Désarroi type-Albion

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Désarroi type-Albion


Le 30 novembre 2002 — A cinq jours d’intervalle, la lecture du Telegraph de Londres est intéressante. Parce que les deux articles portent sur la question de la défense européenne et qu’ils disent exactement le contraire ; parce que le Telegraph est un organe proche, en tendance, des droitistes radicaux américains, style neo-cons, et bien représentatif à Londres de la faction atlantiste extrémiste.

Dans le premier article, publié le 22 novembre 2002, en marge du sommet de l’OTAN à Prague, Michael Smith, qui est le Defence Correspondant, nous explique que la création de la Rapid Respond Force de l’OTAN est un coup de maître, qui permet de bloquer toute possibilité (un spectre) d’une French-dominated Euro army. L’amusant de l’article est qu’il est consacrée à la nouvelle force OTAN et qu’il commence à nous entretenir avec forces détails sur la Force de Réaction Rapide de l’UE, pour nous faire comprendre combien dès le début les Britanniques ont joué à fond contre les Français — ce qui est, bien sûr, une fable complète. Dans l’extrait ci-dessous, on appréciera notamment ce monument de malhonnêteté intellectuelle ou d’incompétence professionnelle, ou simplement de mensonge à l’état pur, délibéré et construit dans le but de tromper, représenté par la phrase  : « There is no doubt that the French, who persuaded Tony Blair to join them in the drive to set up the EU force... » Écrire aujourd’hui, quand on est Britannique et Defence Correspondant, que ce sont les Français qui, en octobre-décembre 1998, persuadèrent Tony Blair de se joindre à eux pour lancer le projet de défense européenne désormais connu comme l’initiative de Saint-Malo, représente une imposture qui en dit long sur certains quartiers et journalistes de la presse anglo-saxonne. (Est-il utile de répéter, — oui, après tout — que c’est le contraire et que si, aujourd’hui, les Français publiaient certaines propositions britanniques d’alors restées secrètes, il y aurait plus que de la surprise dans le chef des divers Defence Correspondants et de ceux qui applaudissent, aujourd’hui encore, l’alliance UK-USA-NATO.)


« Nato insists that its new rapid reaction force is not an attempt to undermine plans by the European Union to create a similar force. Nato spokesmen say the new ''capability'' developed for the Nato force would reinforce the EU as well because many of the units would be ''double-hatted'' for both forces. But, in reality, the Nato force will remove the spectre of the embryonic EU force becoming a Euro army dominated by France.

» The Nato ''response force'' will take all the best fighting troops Europe can deploy. It, rather than the Euro-army, will carry out any serious mission that the European nations believe they should mount. There is no doubt that the French, who persuaded Tony Blair to join them in the drive to set up the EU force, wanted it to be a rival to Nato, but they appear to have been outflanked by the Americans.

» The creation of the EU force was agreed at the Helsinki summit in December 1999. Its possible roles initially appeared limited. It would deploy to any trouble spot in Europe, or possibly Africa and the Middle East, to carry out operations ranging from provision of humanitarian aid, through evacuation of civilians from a war zone to separation of warring factions.

» Britain insisted that it would never be a ''war-fighting'' force. It was entirely about peacekeeping and humanitarian aid. The French disagreed. Privately, British officials said they would veto any such move and let it be known that they had pushed the force so strongly to persuade the other European countries to increase their defence capabilities. »


• Dans le second article, paru cinq jours plus tard, le 27 novembre, le même journal commente la position franco-allemande énoncée dans un document commun pour la Convention européenne, publié le 21 novembre en marge du sommet de l’OTAN de Prague. Ce texte, qui aurait pu être publié le jour même où celui du 22 paraissait pour nous annoncer la mort du « spectre of the embryonic EU force becoming a Euro army dominated by France  », nous annonce à peu près l’exact contraire.


« France and Germany have called for a full European security and defence union, pushing Britain to the sidelines in their latest attempt to revive the Berlin-Paris axis. In a move that has alarmed the Foreign Office, the two governments have put forward a joint plan for a Euro-army with an ''integrated command capability'' and a ''European Armaments Agency''.

» The ideas are being portrayed in Paris and Berlin as the product of frustration at Britain's tendency to be the mouthpiece of America on foreign policy issues, rather than looking to Europe.

» The Franco-German plan envisages something far more ambitious than the limited peacekeeping and humanitarian missions of the European Union's rapid reaction force of 60,000. Under the Franco-German blueprint there would be a unified system of military training and a shared strategic doctrine. The document talks about establishing ''multinational forces with integrated leadership capacities, regardless of their Nato actions''. It also talks about ''harmonising military needs planning''.

» The proposals, which are to be submitted to the defence working group of the Convention on the Future of Europe, alter the character of EU defence and threaten the current link between the EU's rapid reaction force and the Nato command structure.

» The Earl of Stockton, a Tory MEP and a member of the convention's defence working group, said the Government was losing control of the European military project, which it launched with the French at St Malo in 1998. ''If this goes ahead, it will effectively by-pass the joint EU-Nato command and open the way for a total separation from Nato, which is what the French have always wanted, of course,'' he said.

» Crucially, France and Germany say they must be allowed to go ahead with the plans even if other EU nations oppose the idea. The document proposes letting an advance guard of EU states form their own defence corps, backed by the EU institutions under a mechanism known as ''enhanced co-operation''. »


La différence de ton entre les deux textes est confondante, — ici, l’assurance d’une victoire (otanienne, atlantiste, américaniste, etc) enfin remportée, là le spectre (le mot va bien) d’une défaite consommée à cause des manigance franco-allemandes instrumentées par le machiavélisme français ; cela, à 5 jours d’intervale pour la publication, mais décrivant deux événements du même jour. Si l’affaire montre quelque chose, c’est la paranoïa de ces milieux britannico-atlantistes qui guettent depuis un demi-siècle le complot français qui les détruira.

Pour le reste, on observera  :

• A cause à son hyper-suivisme pro-américain, Tony Blair devient l’otage de la partie la plus hyper-atlantiste de l’establishment britannique. On lui dénie même le bénéfice de ses initiatives ''européennes'' les plus saillantes. (Saint-Malo devenant un complot français alors qu’il s’agit du corpus des ambitions européennes de Blair, dans sa fameuse tactique du ''pont'' transatlantique, à la fois furieusement pro-US et complètement européen.) A contrario, Tony Blair est désormais complètement compromis aux yeux même des Britanniques pro-européens.

• L’irréalisme de l’analyse britannique est complète même au travers des sources (évidemment gouvernementales) citées, montrant évidemment le désarroi actuel de ce pays. L’initiative franco-allemande est présentée comme une trahison française (une de plus) aux dépens des Britanniques et une initiative décisive alors que les Français ont informé par avance les Britanniques de ce qui allait se passer et du contenu de cette initiative, sans soulever d’objection majeure.

• Le comportement ''réel'' des Britanniques laisse d’ailleurs beaucoup à penser, et reflète encore plus ce désarroi dont nous parlons. Depuis l’incident Chirac-Blair de Bruxelles, les Britanniques n’ont cessé de se montrer très conciliants avec les Français, et leur comportement dans les enceintes européennes, du point de vue de la défense européenne, notamment lors de la récente réunion des ministres de la défense de l’UE, est redevenue un modèle de coopération. Des sources françaises ont relevé que les Britanniques avaient été, avec les Belges, « les participants les plus résolument coopératifs avec nous, dans un sens favorable à la défense européenne ».

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