Face à la crise systémique, le conformisme systémique imposé par le virtualisme

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La vigueur initiale de la campagne présidentielle US s’abîme de façon régulière dans une confusion partisane. Du côté démocrate, c’est un affrontement fratricide entre Clinton et Obama, qui porte essentiellement sur des sujets de polémique évitant systématiquement la substance des problèmes innombrables qui affectent les USA. Du côté républicain, McCain navigue à partir de positions personnelles qui sont suspectées par une partie importante de l’électorat républicain, pour tenter de rassembler cet électorat, selon des programmes fourre-tout où l'extrémisme conformiste de sécurité nationale côtoie l'alignement également conformiste sur les lignes classiques du parti.

Un point d’une particulière importance, dont nous avons tous les jours l’écho bruyant, est bien sûr la crise qui secoue le système, tant financière qu’économique. La position des trois candidats a été pendant longtemps et d'une façon stupéfiante d’ignorer cette crise, avant de prendre position d’une façon contrainte, sans dégager aucune perspective novatrice. Le 24 mars, dans le Financial Times, Clive Crook avait fustigé ce silence étourdissant de la campagne présidentielle.

«The separation of presidential politics from the troubles assailing the US economy is now verging on the surreal. With banks collapsing, the dollar reeling, the Federal Reserve making up new rules as it goes and observers discussing a new Great Depression, the presidential candidates are still on scripts they wrote a year ago. The main problem is either the North American Free Trade Agreement (Barack Obama and Hillary Clinton) or high taxes and excessive regulation (John McCain). If delivery from this ordeal depended on any of the contenders saying something intelligent about it, prudence would require that the entire country be written down to a nominal sum.

»What makes this even odder is that the Democrats, at least, continue to hammer away at economic anxiety. The squeeze on “middle-class families” gives them an edge against the Republicans in November, they calculate. But they were saying this last year, and the year before – when unemployment was not rising, the economy looked pretty healthy and most Americans still did not know the difference between an SIV and a CDO. The themes are trade and jobs, shuttered factories, stagnant incomes, unlevel playing fields and labour and environmental standards. As for the complete breakdown of the credit system and the danger of a years-long Japanese-style slump – oh, yes, there's that as well.

»It is as though after 9/11 the candidates headlined their speeches with demands – urgent demands! – for tighter security around embassies. To be fair, at the end of last week Mrs Clinton (“Solutions Not Speeches”) did move to position herself as the most forceful figure in the crisis. She announced that after the Bear Stearns intervention she had called Henry Paulson, the Treasury secretary, to interrupt his afternoon nap and advise him of the urgency of the situation. This was a significant tactical victory, because it showed she had Mr Paulson's number, whereas Mr Obama's people had merely called some people and it was unclear whether her rival thought the issue was “urgent” or just “serious”. (Later he clarified and said it was both.)»

Entre temps, les candidats ont fini par consentir à s’apercevoir qu’il se passait quelque chose. Les trois candidats ont fait chacun un discours sur la question de la crise, successivement le 24 (Clinton), le 25 (McCain) et le 27 (Obama). Le site WSWS.org analyse aujourd’hui ces trois interventions avec sa sévérité coutumière, dont on admettra pour ce cas qu’elle n’est pas déplacée.

Le texte cité aborde la question en la plaçant dans le contexte général des réactions du monde politique US, notamment chez les démocrates, pour mettre en évidence combien les trois discours correspondent à ces réactions et restituent la fidèle image d’une vision complètement conformiste.

«The Democratic Congress has to date held no serious hearings and launched no significant investigations into what is widely acknowledged to be the biggest financial scandal since the Second World War, involving reckless speculation, accounting fraud and predatory lending practices on an unprecedented scale by the country’s biggest commercial and investment banks, mortgage companies, hedge funds and private equity firms. The years of vastly inflated securities prices and outright gambling on unregulated “derivative” markets generated the multi-million and even billion-dollar compensation packages enjoyed by Wall Street CEOs and big investors.

»Now, while working class and middle class families across the country face the threat of losing their homes and seeing their life savings destroyed, the Federal Reserve Board is handing out hundreds of billions of dollars in cheap loans to the banks and finance houses, in return for mortgage-backed securities and other dubious assets that cannot be sold on the market. The Bush administration rejects any “bailout” of distressed home owners, while the Democrats propose palliatives that provide no serious answer to the social devastation, and leave Wall Street off the hook.

»The speeches given this week by senators Clinton, Obama and McCain all demonstrate, notwithstanding certain policy differences, the subservience of all three candidates and both major parties to the US financial elite.»

L’analyse est bonne, mais à notre sens pas les causes fondamentales des attitudes telles qu’elles sont présentées ici («the subservience of all three candidates and both major parties to the US financial elite»). Même si elles ne sont pas fausses, elles restent accessoires. Cette “soumission” est chose courante dans le monde américaniste, et ailleurs par conséquent, mais relève plutôt de la ligne générale que de l’automatisme. Dans les cas urgents et pressants, il est arrivé qu'elle le cède aux événements. Ici, cas urgent et pressant par définition, ce n'est pas le cas.

Ce que nous montre cette affaire, c’est plutôt l’impuissance d’un monde politique qui, littéralement, s’est interdit de considérer la réalité pour ce qu’elle est hors des normes systémiques. Si vous voulez, à la crise systémique correspond un jugement qui renvoie au conformisme également systémique, évoluant dans l’univers virtualiste de l’idéologie formelle qui nous emprisonne. L’idéologie libérale n’offre pas des arguments et des analyses, elle impose des clôtures hermétiques enfermant le champ autorisé, au-delà desquelles toute réflexion, avec arguments et analyses, ne peut s’aventurer. Plus qu’une contrainte, c’est une impuissance intellectuelle également et évidemment systémique qui est ainsi définie. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas voir l’ampleur de la crise (et, par conséquent, des réactions à définir), c’est qu’ils ne peuvent pas. Même lorsque le commentaire parle de “Grande Dépression”, ce qui est désormais le cas, l’esprit ainsi emprisonné ne peut pas se hausser à la hauteur de la tragédie que ce terme implique. On en reste à des considérations techniques, ce qui revient à renvoyer la balle à ceux qui sont placés techniquement pour répondre à la crise, et qui sont précisément ceux qui l’alimentent également.

Les discours sont faits de ce conformisme systémique extrêmement caractéristique. Ils sont saupoudrés de phrases convenues, relevant de la rhétorique démagogique de type-Café du Commerce, que ni vous ni moi ne nous attardons même plus à prononcer. («We’ve given Bear Stearns a $30 billion lifeline. […] We are now lending billions of dollars a day to help Wall Street banks that aren’t regulated, that are not held accountable. How can you tell a family about to lose their home that there’s nothing we can do to help them?», Clinton dixit.)

La campagne présidentielle 2008 est caractéristique et exceptionnelle pour de nombreuses raisons qu’on a déjà vues, mais aussi par cette situation où elle se trouve totalement impuissante à évoquer et à débattre des crises fondamentales qui seront les priorités également fondamentales de l’administration à venir. Si la tendance actuelle d’étouffement de toute possibilité d’évolution de l'analyse et de l'appréciation se confirme, on ne voit guère de meilleure voie pour préparer effectivement une scène américaniste où la crise en cours serait la plus grave possible, et l’administration à venir, quelle qu’elle soit, la moins préparée possible à l’affronter.


Mis en ligne le 29 mars 2008 à 13H24