Israël tout seul à l’attaque ?

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Il y a aujourd’hui un nombre important d’articles, de nouvelles et de spéculations allant toutes dans le même sens, qui se résume à ceci : Israël préparerait une attaque aérienne unilatérale, de type limitée, contre l’Iran, en avril, mai ou juin, – disons à la fin du printemps 2012. On détaille ici les diverses interventions que nous croyons d’un certain intérêt.

• Il y a des déclarations du secrétaire à la défense Panetta, dans l’avion qui le menait des USA à Bruxelles, pour une réunion de l’OTAN. AFP notamment (via SpaceWar.com, en date du 2 février 2012) en parle d’une façon quasi-officielle, à partir de questions citant un article de David Ignatius dans le Washington Post.

«US Defense Secretary Leon Panetta believes there is a “strong possibility” that Israel will strike Iran's nuclear installations this spring, the Washington Post said Thursday in an editorial. When asked about the opinion piece by reporters travelling with him to a NATO meeting in Brussels, Panetta brushed it aside. “I'm not going to comment on that. David Ignatius can write what he will but with regards with what I think and what I view, I consider that to be an area that belongs to me and nobody else,” he said. “Israel indicated they're considering this (a strike), we've indicated our concerns,” he added.»

• L’article d’Ignatius, dans le Washington Post du 2 février 2012, a comme axe d’information, outre la possible intention israélienne, l’information selon laquelle les USA auraient décidé dans ce cas précisément de rester en dehors de l’attaque et de n’intervenir que s’ils étaient touchés directement par une riposte iranienne impliquant quoi que ce soit de spécifiquement américaniste (notamment, bien sûr, un navire de l’U.S. Navy ou une installation US dans la région). L’article d’Ignatius est intéressant selon deux précisions ou axes d’analyse : d’une part, l’idée que l’attaque israélienne serait limitée, d’autre part celle qu’un tel scénario impliquerait une véritable crise entre les deux alliés, USA et Israël.

Concernant la forme de l’attaque israélienne selon cette hypothèse : «Israelis point to Syria’s lack of response to an Israeli attack on a nuclear reactor there in 2007. Iranians might show similar restraint, because of fear the regime would be endangered by all-out war. Some Israelis have also likened a strike on Iran to the 1976 hostage-rescue raid on Entebbe, Uganda, which was followed by a change of regime in that country.

»Israeli leaders are said to accept, and even welcome, the prospect of going it alone and demonstrating their resolve at a time when their security is undermined by the Arab Spring. “You stay to the side, and let us do it,” one Israeli official is said to have advised the United States. A “short-war” scenario assumes five days or so of limited Israeli strikes, followed by a U.N.-brokered cease-fire. The Israelis are said to recognize that damage to the nuclear program might be modest, requiring another strike in a few years.»

Concernant la situation des relations israélo-américanistes en cas d’une telle attaque : «The administration appears to favor staying out of the conflict unless Iran hits U.S. assets, which would trigger a strong U.S. response. This U.S. policy — signaling that Israel is acting on its own — might open a breach like the one in 1956, when President Dwight Eisenhower condemned an Israeli-European attack on the Suez Canal. Complicating matters is the 2012 presidential campaign, which has Republicans candidates clamoring for stronger U.S. support of Israel.»

• Dans War in Context, le 2 février 2012, Paul Woodward commente l’article d’Ignatius. Il juge qu’on peut lui accorder un grand crédit, du fait qu’Ignatius est connu comme une sorte de “porte-parole officieux” de l’administration en place pour les matières de sécurité nationale. Ce qu’il écrit peut donc être considéré comme l’expression de la pensée et de la position réelle de l’administration, au moment où l’article est écrit. (La réaction de Panetta ne dément pas cette interprétation.) Woodward offre trois explications de cette position de l’administration Obama, relayée par Ignatius…

«…That this is in effect, yet a further escalation in the war-making rhetoric — that Iran is being told that if the U.S ever had the capacity to restrain Israel, that capacity has been relinquished. Mad dog Israel is now being let off the leash; or, that Israel is being warned that it may suffer the consequences of its own bravado and won’t get bailed out by the U.S. in the event that Iran strikes back in a proportionate and appropriate way — perhaps through missile attacks on the Dimona nuclear facility; and that Washington wants Tehran to understand that the United States draws a clear distinction between its own interests and those of Israel and that the Iranians should keep this in mind when making their own strategic calculations.»

• Gareth Porter, commentateur d’une orientation respectable, sans liens d’allégeance avec l’establishment mais avec d’excellentes sources au Pentagone, publie notamment sur ConsortiumNews (le 2 février 2012) un article qui va dans le même sens de l’hypothèse d’une attaque d’Israël sans les USA. Mais son analyse n’est pas développée en fonction de l’article d’Ignatius, qu’il ignore sans doute lors de la rédaction de l’article, mais en fonction de nombreuses indications qu’il a reçues sur le visite en Israël du président du comité des chefs d’état-major, le général Dempsey, le 20 janvier. Les principaux détails montrent effectivement la même situation que celle que détaille Ignatius. L’ignorance de Porter de l’article d’Ignatius apparaît notamment dans le sous-titre résumant son article : «President Obama is caught in a dilemma, how to dissuade Israel from going to war with Iran without alienating pro-Israeli voters in November. So, the Obama administration has told Israel that the U.S. won’t support an attack on Iran but has done so quietly…» Le mot “quitely”, signifiant une position officieuse et secrète, semble maintenant dépassée ; cela implique peut-être une évolution de ces tous derniers jours, décidant l’administration Obama, via Ignatius, de rendre la position US au moins “semi-publique” ?

• ... Cette “évolution de ces derniers jours”, un durcissement israélien, signifiant une accélération de la décision de l’attaque, sinon la décision prise ? La dernière analyse de DEBKAFiles, du 2 février 2012, sur une intervention du général Aviv Kochavi, chef du renseignement militaire israélien, ne prend plus de gants en annonçant la réalisation d’une bombe nucléaire comme un fait acquis, avec la possibilité d’arriver à quatre bombes en 2015. Relais des milieux de sécurité nationale israélienne, type Mossad aussi bien que du tandem Netanyahou-Barak, DEBKAFiles publie une analyse alarmiste, impliquant que l’attaque est quasiment nécessaire et inéluctable, en s’appuyant bien entendu sur les déclarations de Kochavi, mais aussi sur ses propres commentaires. Ses conclusions sont abruptes et sonnent comme une prise de position qui serait celle des “durs” de l’appareil de sécurité nationale israélien, notamment en dénonçant complètement la fameuse NIE (National Intelligence Estimate) 2007 des services de renseignement US : «Today, thanks to Kochavi and Yadlin, we know that the US National Intelligence Estimate of 2007 accepted by the Bush administration was wrong. Its main finding was that Iran had discontinued its military nuclear program in 2003. For five years, Western intelligence officials have given out misleading estimates to save their governments having to pursue direct action for preempting a nuclear Iran.» (Le général Yadlin est le prédécesseur de Kochavi à la tête du renseignement militaire.)

• Cette analyse de DEBKAFiles, mais aussi (surtout) les déclarations du général Kochavi telles qu’elles sont interprétées, apparaissent comme contrastant avec de nouvelles déclarations du ministre de la défense Ehud Barak, qui semble plutôt suivre la thèse, largement répercutée hier (voir le 2 février 2012), des militaires israéliens et hauts fonctionnaires de sécurité nationale du “groupe Dagan” affirmant qu’il faut d’abord laisser se développer les sanctions, et leurs effets, avant d’envisager d’entreprendre une attaque (avec certains militaires insistant sur les conséquences catastrophiques de cette attaque). Simplement, Barak met surtout l’accent sur l’attaque, mais en mettant bien en évidence que les sanctions doivent d’abord être développées… Si l’on accepte cette réserve, l’attaque ne pourrait théoriquement pas avoir lieu en avril-juin, puisque la sanction essentielle, l’embargo du pétrole iranien, n‘entre en vigueur, du côté de l’UE, qu’en juillet, et qu’il faudrait attendre un certain nombre de mois avant d’en juger de l’effet. Les déclarations de Barak sont reprises par PressTV.com, le 2 février 2012 : «“Today, unlike in the past, there is widespread international belief that it is vital to prevent Iran from becoming 'nuclear' and that no option should be taken off the table,” Barak said at the Herzliya Conference in Israel on Thursday, Haaretz reported. “Should sanctions fail to stop Iran's nuclear program, there will be a need to consider taking action,” he added.»

Cela fait beaucoup de tintamarre pour qu’on puisse croire que rien ne se passe, ni ne se prépare dans les coulisses, et encore des coulisses percées de tant de trous d’où jaillissent tant de déclarations et de commentaires… Mais la conclusion à tirer est bien difficile, sinon celle d’observer qu’il n’est pas temps de tirer une conclusion. Il reste extrêmement gênant de croire à une “attaque-surprise” annoncée quatre ou cinq mois à l’avance, avec presque des détails sur la durée, les modalités, etc. La référence faite à l’attaque de 2007 contre une installation nucléaire syrienne (version désormais tenue par la partie BAO comme quasiment officielle, alors que l’existence d’un tel programme a toujours été largement mise en doute, sinon démentie) n’est pas très valable, dans ses modalités opérationnelles : cette attaque de 2007 s’est faite effectivement “par surprise”, sans le moindre signe annonciateur, sous le couvert d’un exercice dans un autre espace aérien qui n’était pas annoncé, etc., et la réalité de cette attaque (contre des installations syriennes, programme nucléaire ou pas) n’a été révélée que progressivement, et jamais confirmée officiellement (les mêmes remarques valant, pour la préparation du raid d’Entebbe, qui fut mené d’ailleurs par Barak, alors général) ; en un mot, rien de plus diffèrent que l’actuel tintamarre. Dans ce contexte, l’hypothèse complémentaire d’un “coup d’État” interne de Netanyahou forçant à une “attaque-surprise” avant le programme tel qu’il est annoncé ici, même si elle reste plausible, s’avère encore plus difficile dans la mesure où tout le monde, y compris les adversaires d’une attaque, est en “état d’alerte maximale” dans les manœuvres internes opposant les différentes factions. (Par “coup d’État interne”, nous entendons une décision surprise et forcée d'attaquer de Netanyahou, contre la partie importante de sa hiérarchie de sécurité nationale qui s’oppose à l’attaque, au moins dans l’immédiat.)

Ce “tintamarre” reflète plutôt le désordre et les oppositions régnant dans le camp du bloc BAO, entre Israël et les USA, aux USA même, et surtout en Israël même avec une forte opposition à une attaque, et dans tous les cas une attaque avant que les sanctions aient montré leurs effets, et quels effets précisément. Malgré le ton pressant des uns et des autres, cet épisode, qui renforce la tension existante plutôt que la “faire monter” (elle est au plus haut depuis des semaines), reste plus que jamais dans le domaine de la “tension figée” tant sont importantes les hésitations, les oppositions, les divergences d’analyse, et les interférences considérables d’autres points de tension et de d’autres crises dans la crise iranienne. Au moins, c’est le renforcement de notre conviction que la crise iranienne a bien acquis les caractères de ce que nous nommons une “crise haute”.


Mis enligne le 3 février 2012 à 10H02