Henri Massis -Défense de l'Occident

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Henri Massis – Défense de l'Occident

Entre Est et Ouest

A sa parution, en 1926, ce livre de Henri Massis eut un certain écho. A l'aide de conceptions élaborées mais claires, et avec une documentation prodigieuse en citations et références (c'est un de ces livres dont on se demande si le texte des notes ne dépasse pas en volume le texte principal), il présentait clairement et substantiellement un problème fondamental: l'orientation de plus en plus extra-européenne de l'Allemagne, ses accointances grandissantes avec des mouvements venus de l'Est, comme le bolchévisme et l'irrationnalisme asiatique. Massis définissait l'un des facteurs fondamentaux de la réflexion des années 1920, décennie beaucoup plus riche et beaucoup plus “ouverte” que la décennie suivante, figée dans l'antagonisme conceptuel des idéologies, avec les totalitarismes et leur affrontement avec les démocraties qui allaient déboucher sur la guerre.

Dans les années 1920, deux courants critiques se développaient en Europe Occidentale (l'Allemagne mise à part), particulièrement en France. Ils répondaient, chacun selon son orientation, à la question: le véritable danger vient-il de l'Ouest ou de l'Est? La première thèse était illustrée par un fort courant de réflexion qui touchait aussi bien les esprits spéculatifs (Paul Valery, Roland Dorgelès) que les romanciers (Louis-Ferdinand Céline et le passage sur les usines Ford de Detroit dans Le Voyage au bout de la nuit), voire des domaines plus populaires comme la bande dessinée (Tintin en Amérique). Cette thèse posait la question de savoir si l'Amérique, re-découverte à l'occasion de son entrée en guerre dans la conflit européen en 1917, ne constituait pas un danger fondamental pour la civilisation, avec sa sauvagerie sociale et ses doctrines déshumanisantes dont le “fordisme” (le travail à la chaîne développé par Henry Ford) est l'exemple le plus connu. Au contraire, la seconde thèse, illustrée par le Défense de l'Occident de Massis, désignait l'Est comme source de tous les dangers: la dérive irrationnelle de l'Allemagne, sa collusion de facto avec le bolchévisme perçue par Massis comme une resucée du panslavisme irrationnaliste, et, au-delà, les doctrines non moins irrationnalistes selon lui de l'Asie, comme le bouddhisme. On voit la richesse de ce débat des années 1920, combien il résume à lui seul le XXe siècle, combien il reste, dans une de ses composantes dans tous les cas, complètement d'actualité aujourd'hui.

Bien, Massis avait répondu: le danger vient de l'Est. L'intérêt de son analyse est de nous rafraîchir la mémoire sur l'Allemagne de la défaite, principalement de 1918 à 1925. On garde de cette Allemagne des images de désarroi et de malheur (les tentatives révolutionnaires, la répression, la crise économique, l'hyper-inflation). Massis nous en propose une autre, qui vient s'ajouter à notre collection, et qui, peut-être, y prendra la première place. Il montre cette Allemagne vaincue, totalement anéantie psychologiquement, connaissant une période de désarroi absolu («Le peuple allemand en 1918, écrivait Thomas Mann, était brisé jusqu'en ses profondeurs; il était mou comme un nouveau-né»); cette Allemagne disloquée trouvant pourtant la voie pour arriver à extirper de la tragédie de la défaite des causes indirectes et étranges d'exaltation, et donnant ainsi à son âme des orientations nouvelles. Bien entendu, le fait que cette défaite n'ait été qu'une demi-défaite du point de vue opérationnel (les troupes alliées ne pénétrèrent pas en territoire allemand en temps de guerre), autant que le fait d'un traité de Versailles apparu comme cette erreur aussitôt dénoncée par Keynes et par Bainville (trop dur ou pas assez dur), aident à expliquer cette réaction si inattendue. Le romantisme de l'esprit allemand, sa tendance à la spéculation extrême, fouettés l'un et l'autre par l'aspect tragique de la situation et par l'effondrement psychologique surmonté, fournissent le reste de l'explication, et justifient d'autant d'avancer l'interprétation d'une continuité rétablie entre l'Allemagne pangermaniste qui entre en guerre en 1914 et celle qui, au fond, se sort de son calvaire en niant la réalité catastrophique de la défaite de 1918. (L'on rejoint ainsi complètement la thèse de Modris Eksteins avec son Sacre du Printemps, dont il est également rendu compte dans cette rubrique.)

Massis montre comment le catastrophisme de certains historien du déclinisme (Spengler, Keyserling) est peu à peu transféré vers ce phénomène-concept que Spengler nomme Le déclin de l'Occident, qui est alors perçu comme quelque chose de différent de l'Allemagne et finalement d'étranger àl'Allemagne qui se juge épargnée de ce déclin grâce à son énergie, et qui conduit l'Allemagne à se tourner vers l'Est pour en réchapper et pour échapper tout court à ses pesanteurs occidentalles. Les hommes politiques eux-mêmes épousent cette conception («Le soir tombe sur l'Europe, écrit Walter Rathenau, quelques mois avant d'être assassiné. De plus en plus, tout nous oblige à regarder vers l'Est. Pour nous, Allemands, c'est une question de vie ou de mort...»). En réalité, l'Allemagne sembla alors s'exclure elle-même de la communauté européenne et occidentale, c'est-à-dire de la civilisation européenne, comme on l'en avait exclue en 1918. Elle reporta sur cette communauté à laquelle elle tournait le dos la catastrophique situation qui l'avait d'abord affectée, après que l'on lui en fait porter la responsabilité en même temps que celle de la guerre à la défaite de 1918. Dans ce nouveau schéma, ce n'était plus l'Allemagne qui s'effondrait, mais l'Europe, et l'Allemagne abandonnait l'Europe à son triste sort. Il n'est évidemment pas surprenant que Hitler soit sorti de tout cela, bien qu'il se soit agi, évidemment, du pire des prolongements possibles ; dans ce cas, et malgré la haine extraordinaire qui animait le nazisme à l'encontre du “sous-homme” slave, l'appréciation de ceux qui considèrent cette thèse est certes que Hitler était d'abord un phénomène anti-occidental, ce que nourrit sa dimension anti-chrétienne de quasi-Antechrist.

Défense de l'Occident, 281 pages, Librairie Plon, Paris, 1926

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