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251703 août 2017 – Cela est déjà arrivé à l’une ou l’autre reprise, mais cela prend dans cette occurrence une importance exceptionnelle parce que l’évènement intervenu il y a une semaine (vote des sanctions par le Congrès US) est lui-même exceptionnel. Les commentaires sur cet événement du 27 juillet du Premier ministre russe Medvedev (sur sa page Facebook), représentant l’aile “libérale” et “occidentaliste” du gouvernement russe (surtout forte dans le domaine financier du gouvernement), représentent sans aucun doute la plus ferme, la plus catégorique, la plus détaillée dans sa dureté de toutes les réactions russes officielles.
C’est cela qui justifie notre “cela est déjà arrivé” : une fois ou l’autre, une réaction de Medvedev à un événement venu des USA s’est avérée la plus dure de la direction russe, alors que le Premier ministre est le chef de l’aile “libérale“, en principe la plus proche des thèses américanistes occidentalistes. Il nous semble que c’est là un procédé de la direction russe, lorsque les circonstances sont graves. Cela signifie, à notre estime, que Medvedev n’a pas écrit sans se coordonner avec le président Poutine. La tactique est, dans ce cas, d’utiliser la “vertu” (du point de vue occidental) d’une position traditionnellement plus proche des conceptions occidentalistes-américanistes pour rendre plus compréhensible et plus catégorique le véritable jugement de la direction russe sur l’événement. Le plus conciliant (du point de vue du bloc-BAO) des dirigeants russes ne peut être soupçonné de “maximalisme”, et par conséquent l’on peut ainsi mesurer la réelle profondeur du sentiment de rupture que ressent la direction russe après le vote du Congrès. (Respectant les formes, Medvedev a attendu la signature du président Trump, qui confirme la loi votée par le Congrès, pour diffuser cette réaction. La réaction de Medvedev n’en est que plus solennelle, plus tranchante et elle apparaît ainsi sans appel.)
Il n’empêche que, dans cette circonstance capitale, Medvedev reste ce qu’il est, le chef de l’aile libérale pro-occidentaliste de la direction. Dans ce cas, c’est toute cette tendance qu’il entraîne avec lui et dont il exprime la réaction dans des termes d’une vigueur extraordinaire.
Nous donnons ci-dessous ce texte assez détaillé. Nous l’avons traduit à partir de l’anglais, lui-même traduit certainement avec attention par les services de Medvedev à partir du russe initial ; par contre, la traduction française présentée sur cette même page Facebook de Medvedev est manifestement directement issue du traducteur Google avec son charabia habituel, plein d’imperfections grossières, de fautes de forme et de style, et surtout de faux-sens et de contre-sens. Un texte de cette importance mérite un autre traitement et puisqu’il y a une version française, elle doit être traitée avec attention... Voici donc notre version :
« La signature de la loi sur les nouvelles sanctions contre la Russie par le président US conduit à plusieurs conséquences, [trois principalement]. La première est qu’il faut abandonner tout espoir de quelque amélioration que ce soit de nos relations avec la nouvelle administration ; la deuxième, que les USA viennent de déclarer une guerre économique totale contre la Russie ; la troisième, que l’administration Trump a montré qu’elle se trouvait pratiquement privée de tout pouvoir, et qu’elle transférait de la plus humiliante des façons le pouvoir exécutif au Congrès. Il s’agit d’un bouleversement dans le rangement des forces dans les élites politiques US.
» Qu’est-ce que cela signifie pour les USA ? L’establishment washingtonien a complètement mis hors-jeu le président Trump. Le président n’est pas satisfait de ces nouvelles sanctions, mais il ne pouvait faire autrement que les confirmer en signant la nouvelle loi. Le but de ce des nouvelles sanctions était de mettre Trump à sa vraie place [de complète impuissance]. Le but ultime est d’éliminer Trump du pouvoir. Cet acteur incompétent doit être écarté. En même temps, les intérêts du business américain ont été ignorés. La [bataille] politique a pris le pas sur l’approche pragmatique. L’hystérie antirusse est apparue comme étant devenue un facteur essentiel, non seulement de la politique extérieure (comme ce fut souvent le cas) mais aussi le politique intérieure US (c’est nouveau).
» Les sanctions qui sont désormais devenus un facteur structurel de la loi dureront pour des décennies, à moins qu’un miracle ne se produise. Elles ont plus de forces de contrainte que l’amendement Jackson-Vanik [des années 1970], parce qu’elles ne prévoient aucune dérogation et ne peuvent être postposées par un ordre spécial du président sans l’accord du Congrès. Par conséquent, les relations entre la Fédération de Russie et les États-Unis deviendront extrêmement tendues [d’une façon structurelle], quelles que soient la composition du Congrès et la personne du président. Les relations entre les deux pays ne pourront être ajustées et aménagées par des organismes internationaux et des cours de justice internationales, conduisant ainsi à des tensions internationales accrues et le refus de résoudre les problèmes internationaux majeurs.
» Qu’est-ce que cela signifie pour la Russie ? Nous continuerons à travailler pour le développent des sphères économiques et sociales, nous nous arrangerons pour trouver des substituts aux importations, nous accomplirons les tâches principales de l’État, tout cela en comptant essentiellement sur nous-mêmes. Nous avons commencé à apprendre à le faire durant les dernières années. Dans la plupart des marchés financiers, les investisseurs et les créditeurs étrangers craindront d’intervenir en Russie à cause de la possibilité de sanctions contre d’autres acteurs et d’autres pays. D’une certaine façon, cela nous bénéficiera bien que les sanctions soient, – en général, – dénuées de sens. Nous nous en arrangerons. »
Dans la circonstance, les autres réactions de la direction russe apparaissent bien ternes ; mais, dans ce cas, Poutine et Lavrov font toujours de la tactique, en assortissant leur jugement de “loi inacceptable” des ouvertures constructives habituelles (“mais nous sommes toujours prêts à négocier”, bla bla bla). Dans les circonstances, Medvedev est celui qui est chargé de manifester la position stratégique de la Russie, appuyée sur les mesures de saisie de domaines officiels US en Russie et d’expulsion des diplomates US (plus de 700, pour qu’il en reste 455, autant que de diplomates russes aux USA, – où l’on voit que l’invasion de la Russie avait déjà commencé...). Encore faut-il prendre en compte ceci que ces mesures répondent à celles d’Obama à la fin 2016, et elles sont exactement correspondantes. Il faudra voir comment les Russes réagiront lorsque les mesures décidées par le Congrès entreront en application.
(Au bout du compte, c’est un test fondamental pour Poutine. Les voix sont de plus en plus nombreuses qui critiquent son manque de fermeté dans ses réactions vis-à-vis des USA. [Voir John Helmer, le 30 juillet 2017]. Le temps est très proche, où les réactions à-la-Medvedev ne suffiront plus. C’est un défi considérable pour le président Poutine, et la variable la plus fondamentale pour les élections présidentielles de l’année prochaine, y compris pour sa propre décision de se représenter ou pas dont il assure qu’il ne l’a pas encore prise.)
On notera par ailleurs, hors du cas russe, que l’idée d’une “guerre économique” est également et très fortement dans l’esprit des Européens, du fait des conséquences indirectes pour eux des sanctions votées par le Congrès, – que certains jugent d’ailleurs comme étant le but principal de la décision. Les déclarations ne manquent pas à cet égard, mesurant la force du choc essuyé par l'Europe. Empruntons une partie de l’interview du professeur à l’INELCO Bruno Drweski, par RT-France, le 2 août 2017, – lequel ne cache pas, à côté du constat de guerre économique, la difficulté actuelle à tenter de comprendre la cohérence “de la scène intérieure américaine”, – laquelle, effectivement, ressemble plus à du Beckett qu’à du Corneille...
RT France : « De nouvelles sanctions anti-russes ont été adoptées par le Congrès américain. Selon Mike Pence, Donald Trump devrait bientôt les signer. Quel est leur objectif ? »
Bruno Drweski : « Il est possible que ces sanctions soient tout simplement le résultat d’une politique américaine cherchant à renforcer la position des Etats-Unis en Europe. Et ce à un moment où la Russie est un contrepoids à leur domination mondiale, mais aussi à un moment où l’Union européenne, et en particulier l’Allemagne, montre de plus en plus de tentations “indépendantistes” en politique étrangère. Si on se rappelle les déclarations de Donald Trump pendant la campagne électorale et ce qu'il en est aujourd'hui, on peut penser qu’il y a des forces opposées en action au sein des cercles dirigeants américains. Je n’exclurais pas l'hypothèse selon laquelle Donald Trump accepte ces mesures pour essayer d’affaiblir le camp de ceux qui le présentent comme “un agent des Russes“. Il est très difficile de décrypter la scène intérieure américaine, tant on a de signaux contradictoires émanant des rapports de forces à Washington. »
RT France : « Le caractère extraterritorial des sanctions américaines a été dénoncé par des dirigeants à Bruxelles, Berlin, Paris... Elles vont avoir une influence sur l’économie européenne et en particulier sur le secteur énergétique. L'Union européenne évoque déjà des contre-sanctions. Pensez-vous que cela soit possible ? »
Bruno Drweski : « Nous sommes là face à une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe, en particulier l’Allemagne. Cette guerre économique dure depuis très longtemps. Jusqu’à présent, les pays européens avaient finalement accepté, à chaque fois, de se soumettre aux exigences de leur protecteur d’Outre-Atlantique. Aujourd’hui, on voit que la situation évolue, que le rapport de forces internationales évolue. Les pays qui, comme l’Allemagne, faisaient profil bas, semblent être de plus en plus décidés à défendre leurs propres intérêts. Il est évident que l’Europe a tout intérêt à une coopération économique avec la Russie, qui est son voisin direct et fournisseur en gaz, qu'à se raccrocher à une économie américaine dont les intérêts sont contradictoires avec ceux, bien compris, de l’Europe. »
En fait, Beckett apparaît extrêmement cohérent à côté du théâtre washingtonien mis à scène par “D.C.-la-folle” ; lui, au moins, il attend Godot, tandis que “D.C.-la-folle” n’attend plus personne, puisque se suffisant amplement à elle-même pour organiser furieusement l’absurdité nihiliste qui l’habite et la hante. Si “la scène intérieure américaine” est difficile à décrypter par la raison, nous nous sommes faits, nous, notre religion avec l’observation que les événements ne cessent de confirmer, que tout ce qui meut la capitale de l’Empire-fou n’est rien d’autre aujourd’hui, essentiellement, que la passion, – et la principale d’entre elles, la haine qui aveugle ceux qu’elle touche.
Que là-dessus, on vienne greffer sur une décision follement prise des arguments de guerre économique, d’avantages unilatéraux, etc., pourquoi pas, et cela est même très souvent juste ; mais pour nous encore une fois, pour l'aspect essentiel que nous abordons ici, cela n’est qu’arguments secondaires, comme l’on dit que l’“on prend le train en marche”. Au départ, il y a bien la haine, et le vote du Congrès a d’abord pour objectif d’anéantir le président Trump. Nous sommes loin, très loin de penser que cela est fait, ce qui implique que la pièce est loin d’être finie comme si l’on attendait toujours Godot...
(Sur ce point, nous ne partageons pas l’analyse de Medvedev : « ...[L]a troisième, que l’administration Trump a montré qu’elle se trouvait pratiquement privée de tout pouvoir, et qu’elle transférait de la plus humiliante des façons le pouvoir exécutif au Congrès. » A notre sens, on n’a pas fini de voir Trump à la manœuvre ; d’abord sur la loi qui a été votée par le Congrès et qu’il a lui-même signée en émettant des réserves, sur la constitutionnalité de laquelle planchent les conseils juridiques du président avec l’idée esquissée ici et là désormais avec insistance qu’elle [la loi] pourrait être renvoyée à la Cour Suprême justement sur la question de sa constitutionnalité. D’autre part, on peut faire une certaine confiance à Trump pour prendre des initiatives, faire monter la tension avec le Congrès, etc. S’il est extrêmement difficile à un président de gouverner avec un Congrès qui lui est hostile, il est encore infiniment plus difficile à un Congrès bigarré et parcouru par une haine qui va dans tous les sens de gouverner avec un président hostile... Enfin, il y a d’innombrables enquêtes et polémiques en cours, – Russiagate, les frasques du DNC, emailgate d’Hillary, etc., – qui ont été lancées en théorie bruyante de la presse antiSystème pour arriver à la destitution du président mais dans lesquelles, contrairement au cas du Watergate, les accusateurs, notamment les démocrates, traînent un nombre considérable de bruyantes casseroles.)
Par contre, c’est sur un effet fondamental de cette situation que nous voulons insister, parce qu’il est mis en évidence par la réaction extraordinaire de virulence de Medvedev qui ouvre ce Faits & Commentaires. Que voit-on dans ce cas ? Le plus libéral, le plus pro-occidental dans la direction politique russe, employant un langage furieux de résistance sans merci face à ce qui est absolument jugé comme une agression des USA... Et une agression de qui, aux USA ? Du Congrès attaquant le président Trump, c’est-à-dire de cette partie de l’establishment dont tous les gens de bonne compagnie dans le bloc-BAO et chez les quelques libéraux russes (dont Medvedev) attendaient qu’elle se levât contre la politique America First et protectionniste du président Trump, et cette attaque du Congrès décidant des mesures catastrophiques qui ne peuvent être cataloguées, hors de toute passion, que comme des mesures type-America First et protectionnistes.
Tout le monde s’interroge (Ron Paul, Diana Johnstone) : “Mais savent-ils donc ce qu’ils sont en train de faire” ? Et la réponse est non, mille fois non, – et d’ailleurs, ils s’en foutent puisque seule la passion les guide au-delà de leur corruption et de leur inculture. Le résultat extraordinaire qui est train de s’établir est exactement une caricature sarcastique de ce que l’on craignait, et particulièrement dans le “parti des globalistes” bien sûr, avec l’arrivée de Trump.
Trump au pouvoir, c’était, disons pour faire court “les souverainistes-populistes” au pouvoir contre les “globalistes” (le reste de l’establishment-D.C. dont le Congrès, l’UE, les quelques libéraux russes type-Medvedev, etc., pour ne parler que des protagonistes qui nous intéressent) ; et qu’obtient-on ? Une fracture considérable qui est en train d’ébranler le parti des “globalistes”, entre d’une part “D.C.-la-folle” qui joue à l’America-Firster pour avoir la tête du prétendument plus America-Firster de tous (Trump), et d’autre part les autres “globalistes” (UE, Medvedev), qui en seraient presque à en appeler à Trump, à l’exhorter à résister, pour qu’il stoppe le carnage extraordinaire en train d’être effectué par le Congrès.
Le constat est donc une fois de plus celui de l’effritement, de la dissolution, de la déconstruction du Système, – puisque les “globalistes” en sont une des représentations opérationnelles, – et par aucune autre action que celle de lui-même. Une fois de plus, l’équation surpuissance-autodestruction se trouve rencontrée, confortée, renforcée : le Système ne peut être vaincu que par ses propres outrances, ses propres contradictions, ses propres haines intérieures. Les antiSystème, – il y en a de toutes les catégories, et jusqu’à Trump dans nombre de cas, quoiqu’on puisse penser de lui, – ne sont là que pour exciter la Bête-immonde, exactement comme le torero agite sa muleta devant le taureau. Mais nul besoin, ni d’une épée, ni de l’estocade finale : le Système se suffit à lui-même dans tous les aspects de son destin, y compris son terme.
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