ou Tolstoï. Comment se fait-il qu’il a pu y avoir des hommes pour les mériter? Ou les souffrir? Quelle journaliste a enquêté sur le mari de Kincaid, le compositeur/ professeur Allen Schawn. Il tient le coup vingt et un ans et divorce en 2002 pour une japonaise. Un antiracisme radical rongerait-il le Yankee né après guerre?

La littérature donne la vie à ceux qui la font, moins à ceux qui la lisent. L’avortement perdure.

@JoeBiden, 23h, United States government official :  « The Supreme Court's overnight ruling is an unprecedented assault on constitutional rights and requires an immediate response. We will launch a whole-of-government effort to respond, looking at what steps we can take to ensure that Texans have access to safe and legal abortions. »

Kincaid has two lovely unaborted half-breeds. Black lives matter.

Marc Gébelin