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10426 avril 2009 — Le monde a donc connu, durant ces quelques jours, ce que le “code anglo-saxon” désigne comme “a flurry of summits”. En d’autres termes et pour faire simple, disons que nous avons installé un “nouvel ordre mondial”, qui prendra sa place dans la liste des divers “nouveaux ordres mondiaux” mis en place successivement depuis 1990-1991 (nous laissons de côté la nomenclature qui précéda). Les sommets ont été ceux du G20, de l’OTAN, de la rencontre USA-UE, – et il y en a encore un, plus intime, entre BHO et le monde musulman, pour ainsi dire.
Laissons-nous aller à une petite revue de détails. Le petit bout de la lorgnette, souvent, a du bon.
• A tout seigneur, toute horreur, – le G20. Martin Sieff, dans UPI, le
D’autre part, et pour une vue plus générale, à la fois du G20, à la fois de Brown (toujours lui), à la fois de notre époque, allons à l’éditorial de The Independent, qui a une couleur mi-figue mi-raisin pour un quotidien qui fait partie de “la presse officielle” (celle qui doit être satisfaite du sommet) mais qui entend tout de même mesurer sa différence… Cela s’écrit, ou se publie en tous cas, le 5 avril 2009, au cœur de l’éditorial. La mesure du sommet et de son “succès”, finalement, est ramenée au fait que le sommet ait eu lieu et se soit terminé dans la concorde retrouvée, – au moins le temps d’un sommet. (Plus l'accord sur la condamnation unanime du protectionnisme, – on aurait pu ajouter, pour renforcer la belle unanimité, la condamnation du fascisme.)
«As with the stock markets, so with the reputation of the Prime Minister: last week has seen both irrational exuberance and excessive negativity. After the G20 summit, the British press headlines recalled the glory days of a few months ago, when Gordon Brown was lauded by Nobel laureates for his response to the credit crunch, or of a few months before that, when our new Prime Minister was welcomed as “Not flash, just Gordon”.
»Almost immediately after the G20, therefore, the bear market began. Mr Brown's numbers did not add up and were savagely denounced as “spin”. Well, a sober reflection on the deal, such as Hamish McRae's on page 13 today, suggests that, while there was little new agreed last week, much of its importance lay in the mere fact of agreement. The symbolism should not be underestimated. An economic system of paper money – or, today, digital money – depends on confidence. Last week's deal helped to prevent its collapse.
»Nor should we deprecate the power of apparently empty words. That the leaders of countries accounting for four-fifths of the world's economy put their names to a declaration against protectionism will help to hold the line against countries seeking advantage by doing down their neighbours.
• Les marchés ont fait leur plus belle semaine depuis, – depuis quand? Ah oui, 1933. («Friday completed the biggest four-week rise in the Dow since 1933.») Drôle de référence, – mais passons. Tout cela, alors que rien n’est résolu mais parce que tout va l’être, c’est l’évidence. Selon sa bonne et furieuse approche trotskiste, le WSWS.org nous donne, le 4 avril 2009, son explication. Eh bien, elle en vaut une autre.
«However, this by itself cannot explain the rally, especially since it has occurred in the absence of any significant economic indicators of recovery either in the US or internationally. On the contrary, figures on joblessness, industrial production, exports, world trade and overall growth have been almost uniformly grim and worse than anticipated. On Friday, the stock market rose in spite of a new US jobs report showing the highest level of unemployment since 1983.
»The basic reasons must, therefore, be political.
»The surge in the stock market shows that the American ruling elite is confident that the Obama administration will do everything in its power to protect the interests of the banks and finance capital.»
• Le sommet de l’OTAN, maintenant. C’est sans doute à cette étape du parcours de reconstruction du monde en quatre-cinq jours que l’on aurait de quoi le mieux exercer sa verve. Tout le monde a salué la formidable nouvelle stratégie de BHO en Afghanistan, – qui prévoit des troupes only US. Brown aurait promis des troupes de police pour les élections, qu’on retirera ensuite – il faut bien justifier son titre de “sauveur du monde” ressorti de la naphtaline d’octobre 2008 pour le Premier ministre Brown. Pour le reste, le Times, dont on sait qu’il défend la liberté du monde, ne s’étend pas trop le 4 avril 2009, sur son amertume, juste assez pour faire remarquer que les autres pays de l’OTAN se sont engagés, du moins deux d’entre eux, à envoyer 47 soldats en plus, – pas un de moins, non, mais pas un de plus sans aucun doute; cela, dit le journal “menace de ternir le plaidoyer passionné de Mr. Obama pour obtenir une aide de l’Europe”, – allons bon, jamais content… «Just two other allies made firm offers of troops. Belgium offered to send 35 military trainers and Spain offered 12. Mr Obama’s host, Nicolas Sarkozy, refused his request. The derisory response threatened to tarnish Mr Obama’s European tour, which yesterday included a spellbinding performance in Strasbourg in which he offered the world a vision of a future free of nuclear weapons.» (Ah oui, notez en passant que nous avons la promesse de débarrasser le monde de toutes ses armes nucléaires, pas une de moins.)
Plutôt que par la citation d’un grand article de notre grande presse officielle et libre, nous concluons ce sommet de l’OTAN par ces remarques d’un lecteur du Monde, “Jean”, le 4 avril 2009: «J’ai du mal à suivre: hier le Président de la République a déclaré que La France n’enverra pas de troupes supplémentaires en Afghanistan. Aujourd’hui, il dit que “nous n’avons pas les droit de perdre” et que “là bas, se joue une partie de la liberté du monde”. Il a changé d’avis ou nos contingents actuels suffiront pour notre contribution à “sauver une partie de la liberté du monde”?» Il a “du mal à suivre”, “Jean”? Nous aussi.
• …Pour en revenir au G20 mais, finalement, d’une autre façon, qui représente une sorte de synthèse qui en vaut bien d’autres, de cette semaine échevelée. (Ne lui enlevons pas cela, elle le fut, “échevelée”.) Nous empruntons un extrait d’un texte de Chan Akya, sur Atimes.com le 4 avril 2009, sous le titre «The G-20 piles folly on folly». Le texte ne fait pas une analyse du G20, non c’est plutôt le journal de l’auteur à Londres, les embarras de circulation, les scènes typiques de notre monde dans l’état où il est, les manifestations à Londres, en marge du sommet et contre le sommet, puis le communiqué, avec quelques rapides réflexions… Enfin, ceci:
«In effect, the only tangible result of the G-20 meeting - the tripling of IMF resources - is astounding. The same people who drove the Latin American economy into dust and were responsible for widespread poverty in Asia in the aftermath of the Asian crisis; the very people who encouraged the idiotic accumulation of market-return independent foreign exchange reserves by Asian countries that subsequently caused the asset bubbles of the US and Europe; the very people who had no clue about the impending bubble burst up until the beginning of 2008, are now supposed to gather up the foresight and skills required to end an economic crisis whose only recent historic parallel was the 1929 depression in the United States; an event that took place a good 16 years before the IMF was itself created.
»Reading that bit of the statement, I was reminded about a different bit of history from the same Britain, and pretty much from the opposite end of London. This event took place on September 30, 1938; the BBC reported then as follows:
»“The British prime minister has been hailed as bringing ‘peace to Europe’ after signing a non-aggression pact with Germany. PM Neville Chamberlain arrived back in the UK today, holding an agreement signed by Adolf Hitler which stated the German leader's desire never to go to war with Britain again. The two men met at the Munich conference between Britain, Germany, Italy and France yesterday, convened to decide the future of Czechoslovakia's Sudetenland. Mr Chamberlain declared the accord with the Germans signalled ‘peace for our time’, after he had read it to a jubilant crowd gathered at Heston airport in west London. The German leader stated in the agreement: “We are determined to continue our efforts to remove possible sources of difference and thus to contribute to assure the peace of Europe.”
»I have the dread feeling that the G-20 declaration from April 2, 2009, will achieve similar notoriety in years to come.»
Effectivement, cela rencontre notre impression, cette analogie; celle que tous nos commentateurs patentés, héroïques, fulminant, furent si prompts à employer lorsqu’il fut question d’Irak et l’Afghanistan, qu'ils ont aujourd’hui oubliée… Munich, 1938.
Il est vrai que nous sommes saouls de toutes ces analyses sur telle ou telle décision, tel ou tel mécanisme, telle ou telle explication, – auxquels, contrairement à nombre de commentateurs, nous reconnaissons souvent, et toujours avec la plus grande sincérité, n’y rien comprendre fondamentalement, – et qui, de toutes les façons, dépendent encore complètement du contrôle du système. Reste effectivement cette impression d’une force stupéfiante d’être passé d’un univers à l’autre, entre le 1er avril où tout le monde se déchirait pour des causes aussi bien précisées, où la crise continuait à dévorer le monde, et où, à partir du 2 avril et pendant quelques jours, jusqu’au 5 avril, nous fûmes plongés dans Disneyland ou dans Le Magicien d’Oz, passant à cette fameuse “guerre de la communication” où nos spin-dirigeants l’emportèrent haut le main. Ce fut donc bien Munich, circa-2009, grâce soit rendue à Mr. Chan Akya pour cette comparaison qu’on nous servit jusqu’à la nausée lorsqu’il s’agissait d’envoyer des bombardiers et des missiles, et qu’on s’est bien abstenu d’évoquer cette fois.
Pourtant, la comparaison sied si bien à la situation du monde. Munich éludait la menace hitlérienne d’expansionnisme guerrier, c’est-à-dire la réalité. Munich-2009 élude la crise qui va bien au-delà de la finance et de l'économie, qui menace l’ordre du monde et le destin de la civilisation, – c’est-à-dire la réalité. Les exclamations et la grandiloquence des deux Munich sont à la mesure de l’élusion, avec un avantage incontestable pour le nôtre. Bien entendu, en acceptant cette analogie nous ne parlons pas, nous, des circonstances, celles de Munich-1938 menant à la guerre conduisant à envisager la prévision que “Munich-2009” nous mènera à la guerre également. Nous croyons fort peu que les inconséquences de ces dirigeants, et la crise elle-même, conduiront à la guerre comme si la guerre était la pire des issues, – alors que la crise, dont il est vraiment question, nous réserve des événements qui sont bien plus inédits qu’une guerre et sur lesquels nous n’aurons que peu de contrôle.
Nous parlons de l’“esprit” de la chose, qui n’est ni la capitulation devant Hitler ni la capitulation devant la crise, mais le choix de l’élusion et de l'illusion, de préférence à la réalité du monde. C’est en cela, et en cela seulement que vaut l’analogie. (Et peut-être n’est-ce pas le cas de Chan Akya, qui vit peut-être dans les troubles des rues de Londres les prémisses de cette guerre que Munich-2009 aurait refusé de voir venir. Nous croyons que la crise se situe sur un autre plan.)
Il aurait été d’une réelle dignité que, le G20 et les sommets suivants se passant comme ils se passèrent, les responsables saluassent les résultats obtenus avec sobriété, inquiétude et le sens de l’urgence tragique que ces circonstances-là, – la médiocrité des résultats obtenus et les difficultés d’une entente loyale entre tous, – requièrent impérativement. Mais l’on sait bien que la chose, la dignité, n’est plus qu’un rare souvenir pour ceux qui ont encore quelque mémoire. C’eut été la marque d’une belle lucidité, et paradoxalement rassurant, que ces responsables convinssent publiquement qu’ils sortaient de ces réunions encore plus inquiets qu’ils n’y étaient entrés, réalisant à mesure qu’ils avancent l’ampleur du gouffre qu’ils découvrent à chaque pas en avant. Mais la lucidité et le courage de l'exposer publiquement, on le sait fort bien, sont des vertus d’un autre monde et ce monde a disparu corps et bien.
Au contraire, ils ont sacrifié au démon qui, périodiquement, ramène à une fausse représentation du monde, qui est cette “guerre de la communication” comme ils la mènent, pour substituer l’illusion à la réalité, l’apparence à la substance et ainsi de suite. Il est difficile de ne pas éprouver un certain dégoût devant cette démission de la perception, pire encore que la démission de l’esprit s’il est possible. Cela revient à ne même pas accepter le fardeau de penser faux, mais à accepter l’apprêt par la communication d’une fausse réalité pour pouvoir penser faussement en croyant penser avec loyauté le réel. Ici se situe la différence entre Munich-1938 et Londres-2009; à Munich, en 1938, les “munichois”, Chamberlain, l’étaient vraiment, à leurs risques et périls devant l’Histoire; aujourd’hui, ils arrivent, malgré qu’ils soient “munichois”, à se grimer en Churchill, ajoutant l’irresponsabilité à l’erreur par la tromperie acceptée en tant que telle, comme si elle n’était pas tromperie. Dégoût ou nausée, au choix, pour ce système.
Tout de même, il y a la satisfaction paradoxale de constater que le G20 et la suite n’ont pas trompé grand’monde, sinon ceux dont la fonction est d’accepter d’être trompé. Il n’y a pas eu de tentative réelle d’envisager des décisions qui auraient pu faire croire à une évolution importante. Au point où nous en sommes, cette “évolution importante” aurait été une tromperie au bout du compte, les structures du système étant encore fermement en place alors que le sérieux apparent de mesures présentées comme révolutionnaires eut conduit à la confusion ou à la démobilisation. Nous avons eu ces exclamations énervées sur un “nouvel ordre mondial”, sur un “nouveau Bretton Woods”, – comme une sorte de minimum syndical de l’exclamation historique. Puis nous sommes passés à autre chose, en attendant d'en revenir à la crise, la vraie.
La série des réunions du G20 au sommet UE-USA a été une sorte d’escale dans le courant de la crise. Une escale à Munich, si l’on veut.
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