Dream in Blair

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Dream in Blair


8 juillet 2002 — Suite de notre « Chronique irakienne ». Dans la foulée des ''fuites'' de la semaine dernière, une ''fuite'', britannique cette fois, ce matin, dans le Telegraph, annonçant les modalités de la participation britannique à la future attaque de l'Irak. Ces ''fuites'' britanniques sont pour le moins intéressantes, elles sont à la fois inattendues et logiques, elles sont à la fois de bonne guerre et complètement surréalistes, — bref, à l'image des temps.

L'engagement britannique est présenté comme ceci ... (Ceci et le reste de l'article méritant quelques commentaires, qui suivent.)

« The Telegraph has been told by a senior Ministry of Defence official that Britain will contribute a division of 20,000 men composed of armoured and infantry brigades to fight alongside the US. The force would also be supported by up to 50 combat jets, an aircraft carrier group composed of frigates, destroyers and a submarine from the Royal Navy.

» The early spring is regarded as the ''next best option'' for an attack because the weather is still cool enough to conduct military operations in the Iraqi desert. It also allows both the British and Americans to build up forces and munitions depleted by the war in Afghanistan. »

• La première remarque qui vient à l'esprit concerne le ton de l'article. La perspective évoquée est affirmée avec un ton de certitude qui tranche singulièrement sur les hésitations, les semi-affirmations et les démentis, les approximations et les mises au point qui, depuis septembre-octobre 2001, concernent les évocations de cette future bataille. Cette certitude porte pourtant sur une attaque annoncée pour le début 2003 (au printemps, parce qu'il fait bon, quoiqu'on ne nous ait pas encore parlé du Ramadan). Depuis octobre 2001, nous nous sommes préparés successivement à une attaque en janvier-février 2002, puis en avril 2002, puis en juin 2002, puis en septembre 2002. Maintenant, c'est le printemps 2003, — mais absolument garanti. Bon, pourquoi pas ?

• L'engagement britannique est annoncé avec la même rectitude, sans la moindre nuance : 30.000 hommes, 50 avions de combat, un groupe de bataille naval autour d'un porte-avions. Là aussi, tout semble réglé, sans hésitation, sans grognement. Quel contraste avec les derniers mois, où l'on annonçait régulièrement que les chefs militaires craignaient de si grandes difficultés qu'ils n'étaient pas sûrs d'une victoire, où l'on fit savoir tout le mal que les militaires britanniques pensaient des militaires américains, où l'on vit se développer une fronde considérable au sein du parti travailliste. (Hier encore, Peter Oborne, du Spectator, nous dit que :

« ... War will force Tony Blair to abandon the tactic of triangulation that has served him so well. It will be the break point that will force Tony Blair to choose not only between the US and Europe but also between the US and the Labour party. Cabinet resignations are likely, and it is even conceivable that the Prime Minister will be forced to rely on Tory support in order to prosecute a war. »)

• De tout cela, rien ne transpire dans l'article du Telegraph. Ce texte semble faire partie d'un autre monde, un monde idéal où, selon la formule fameuse, chère aux dirigeants soviétiques, « tout se passe conformément au plan prévu ». On en déduit par conséquent que cet article est directement inspiré par le cabinet Blair, qu'il est d'autant plus affirmatif et fermement pro-américain que la quinzaine qui vient de s'écouler a été pénible pour les relations USA-UK, que les amis américains sont venus rappeler au pauvre Blair ses obligations, et ainsi de suite. D'ailleurs, la situation britannique (la situation-Blair, plutôt) n'est pas si différente à cet égard que n'est la situation américaine (la situation Bush).

• Cette mise en perspective conduit à relire l'article. On y apprend que, d'ici 2003 où tout se déroulera comme prévu, Anglais et Américains vont devoir refaire leurs réserves, retirer des forces d'Afghanistan pour pouvoir participer à la constitution de cette force de 250.000 hommes nécessaires à l'invasion de l'Irak. On se voit ainsi confirmés dans la perception de l'extrême difficulté pour la coalition certainement la plus puissante du monde (US + UK) de réunir un corps de bataille somme toute assez modeste (à comparer avec les 600.000 + hommes de la guerre du Golfe 1990-91).

« The British armed forces are to commit at least 30,000 troops from all three services to an overwhelming air, land and sea campaign commanded by the US. In the past six months British troops' commitments in Kosovo, Macedonia, Bosnia and Sierra Leone have all been reduced in preparation for the attack.

» It is understood that President Bush has accepted that the US will not be able to replicate the size or make-up of the allied coalition that invaded Iraq in 1991 and is relying on Britain for moral and military support.

(...)

» A senior MoD official said: ''Troops have been pulled back from the Balkans and Afghanistan in preparation for a spring attack against Iraq. The Army would contribute a division, similar to what we contributed in the Gulf War. »

• D'autres incertitudes apparaissent, derrière l'affirmation générale de certitude :

• la référence à une insurrection générale pour aider le corps de bataille de 250.000 hommes. C'est à la fois se référer à une chimère anglo-saxonne depuis 1990-91 et marquer indirectement la crainte où se trouvent les alliés d'être trop ''courts'' avec leurs 250.000 hommes.

• La référence aux preuves (« ''ample classified evidence'' that proves Saddam has manufactured and stockpiled weapons of mass destruction. ») renvoie aux mêmes techniques déjà expérimentées d'affirmations péremptoires de preuves indubitables et impossibles à montrer. Là aussi, la technique éculée a montré ses limites ; elle sera un peu courte pour gagner à la cause de l'intervention les cadres de l'armée britannique, le parti travailliste et le reste.

Bref, tout cela nous intéresse-t-il vraiment ? Une telle affirmation lancée par l'équipe de communication de Blair, de façon si contradictoire avec l'état d'esprit des principales forces du pays, avec l'état des relations USA-UK, voire même (après tout, cela compte aussi) avec l'état d'esprit du public, — c'est tout de même une indication précieuse sur l'état d'esprit, au moins, d'un personnage : Tony Blair lui-même. Au plus l'opposition aux USA et à la guerre en Irak s'affirment au Royaume Uni, au plus Tony Blair affirme son engagement auprès des USA, jusqu'à apparaître pas très loin de la ligne d'action des super-hawks (Rumsfeld, par l'exemple), de l'équipe GW.

Cette évolution radicale a une explication par le fait même : c'est l'isolement de Blair qui le pousse à radicaliser sa position. De plus en plus, Blair lie son destin personnel à son engagement pro-américain et, maintenant, à cette étrange guerre d'Irak qu'on aura fait dix fois avant de la livrer. Quant à GW, il n'est pas loin d'être lui-même dans cette position W: la guerre contre l'Irak devient l'inspiration et l'apogée de son mandat. Il faut qu'elle ait lieu entre les élections législatives de novembre 2002 et l'élection présidentielle de novembre 2004, et, si possible sans doute, au printemps, quand il fait bon. Ainsi détermine-t-on les stratégies, aujourd'hui, en les liant également aux destins de plus en plus pathétiques de deux dirigeants engagés dans une politique construite sur une construction de leurs services de communication, une construction virtualiste. Le problème est qu'au bout, à force de le dire, il se pourrait bien tout de même qu'il y ait la guerre. Mais cela, c'est une autre histoire, on veut dire : une histoire encore lointaine.