Des USA à l'Europe : la ''question de l'Empire'' revue et corrigée

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Des USA à l'Europe : la ''question de l'Empire'' revue et corrigée


Dans notre précédente analyse du 22 août 2001, consacrée à ce que nous désignons comme la ''question de l'Empire'' aux USA, nous citions un article du Washington Post, en date du 21 août, sur ce débat qui commence à se développer aux États-Unis. Le titre de l'article était : « Empire or Not ? A Quiet Debate Over U.S. Role » Cet article nous avait alertés, et poussés à rédiger notre analyse. Le 22 août, parallèlement à la publication de notre analyse, l'International Herald Tribune (IHT) publiait le même article du Washington Post, selon les accords normaux entre les deux journaux (l'IHT a comme actionnaires-fondateurs le Post et le New York Times et, aux termes des accords existants, l'IHT utilise du matériel rédactionnel venant des deux journaux). Ce qui nous retient aujourd'hui est la comparaison entre les deux publications du même article, car effectivement une comparaison s'impose.

D'abord le titre que l'IHT a donné à l'article : « U.S. Urged to Embrace an ''Imperialist'' Role » (avec, en sous-titre : « Worldwide Dominance Ignites a Debate »). Comparant avec le titre du Post rapporté plus haut, on comprend aussitôt la nuance, — ici (à Washington) avec l'annonce qu'un débat pour ou contre l'Empire démarre aux USA, là (à Paris, Europe) avec l'annonce qu'“on” presse les USA de jouer un rôle “impérialiste” ; ici le débat est posé, là il est réglé ; ici, on s'interroge de savoir s'il faut que les USA soient un Empire, là on signale qu'on presse l'Amérique de jouer son rôle d'Empire. Il ne s'agit encore que du titre, car il y a aussi le problème du texte, qui n'est pas rigoureusement similaire. Nous avons l'esprit ouvert et un esprit confraternel ouvert aux problèmes techniques, par conséquent nous ne parlerons pas de censure mais de problèmes d'espace disponible et de mise en plage qui ont conduit l'IHT àexpurger la fin de l'article du Post de trois paragraphes. Il se trouve pourtant que ces trois paragraphes concernaient des prises de position d'experts plutôt critiques de la thèse USA-Empire défendue par Thomas Donnelly. Le texte ainsi raccourci justifie un peu plus le titre. Pour rétablir l'équilibre des choses et apaiser les esprits, et pour l'édification des lecteurs du seul IHT, nous retranscrivons ici les trois paragraphes manquants  :

« Joseph Nye, a former official in the Clinton-era Pentagon who is dean of Harvard's Kennedy School of Government, has just completed another book denouncing the idea. In ''Soft Power: The Illusion of American Empire,'' to be published next year, he argues that the notion that the United States is, and should strive to remain, the world's only superpower has become widely accepted among conservative commentators.

» Nye says this hegemonic view pays too much attention to military might. ''I think that people who talk about 'benign hegemony' and 'accepting an imperial role' are focusing too much on one dimension of power and are neglecting the other forms of power -- economic and cultural and ideological,'' he said. Overemphasizing U.S. military strength, he continued, ultimately would undercut those less tangible forms of power, and so curtail any effort to maintain an empire.

» Along the same lines, Richard Kohn, a University of North Carolina historian, argues that most Americans wisely would reject an imperial role if it were put to them openly. ''The American people don't have the interest, the stomach or the perseverance to do it,'' Kohn said. ''A few bloody noses and they'll want to pack it in. They recognize that it would cost us our soul, not to speak of the moral high ground -- in our own minds most of all.'' »

L'intérêt de cette amusante anecdote journaliste est qu'elle nous donne une indication indirecte mais révélatrice sur ce que pensent ceux qui, dans les cercles américains et transatlantiques, ont pour charge de nous présenter les événements qui se déroulent, et particulièrement les événements concernant les spéculations à propos du rôle de l'Amérique. Nous proposons donc à nos lecteurs, à partir des constats faits à propos de ces articles et des interventions faites sur leur contenu, quelques réflexions en conclusion.

• D'abord, il y a effectivement un débat important “pour ou contre l'Empire”, à Washington aujourd'hui. Étant donné la formidable délicatesse du sujet, qu'un article de cette importance ait été publié dans le Post, qu'il ait été repris dans l'IHT avec les coupures qui vont bien constituent des indications sérieuses, positive ou a contrario, à cet égard. (L'indication du Post sur son article — « First in a series of occasional papers » — nous informe dans ce sens : nous entendrons encore parler de cette affaire.) D'autres articles paraissent actuellement sur le sujet, comme nous l'avons également signalé le 22 août (l'analyse de Martin Sieff, de UPI). Débat lancé, débat très important.

• Le débat est indécis, et c'est d'ailleurs la définition même d'un débat. L'article (du Post) le montre, avec prudence certes, mais d'une manière indubitable. (A cet égard, l'analyse de Sieff renforce nettement l'impression.)

• Si l'on veut bien faire savoir à l'élite washingtonienne que le débat est lancé et qu'il est indécis, le choix du titre et des coupures de l'IHT montre également qu'on est plus circonspect lorsqu'il s'agit de s'adresser àl'élite transatlantique non-américaine lectrice de l'IHT : de ce côté, on voudrait rassurer dans le sens de la thèse USA-Empire plutôt qu'informer.

• La conclusion générale que nous tirons est bien que les partisans de l'Empire, les internationalistes américains, qui sont soutenus par le Post et l'IHT, sont aujourd'hui très inquiets, certes à propos du débat intérieur sur l'Empire mais également à propos des réactions extérieures. Le changement de titre de l'IHT ressemble plutôt à un procédé dit de la “méthode Coué”, de même que le sens général du débat tel qu'il est interprété. Cette interprétation laisse entendre que les deux positions (pour ou contre) s'affrontent à partir d'une position égale au départ, comme si la question était tout à fait nouvelle, et que les partisans de USA-Empire sont manifestement les plus entreprenants et ont pris le dessus. La réalité est que la question, posée depuis 1989-91, était jugée jusqu'alors résolue de facto : les USA étaient évidemment jugés comme étant un Empire, point final. Le débat existe aujourd'hui parce qu'une contestation est apparue. Au contraire de ce que nous dit le titre de l'IHT, on constate alors que la véritable et nouvelle pression ne vient pas de ceux qui sont favorables àl'Empire, mais, au contraire, de ceux qui lui sont défavorables et qui, pour la première fois, s'affirment de manière publique et avec un tel crédit qu'on peut désormais parler de débat national.


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