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677430 avril 2013 – Nous développons l’identification et l’explication d’un qualificatif que nous employons beaucoup, et qui arrive sans doute au terme de son exploitation dans la production de nouveaux concepts, avec le concept d’“infrastructure crisique”. On peut voir une sorte d’“avant-propos” à cet égard dans notre Note d’analyse du 27 mars 2013, employant également l’expression générale et symbolique de “notre kosmos crisique”. (Tout juste restera-t-il désormais à proposer des concepts de réaction au “facteur crisique”, tel qu’“embourbement crisique”, que nous utilisons le 29 avril 2013, qui concerne le situation des dirigeants-Système confrontés à l’infrastructure crisique, – la “guerre syrienne” en l’occurrence.)
Le qualificatif “crisique” est employé dans divers concepts, outre celui d’infrastructure crisique, notamment (avec les liens renvoyant à des textes élaborés à leurs propos) : “structure crisique” caractérisant la structure politique dans le défilement du temps historique depuis les événements venus de l’époque 1999-2001, devenant enchaînement de crises avec la “chaîne crisique”, déterminant alors ce que nous désignions comme un “temps crisique”.
Comme souvent dans notre Glossaire.dde, nous commençons par faire un historique de l’emploi substantiel du concept, de l’expression examinée, et dans ce cas du qualificatif conceptuel. C’est au printemps-été 2009 que nous avons effectivement commencé à utiliser le qualificatif “crisique”, à propos de la “structure crisique”. Mentionnons rapidement deux interventions à cet égard… D’ores et déjà apparaît, sous-jacente, l’idée de la structuration du monde (de la politique) par les crises, mais sans aucune précision sur le fonctionnement, la position de cette structure, son influence, etc. (La remarque “les crises… constituent effectivement la structure même du monde” est effectivement très ambitieuse mais reste très vague quant à l’opérationnalité de la crise, sa position hiérarchique, sa fonction, etc.)
• Le 1er mai 2009 : «Il est en train de se créer et de se renforcer une véritable “structure de crise”, ou “structure crisique” (selon le qualificatif d’origine médicale qu’on peut employer), qui remplace les structures politiques et de relations internationales normales. La “crise” est en train de devenir la nature paradoxalement “normale” des relations internationales; cela se fait en corrélation avec la poursuite du développement, d’ailleurs à une vitesse remarquablement élevée, du processus de dégradation du système. Cette constitution et cette extension de la structure crisique correspondent pratiquement à la perte de contrôle progressive du système, des différents domaines auxquels il prétend…»
• Le 4 août 2009 : «[N]ous vivons effectivement dans un cadre relationnel déterminé par une structures crisique générale, où les crises ne sont plus, ni des accidents, ni des explosions, ni des moments cathartiques, mais constituent effectivement la structure même du monde. Cette structure n’étant plus accidentelle par définition, elle induit, justement par sa définition qui est d’ordre structurelle, la mise en cause du système dans son ensemble.»
A partir de là, la référence “crisique” va continuer d’évoluer. On va voir des concepts nouveaux apparaître, notamment “chaîne crisique”, “temps crisique”, “dissolution crisique”, etc. On voit de plus en plus se développer l’idée que “la crise” devient un facteur de plus en plus structuré, de plus en plus paradoxalement stable, de plus en plus référentiel pour la situation du monde. Nous ne cessons de nous éloigner de la définition classique de la crise, jusqu’à envisager, ce qui est désormais notre conception générale, que les effets de la crise ne s’expriment plus par des paroxysmes explosifs et conflagrationnels externes, nécessairement très limités dans le temps, mais par une continuité dissolvante interne. Bien entendu, les premières victimes de cet “effet de crise” général sont d’une façon générale les pouvoirs politiques et tous les pouvoirs qui leur sont liés, c’est-à-dire, dans l’état actuel des choses, toutes les forces exécutives et en général “les élites” du Système, parce qu’elles se trouvent sous une pression constante que leurs activités même ne cessent de renforcer. Pour cette raison bien entendu, tout ce qui est crisique dans notre appréciation, est nécessairement vertueux parce que les circonstances imposent une fonction antiSystème absolument impérative. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect essentiel.
Ci-dessous, nous proposons plusieurs citations extraites de textes qui marquent l’évolution de notre réflexion sur le “facteur crisique”. On trouvera mélangés des facteurs présentant une dynamique crisique et d’autres présentant des élaborations conceptuelles.
• Le 24 février 2011, dans un texte marqué par la sollicitation pressante du “printemps arabe” commencé en décembre 2010, et bientôt identifié par nous comme la chaîne crisique par définition.
«Cet ensemble dynamique, avec le facteur nouveau de la chaîne crisique s’intégrant à la structure crisique, tout cela étant directement référencé à la crise du Système, conduit à une intégration générale. On observe une accélération du facteur crisique, conduisant comme on l’a déjà vu à une contraction du temps (caractère observé le 22 février 2011, à propos de la déclaration de l’amiral Mullen) ; le temps “contracté” devient une sorte de “temps crisique”. On observe effectivement une intégration générale tendant à s’unifier sous la forme de la crise générale du Système, selon des facteurs divers qui, tous, concourent à rendre ce “temps crisique” autonome, répondant à ses propres lois, à sa propre logique, à sa propre dynamique. […]
»Le résultat de cette évolution, – passant de l’étape “structure crisique”/“chaîne crisique” à l’étape “temps crisique”, – est l’entrée dans une phase où l’évolution générale, politique, sociale, culturelle, etc., de notre civilisation globalisée ne peut plus être définie que par une situation de crise. Il est et il sera de moins en moins possible de distinguer les crises selon leurs caractères sectoriels (crise financière, crise géopolitique, crise sociale, etc.), l’essence de la situation du monde se transformant en crise. La rapidité extraordinaire de cette évolution, et en accélération constante, est le facteur essentiel qui nous fait accepter cette sorte d’hypothèse. La vitesse même des choses permet de concevoir des idées comme celle de la contraction du temps, et la transformation de l’essence même de la situation du monde…»
• Le 21 novembre 2011, il s’agit de l’examen des effets du phénomène crisique en général, aussi bien structure crisique que chaîne crisique. Il s’agit d’une appréciation concernant le passage de la “conflagration crisique” à la “dissolution crisique”, c’est-à-dire cet élargissement considérable et cet approfondissement extrême des effets de la crise lorsqu’elle devient phénomène crisique, avec le passage de l’effet extérieur, disons atmosphérique, sensationnel mais de courte durée et de conséquences douteuses, à l’effet intérieur, disons souterrain, progressant silencieusement et sans limitation de durée. Cet effet “souterrain” est d’autant plus efficace qu’il est en général ignoré et peut se développer sans obstacle.
«Au début de cette analyse, nous écrivions, pour définir cette période des quelques semaines en cours, le terme “conflagration crisique”, “qui mélange les deux [structure crisique et chaîne crisique] en accélérant encore, si cela est possible, la contraction du temps et le rythme de l’Histoire”. Finalement, et passée cette revue de détail, l’expression est trop temporaire, trop transitoire ; essentiellement et paradoxalement, elle est trop explosive alors que ce n’est pas d’explosion dont il s’agit.
»Les crises qui se succèdent et s’empilent se manifestent effectivement, dans leurs poussées paroxystique, par un caractère explosif. C’est alors que l’on en prend conscience, pour un ou deux jours, ou disons une semaine au plus (ce “on” désignant la presse-Système et nos directions politiques). Mais l’essentiel est ailleurs ; il se trouve dans ceci que ces crises ayant explosé se poursuivent sur un mode plus mineur et s’installent, ou se renforcent quand elles existent depuis un certain temps, d’une façon structurelle. C’est alors qu’elles font sentir leurs conséquences les plus fondamentales, qui se résument en un effet essentiellement dissolvant, un peu à la façon de termites (voir notre “fable des termites et des conduites pourries”). Ainsi n’est-ce pas vraiment le sujet de la crise lui-même qui compte, ce sujet qui provoque l’explosion, les paroxysmes successifs, mais cet effet dissolvant général. Lorsque la situation n’est plus faite que de crises se juxtaposant et se renforçant les unes les autres, l’essentiel est alors l’addition et l’alimentation réciproque de ces effets dissolvants qui suscitent un courant général de dissolution minant le Système dans son entièreté. Peu importe le sujet de la dette, de l’Europe, du “printemps arabe”, qui sont des questions conjoncturelles ; l’essentiel est ce courant général de dissolution dont le sujet, lui, est la survie du Système dans son entièreté.
»Ainsi avions-nous une hypothèse bien précise à l’esprit et, pour cette raison, nous parlerons de “dissolution crisique” plutôt que de “conflagration crisique”. Il s’agit de l’hypothèse d’une dissolution par les crises, qui repousse paradoxalement au second plan l’aspect nécessairement explosif d’une crise. Les crises restent explosives, certes, mais ce sont leurs actions dissolvantes et les liens qui s’établissent entre elles au travers de cette action dissolvante similaire qui conduisent à un courant général de dissolution du Système qui s’inscrit absolument dans la dynamique d’autodestruction du Système. Ce phénomène est en train de détruire par dissolution, la structure de la modernité, en même temps que le Système lui-même, – en toute logique puisque l’une équivaut à l’autre.»
L’idée générale au départ de cette évolution de la réflexion porte donc, comme on l’a vu, sur le concept de crise, en en proposant une redéfinition complète. (Cette idée était déjà exprimée le 14 juin 2011 : «Notre époque a changé la définition de l’événement qu’est une “crise”, en allongeant indéfiniment un phénomène caractérisé initialement par sa brièveté, en l’“institutionnalisant” par la durée, en le structurant en une “structure crisique” qui caractérise la situation du monde.») Cette transformation ne pouvait rester sans effets collectifs dans l’organisation des événements, et l’on a vu effectivement plusieurs phénomènes collectifs apparaître, nous poussant à institutionnaliser la qualificatif “crisique”, désormais fondamental dans notre arsenal conceptuel. Notre appréciation est que nous sommes au terme de cette réorganisation des conditions d’évolution de notre contre-civilisation et du Système qui la domine, sous la forme de l’installation d’une “infrastructure crisique”, et que cette réorganisation s’est effectuée très rapidement, à partir de l’élément déstabilisateur fondamental qu’est la crise financière de l’automne 2008 jusqu’à la formulation, présente (printemps 2013) de notre hypothèse selon laquelle existe désormais ce que nous nommons une infrastructure crisique.
Nous allons maintenant développer l’observation, l’identification, la description, l’appréciation opérationnelle de ce concept à partir des considérations avancées dans le texte déjà référencé du 27 mars 2013. Il va de soi que ce concept d’infrastructure crisique implique que la crise n’est plus un “accident”, une “conjoncture”, un épiphénomène, quelque chose d’inhabituel dans la situation générale, mais qu’elle est devenue le contraire de tout cela en se constituant en infrastructure. Elle est devenue la “normalité” de la situation générale, tant dans le domaine extérieur des relations internationales que dans le domaine des situations intérieures des acteurs devenus figurants par leur incapacité à réagir. Nous sommes les spectateurs impuissants, – et intéressés, voire approbateurs pour certains, – de notre propre transformation crisique et nous-mêmes en venons à employer l’image de “dictature de la crise” (voir le 26 mars 2013).
Le constat de départ concerne la formation et l’évolution de ces crises depuis qu’on a présenté l’hypothèse d’un phénomène “crisique” spécifique. C’est effectivement cette description, qu’on retrouve dans le texte référencé… «Le premier constat que l’on peut faire est simplement un rappel de l’accumulation des crises, sans qu’aucune ne soit résolue, avec leur interpénétration et leurs connexions grandissantes, comme c’est la nature même puisqu’il y a accumulation, que les acteurs ou ceux qui les subissent sont les mêmes, les causes souvent similaires, les événements souvent à effets multiples, etc. Aucune de ces crises n’est autonome, ce qu’on a déjà vu avec les concepts de “structure crisique“ et de “chaîne crisique”. Cette accumulation s’accompagne d’une évolution de situation extrêmement caractéristique par son originalité dès lors qu’il s’agit de “crises”.
»Leur accumulation et leur interconnexion, surtout depuis quatre ans (depuis la crise d’automne 2008), avec la faiblesse grandissante des acteurs (sapiens-Système), font que ces crises stagnent de plus en plus, en devenant à la fois structurelles et de moins en moins volatiles, et elles provoquent elles-mêmes, chez les soi-disant acteurs-sapiens, stagnation et paralysie. Elles entrent dans la substance même des choses, des situations qu’elles affectent, en s’agglomérant entre elles dans une sorte de solidification de l’ensemble. Bien entendu comme l’on dit d’un événement évident et presque naturel, cet ensemble a fini par épouser l’ensemble du Système bien entendu, sa diversité et son ampleur finissant par embrasser à peu près l’entièreté du monde actif sous l’empire du Système, par conséquent la quasi-entièreté des domaines fondamentaux de la modernité.» (Sur ce dernier point achevant la citation, nous précisons que cette idée de “solidification,” implique l’immobilité de la paralysie touchant l’essence même de la modernité.)
Ce terme de “solidification” des crises est important, presque dans un sens physique, mais aussi bien entendu dans un sens infrastructurel. On pourrait avancer qu’en termes politiques aucune de ces crises n’est insoluble, c’est-à-dire qu’à peu près toutes sont “solubles”. Nous employons à dessein ce qualificatif, qui est d’ailleurs correct, pour le manifester dans ses deux sens. Toutes ces crises sont solubles, c’est-à-dire qu’elles peuvent être résolues (entendement logique et classique) ; c’est-à-dire aussi qu’elles peuvent être physiquement dissoutes, comme le sont certaines matières organiques, chimiques, etc. Mais on constate au contraire, et là est le point essentiel de la dynamique à l’œuvre, qu’elles sont devenues insolubles dans le double sens du qualificatif là aussi. Ainsi comprend-on qu’on donne un double sens au mot “solidification” : le Système étant lui-même devenu crisique (essentiellement parce qu’il est en dynamique d’autodestruction), mais disposant toujours de sa surpuissance (présente dans l’équation surpuissance-autodestruction), il agit sur les crises dans le sens d’une solidification de ces crises par la pression qu’il exerce sur elles, et bientôt cette solidification devenue infrastructure. Ainsi les crises ne sont-elles plus solubles : elles ne peuvent plus être résolues, elles ne peuvent plus être dissoutes, elles sont désormais enfermées dans une infrastructure comme on l’est dans une forteresse à sens unique, où l’on pourrait entrer mais n’en jamais sortir. (Chaque événement se transforme en crise insoluble, entre dans l’infrastructure crisique, se solidifie et pérennise son insolubilité.)… Il y a là-dedans, dans cette situation qu’on croirait exclusivement politique, donc humaine, malléable, etc., la substance même de la matière, cela venu du déchaînement de la Matière. L’organisation en crise est le produit du Système qui est lui-même, originellement (déchaînement de la Matière), matière pure. Sa propre crise, qui est la marque de son autodestruction, se perpétue dans ces crises que nous connaissons, qui s’avèrent insolubles comme pourrait l’être à l’extrême et en théorie une situation politique, mais comme le sont certainement certaines matières. Le terme “solidification” concerne effectivement l’idée de matière, et pratiquement pas la description politique du phénomène qui n’est insoluble que dans des cas théoriques extrêmes pratiquement introuvables. De ce point de vue qui se réfère au choc initial du déchaînement de la Matière, la situation de solidification des crises en une infrastructure crisique reflète le caractère insoluble de la dynamique d’autodestruction du Système.
Nous avons indiqué également que le choix de l’expression (“infrastructure crisique”) venait de notre volonté d’indiquer que, malgré la puissance du phénomène, son effet venait d’“en-dessous”, mais le terme pris non comme une situation d’infériorité mais comme une situation indiquant l’orientation déstructurante et dissolvante. La logique fait comprendre cette évolution, dans la mesure où l’infrastructure crisique est à la fois une production du Système et un ajustement parfait au Système lui-même. L’infrastructure crisique ne peut être que déstructurante (mais cette étape est déjà pratiquement accomplie) et dissolvante, et elle l’est du Système exclusivement puisque le Système est arrivé à une situation totalitaire du monde. Une fois de plus, la formule surpuissance-autodestruction est rencontrée : l’infrastructure crisique imposée par la surpuissance et l’équation offensive déstructuration-dissolution-entropisation du Système, retourne tout cela contre le Système qui représente le Tout de notre situation, dans un processus manifeste d’autodestruction.
L’idée du “renversement du sens” que nous signalions dans le texte référencé du 27 mars 2013 constitue l’aspect opérationnel de cette situation…
«La caractéristique principale de la situation d’infrastructure crisique, par rapport à ce qui a précédé, par exemple la “structure crisique”, c’est un renversement du sens des influences… […]
»Le renversement s’effectue en ceci que ce sont les crises elles-mêmes qui deviennent les inspiratrices et les moteurs des politiques. Auparavant, les politiques existaient avant les crises, elles engendraient les crises, elles pouvaient être contrariées, bloquées, etc., par les crises, mais elles restaient les forces dominantes, ou dans tous les cas déterminantes de la situation. Aujourd’hui, les crises occupent cette position. Ainsi parle-t-on d’une infrastructure crisique, exactement comme l’on parle d’une infrastructure routière ou ferroviaire, c’est-à-dire un cadre contraint, absolument impératif, auquel on doit se prêter, dont on ne peut dépasser les limites, qui impose lui-même les conditions de déplacement, etc., – bref qui règne…
»C’est aussi dire que l’un ou l’autre acteur, une politique ou l’autre, peuvent échapper temporairement ou conjoncturellement à une crise ou l’autre, mais, à notre sens, ils se retrouvent rapidement obligés de regagner ce cadre, ou bien ils se trouvent plongés, à cause de l'intervention des crises, dans des situations absolument inattendues, imprévues, et souvent très dangereuses. Ainsi ce renversement du sens des influences implique-t-il également une transmutation du sens tout court. La politique ne peut plus être ce qu’elle prétend être, parce qu’elle est devenue la chose de l’infrastructure crisique, elle est passée complètement “sous influence”…»
Cette circonstance est parfaitement compréhensible dès lors qu’on admet l’idée impliquée par le concept d’infrastructure crisique. A la réflexion cette idée de la question du sens a une importance capitale. En effet, les politiques que nous décrivons comme étant devenues impuissantes à susciter ou à résoudre des crises, parce que les crises existent avant elles et sont elles-mêmes sources d’influences, ces politiques sont aujourd’hui, nécessairement enfantées par le flux général de la politique-Système. L’influence qu’elles subissent des crises intégrées dans une infrastructure crisique est en général, par la dynamique même du sens de l’influence, antagoniste de la direction que doivent suivre ces politiques. D’une certaine façon, la crise institutionnalisée, devenue structurelle, puis intégrée et amalgamée dans une infrastructure crisique, agit contre des politiques dont le but (sous l’influence de la politique-Système) devrait être de provoquer de nouvelles crises, ou explosions crisiques déstructurantes. Si l’on veut des exemples “opérationnels”, on a celui de la “mère de toutes les crises” se constituant effectivement en infrastructure crisique, qui est la crise iranienne : c’est la crise iranienne structurelle, qui dure depuis 2005, qui empêcherait le déclenchement d’une “explosion crisique déstructurante” (l’attaque de l’Iran). En figurant comme la préfiguration, l’enjeu et le cadre obligé de cette “explosion crisique“, elle alerte tous les acteurs, oblige à mesurer l’enjeu, à prévoir les effets les plus catastrophiques de l’explosion, etc., et agit finalement comme un frein sinon un obstacle infranchissable pour l’“explosion crisique”. La même chose peut être dite de la crise syrienne, devenue “guerre syrienne” sans fin, paralysante, stagnante, etc.
De ce point de vue, on observe que le changement de sens, l’infrastructure crisique influant la politique ayant remplacé la politique créant des crises, a évidemment une dimension vertueuse évidente. Les positions spatiales déterminent d’ailleurs elles-mêmes cette occurrence. L’infrastructure crisique se situe, comme toute infrastructure, en-dessous, comme on l’a vu, et l’influence qu’elle exerce vers les politiques (au-dessus d’elle) va nécessairement vers le haut, ce qui est un indice certain de cette vertu. Ainsi du paradoxe mille fois recommencé avec le Système, et son équation, surpuissance-autodestruction : les crises, donc l’infrastructure crisique à terme, nées évidemment de l’impulsion surpuissante de la politique-Système, se constituent en forces littéralement antiSystème en interférant gravement sur la politique-Système que sont toutes les politiques prises dans les rets de cette infrastructure.
Dans le texte référencé, nous parlions de “la crise comme essence de la situation du monde”, ce qui nous apparaissait comme un constat objectif et indiscutable. Nous décrivions le comportement des directions politiques et des élites se référant constamment à ces situations crisiques comme le signe de cette “situation” :
«Le fait principal est qu’ils se soumettent tous à la crise européenne qui est devenue, d’une façon complètement paradoxale mais qui se comprend pour ces psychologies énervées d’épuisement de nos directions politiques, le seul socle de stabilité possible, la seule référence on dirait presque “structurante” envisageable. Cette étrange identification totalement invertie constitue sans le moindre doute la reconnaissance que la crise est désormais une infrastructure crisique, et comme toute infrastructure elle est à la fois “socle de stabilité” et “seule référence… envisageable”.» Et cette situation peut aller jusqu’à la plus complète confusion dans l’identification de la crise : «[…P]arce que la crise est partout, qu’elle peut ressurgir à tout moment là où ne l’attend pas, et d’ailleurs parce qu’on ne sait plus de quelle crise il s’agit (“Whichever crisis we are talking about, it is far from over”, dit Melvyn King).» (Melvyn King, directeur de la Bank of England, banque centrale britannique.)
Nous voulons ici renverser ce constat (sans nier sa pertinence) et observer que “la crise comme essence de la situation du monde”, fait effectivement objectif, renvoie, pour les directions politiques et les élites, au constat de “la crise comme essence de [leur] perception du monde”. A ce point, la chronologie des relations entre ces deux constats reste une observation ouverte, que nous développerons plus loin : est-ce la “crise comme essence de la situation du monde” qui conduit à leur perception de la crise comme “essence de la situation du monde” ? Ou bien est-ce leur perception de la “crise comme essence de la situation du monde” qui conduit à l’établissement de “la crise comme essence de la situation du monde” ?
Le processus de destruction et le délabrement de la psychologie des directions et des élites inféodées au Système est tel que leur perception est, sans la moindre réalisation consciente, totalement prisonnière de la situation de crise, permanente, rampante et paralysante, infrastructurelle, etc. Les psychologies ne peuvent percevoir autre chose dans la situation du monde que les effets émollients et paralysants de cette “situation de crise, permanente, rampante et paralysante, infrastructurelle, etc.”, sans pourtant identifier cette situation. (En effet, en parlant de “perception”, nous parlons d’un processus psychologique non-conscient, ce qui implique que toutes les personnes concernées ne peuvent accueillir que passivement, hors de toute possibilité critique puisque nécessairement sans en identifier la cause, cette perception que la psychologie produit pour elles comme aliment de leur raison elle-même subvertie par leur dépendance totale du Système.)
Cela conduit ces acteurs devenus figurants, et figurants totalement terrorisés par cette perception incompréhensible pour eux, à se référer constamment comme issue de la situation crisique, à la seule référence dont ils disposent, qui est la situation crisique dont ils assurent la soi-disant “gestion” sans en comprendre la vraie nature, parce que la situation crisique est pour eux le “seul socle de stabilité possible, la seule référence on dirait presque ‘structurante’ envisageable”. (Cette remarque portant notamment sur des crises sectorielles, à la façon fractionnée et cloisonnée que ces élites perçoivent la situation, ce qui est un facteur aggravant de plus puisqu’il leur interdit de mesurer l’ampleur générale de la crise d’effondrement du Système.) Nourrie par cette psychologie dont la perception est ainsi inconsciemment emprisonnée aux crises, autant pour le constat des crises que pour une soi-disant solution des crises, la raison subvertie de ces divers sapiens tente désespérément de faire de ces crises une situation politique opportune pour la résolution d’elles-mêmes. L’emprisonnement se trouve donc au niveau de la perception de la psychologie, au niveau de la rationalisation perverse de cette psychologie, au niveau de l’action également perverse qui s’ensuit qui est de lutter contre ce qu’ils perçoivent de la situation crisique avec les éléments qui favorisent cette situation crisique. Littéralement, ces pseudo-“pompiers” ne cessent d’asperger l’incendie avec un carburant à très haut degré d’octane et particulièrement inflammable.
Ainsi l’idée de la crise générale, permanente, de la crise transformée en infrastructure crisique, tout cela comme opérationnalité de la crise d’effondrement du Système (ou “crise haute” selon le point de vue métaphysique), est-elle pour nous, non plus une hypothèse, mais un constat et un fait. Quoi qu’il en soit de la réalité, la vérité du monde est que le “facteur crisique” domine tout et règle tout, et qu’il s’est substantivé logiquement et opérationnellement en une infrastructure crisique.
A ce point, on peut alors aborder la question laissée ouverte plus haut à l’occasion d’un cas spécifique : “A ce point, la chronologie des relations entre ces deux constats reste une observation ouverte, que nous développerons plus loin : est-ce la ‘crise comme essence de la situation du monde’ qui conduit à leur perception de crise comme ‘essence de la situation du monde’ ? Ou bien est-ce leur perception de la ‘crise comme essence de la situation du monde’ qui conduit à l’établissement de ‘la crise comme essence de la situation du monde’?” En d’autres mots, voici la question qui est finalement essentielle puisqu’elle ouvre le domaine d’exploration de la cause : qui est responsable de cette évolution vers la généralisation totale du facteur crisique ? Le pouvoir politique ? Le Système ? Ou bien, hypothèse suprême qui nous permet de quitter le “cosmos” hermétique du Système, des “forces supérieures” ?
Ces questions diverses dont on perçoit évidemment l’importance, sont d’autant plus importantes qu’on comprend aisément que le “facteur crisique”, parfaitement réalisé dans l’“infrastructure crisique”, est sans aucun doute, si l’on emploie une image, l’arme institutionnalisée la plus antiSystème qu’on puisse imaginer. Le facteur crisique paralyse tout, emprisonne tout, interdit toute réforme “créatrice”, toute initiative autonome, etc., qui pourraient stabiliser sinon renforcer la dynamique désormais en constante dégradation produite par le Système, dynamique qui est, conformément au but du Système, objectivement déstructurante, dissolvante et à finalité d’entropisation de la situation du monde. (Il s’agit bien d’un affrontement entre deux processus de destruction, processus de destruction de la situation du monde par le Système, processus de destruction du Système par la force antiSystème opérationnalisant la dynamique d’autodestruction du Système.) Le facteur crisique jusqu’à l’infrastructure crisique constitue donc une formidable opérationnalisation de la dynamique d’autodestruction du Système, – au point qu’on peut avancer l’hypothèse qu’il est la transcription opérationnelle absolue dans la situation du monde de la dynamique d’autodestruction du Système. Cette formidable puissance antiSystème peut également alimenter l’hypothèse que le facteur crisique s’est détaché du “cosmos” hermétique du Système.
L’efficacité de cette fonction opérationnelle absolue du facteur crisique est d’autant plus grande qu’elle tend vers une situation de type amorphe, dans le chef de crises perdant tout dynamisme et se constituant en une infrastructure quasiment immobile. Cela implique que son “travail” d’opérationnalisation de la dynamique d’autodestruction du Système est souterrain, passif, par le fait même d’être et qu’on croirait presque immobile (“sans forme”), aboutissant à une opérationnalité du type définie par notre image des termites (voir Glossaire.dde du 10 avril 2013). («En ce sens, on peut aussi bien figurer l’infrastructure crisique comme un trou noir silencieux qui siphonne les politiques, les situations, les cohésions internes du Système et ainsi de suite. Ce “trou noir”, naturellement, est objectivement vertueux.»)
Le dernier élément concerne le constat que, face à cette situation, et d’ailleurs pour les raisons diverses signalées tout au long de ce travail, le facteur du pouvoir politique et des élites inféodées au Système a perdu à la fois ses références internes et sa capacité d’adaptation externe, qu’il est donc incapable de trouver des références nouvelles pour combler ce vide. Le “pouvoir politique” s’est révélé comme une matière invertébrée et sans substance, dépendant totalement des seules références extérieures imposées par le Système et mettant en lumière sa perte complète d'autonomie créatrice. Ce dernier point, à la lumière de ce qui suit, suggère une réponse partielle à la question ci-dessus ... “Qui est responsable de cette évolution vers la généralisation totale du facteur crisique ?” Certainement pas “le pouvoir politique”, c’est-à-dire le facteur humain impliqué dans cette problématique. Il est trop faible, trop inexistant, trop amorphique dans son instructure invertébrée.
Peut-on parler effectivement de “kosmos crisique”, expression que nous avons déjà utilisée (le 27 mars 2013), comme d’un concept symbolique s’instituant en concept métaphysique ? Dans le texte référencé, nous présentions cette idée de cette façon :
«Nous allons prendre quelques exemples de la situation actuelle, que nous interpréterons, pour introduire des données expérimentales et hypothétiques à partir desquelles nous estimons qu’on peut parler d’un nouveau concept pour caractériser notre situation. Ensuite, nous donnerons notre appréciation de ce qu’est, selon nous, l’“infrastructure crisique” qui constituerait désormais, outre d’être le caractère et le moteur de la situation générale, le cadre actif, le contexte impératif, le véritable kosmos de notre situation (au sens que lui donnaient les Grecs d’univers clos en soi, d’entité), – ce qu’on pourrait désigner après tout comme notre “kosmos crisique”.»
Sans aucun doute, le concept de “kosmos crisique” nous semble acceptable pour conduire à son terme l’exploration de notre “facteur crisique”, à condition de pousser cette exploration au-delà de la définition ci-dessus qui ne peut être qu’une base de départ. Il importe à cet égard de suivre la puissance du contenu, en d’autres mots de nous laisser guider par la puissante logique interne du mot et de la langue. L’idée du “kosmos crisique” enchaîne en effet directement sur l’idée d’une hypothèse que nous dirions “cosmique-crisique”, ou de la dimension cosmique de notre monde présentement, qui serait également et nécessairement une dimension crisique. Dans ce cas, l’élément “infrastructure crisique” qui est le dernier stade du processus normal d’extension du facteur crisique, se trouve haussé à un niveau supérieur (cosmique) qui englobe toutes les activités possibles ; tout en restant dans sa situation infrastructurelle, l’élément “infrastructure crisique” s’étend dans toutes les dimensions, y compris les dimensions métahistoriques, achevant d’englober complètement le Système, à partir de l’intérieur de lui-même dont l’infrastructure crisique est devenue un élément-clef. C’est la situation de “l’ennemi est dans la place”.
Cette hypothèse dont les références métaphysiques sont évidentes et absolument nécessaires, implique que la structure générale de notre univers, la “normalité” de notre univers est devenue crisique en perçant l’hermétisme du Système, cela s’avérant le seul moyen mais aussi le moyen idéal et inégalable de contrecarrer l’expansion du Système, de la briser, de la retourner contre elle-même. Cette “normalité crisique” s’avérant, au contraire de l’activité crisique normale, comme une paralysie générale dans des situations insolubles, le cadre d’évolution de la dynamique de surpuissance du Système, déstructurante et dissolvante, se trouve paralysé et encalminé dans cette paralysie générale, à la fois solidification et fixité d’une situation de crise générale immobile et par conséquent non soluble. Le résultat est l’enfermement du Système dans son activité déstructurante et dissolvante qui ne s’exerce plus que contre le seul élément mobile possible, qui est le Système lui-même justement. On utilisera, pour illustrer ce propos, l’image du scorpion qui se pique lui-même et se suicide, parce que cette image représente bien l’autodestruction, mais aussi l’autodestruction selon un mouvement d’enroulement sur soi-même, comme la queue du scorpion terminée par le dard se replie en un mouvement arrondi jusqu’à la tête de l’animal... Il s’agirait de la formule décisive transformant la surpuissance du Système en autodestruction.
Il ne fait en effet guère de doute pour nous, selon cette démarche intellectuelle que nous poussons au terme de sa logique, que cette expansion du facteur crisique est une dynamique animée par des forces extérieures pour créer des conditions irrésistibles pour permettre l’acte concret d’autodestruction du Système, c’est-à-dire opérationnaliser cette tendance fondamentale du Système qui passe de la surpuissance à l’autodestruction, en utilisant cette surpuissance pour animer son autodestruction. C’est dire l’importance du facteur crisique dans notre dispositif : même si ce facteur crisique n’est pas une explication métaphysique conceptualisée de l’autodestruction du Système, il en est le moyen cosmique fondamental et, comme tel, contient des éléments essentiels de cette explication.