Débat sur la culpabilité a priori de l’Iran

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Débat sur la culpabilité a priori de l’Iran

Dans la rhétorique de l’interminable (depuis 2005) crise iranienne, de l’interminable (depuis 2005) spéculation sur le nucléaire iranien, de l’interminable (depuis 2005) menace d’attaque “surprise” de l’Iran, il y a eu peu de place pour débattre de la légalité de toutes ces perspectives. On accueille donc avec intérêt un article du Guardian du 12 avril 2012, qui traite de ce problème à l’aide d’avis évidemment autorisés de divers juristes ou supposés l’être ; et on le complète avec un très intéressant article de Teymoor Nabili, le 13 avril 2012 sur Aljazeera.News.

Mais l’article de Nabili mérite d’être consulté en tête parce qu’il reproduit un extrait d’un entretien avec le Vice-Prempier ministre et ministre du renseignement et de l’énergie atomique israélien Dan Meridor, avec une déclaration du même Meridor qu’on peut qualifier, à l’instar de Nabili, d’extraordinaire. En quelques mots, Meridor pulvérise la narrative générale, mille fois répétée et brandie comme un signe absolue de la culpabilité démoniaque de l’Iran, selon laquelle le président iranien Ahmadinejad avait déclaré que l’Iran avait l’intention de “rayer Israël de la carte”, pour la remplacer par la réalité des déclarations iraniennes, qui ne disent pas cela du tout…

«…An able and experienced politician, Meridor was mostly happy to skirt the direct questions and recite approved talking points. It’s when I challenged him on the biggest talking point of all, Iran’s supposed determination to “wipe Israel off the face of the map,” that Meridor seemed to stumble outside the lines of the agreed narrative.

»Meridor: [Iran's leaders] all come basically ideologically, religiously with the statement that Israel is an unnatural creature, it will not survive. They didn't say ‘we'll wipe it out’, you are right, but [that] it will not survive, it is a cancerous tumor, it should be removed;

»Nabili: Well, I am glad you acknowledged they didn't say they will wipe it out, because certainly Israeli politicians…

»Meridor: … they say it will be removed, needs to be removed …»

Namibi met du temps à s’en remettre… Mais ce qui est dit (par Meridor) est dit. Namibi prend le temps, avant de passer à un commentaire de l’article du Guardian cité plus haut, de convoquer une des nombreuses sources qui ont relevé la complète désinformation largement colportée de l’annonce par Ahmadinejad de l’intention de l’Iran de “rayer Israël de la carte”. Il citera donc le professeur Gary Leupp, Professeur d’Histoire à l’université Tufts, aux USA… «Ahmadinejad himself has repeatedly said that his remark was misinterpreted. In January 2006, complaining about the ‘hue and cry’ over his statement, he said: ‘Let the Palestinians participate in free elections and they will say what they want.’ In July 2008, he told a meeting of the D-8 nations (Bangladesh, Egypt, Indonesia, Iran, Malaysia, Nigeria, Pakistan, and Turkey) that his country would never initiate military action but that the Israeli regime would eventually collapse on its own.»

Revenu de sa surprise, Nabili passe donc au Guardian. C’est pour tomber sur une seconde surprise, qui est une citation d’un éminent professeur de droit, expert éminemment reconnu, qui répond avec enthousiasme par l’affirmative à la question sur la légalité de l’attaque “surprise” contre l’Iran pas encore lancée… Mais oui, dit le professeur Anthony d’Amato, ils peuvent y aller et bombarder l’Iran, tous les droits, du Droit canon au Droit international, les y autorisent, – les y invitent même… Après avoir cité d’Amato, Nabili prend le soin de décortiquer sa déclaration pour exposer toutes les extrêmement stupéfiantes énormités qu’elle contient, bobard sur bobard, les uns après les autres, exemple extrêmement inverti de la rigueur intellectuelle, cette fois mise au service de l’indifférence complète et d’un cynisme inconscient et presque automatique pour la vérité du parti pro-Système, de sa seule considération pour la narrative qui décrit et justifie à la fois son action.

«[…H]ere's Anthony D'Amato, a professor of international law at Northwestern University: “Iran says it wants to push the Israelis into the sea and that they are constructing nuclear weapons. That’s enough for me to say that cannot be allowed. If the US or Israel takes the initiative to block that action, it can hardly be said to be violating international law. It can only be preserving international law for future generations.”

»The combination of factual error and partisan analysis here is remarkable. Firstly, his characterisation of Tehran's policies is almost unique. If “Iran” (and he doesn't actually clarify who he means here) has ever actually said that it wants to “push Israelis into the sea” he doesn't point us to the source.

»Secondly, he doesn't explain why such comments from Iran should cause more existential anguish than similarly belligerent comments made by Israel's Foreign Minister Avigdor Lieberman in reference to Palestinians, or by Hillary Clinton in reference to Iran.

»As for the concept of “preserving international law for future generations,” he does not clarify his thoughts on whether Russia and China might also be justified in unilaterally attempting such a feat, or in deciding what can and cannot be allowed in international politics.

»But what's most bizarre is his completely erroneous belief that Iran itself has said it's constructing nuclear weapons.

»It hasn't.

»There's no reason to believe that a man of D'Amato's standing should lie, bare-faced, to an internationally respected newspaper; therefore it's more likely that he's simply accepted what someone with an anti-Iran agenda has told him. So if a man who “has argued cases before the European Court of Human Rights” can fall prey to hearsay and mis-information…» (…Imaginez combien le pékin, comme vous et moi, est prêt à gober encore plus tous ces bobards !).

L’article du Guardian comprend tout de même d’autres avis que celui, extrêmement stupéfiant, du professeur d’Amato, dont il nous est bien précisé par ailleurs que cet homme respectable et extrêmement compétent a “soutenu des causes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme” (satisfaction, en vérité, de savoir nos droits défendus avec une si haute compétence). L’article du Guardian expose donc quelques avis divergents d’hommes également chargés d’honneurs et de compétences, qui, lorsqu’ils sont développés (ces avis), ridiculisent extrêmement celui du Professeur d’Amato qui a “soutenu des causes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme”. L’article se termine sur une dernière citation de Bruce Ackerman, présenté comme un professeur de droit constitutionnel influent à l’université de Yale. On sent que l’affirmation d’Ackerman clôt le débat un peu sur le territoire du bon sens et de l’évidence, plus que sur celui de l’argutie juridique…

«…But Ackerman notes that riding roughshod over international law carries dangers. For a start, Iran could make a reasonable case that it is the one under threat, with all of the bellicose rhetoric out of Washington and Jerusalem – and therefore it has a right of pre-emptive self-defence. “Where does this kind of radically expanded notion of pre-emptive attack stop?” asked Ackerman. “What's going to happen when China feels threatened by Taiwan, or India by Pakistan, or vice versa? We would be setting a precedent here which be a very serious blow to the rule of international law.”»

Poursuivons notre débat à nous en reprenant la phrase complète de Nabili sur l’éminent professeur d’Amato (“Si un homme qui a ‘soutenu des causes’…”, bla bla bla) ; elle se lit comme ceci : «So if a man who “has argued cases before the European Court of Human Rights” can fall prey to hearsay and mis-information, can we be surprised that the average consumer of mainstream media can buy into this “big lie”?» Mais justement, “le pékin, comme vous et moi” (“the average consumer of mainstream media”), s'il s'intéresse à cette sorte d'information, n’est pas ou plus prêt du tout “à gober encore plus tous ces bobards”, et même il ne les gobe pas du tout. S’il a un peu de sagesse et d’expérience, dans un premier temps (la première fois où le bobard est lancé), il s’abstient, attend, laisse venir, parce qu’il sait parfaitement comment fonctionne le Système et combien la déclaration-bidouillée d’Ahmadinejad est du type “un peu trop belle pour être vraie” ; puis, très vite, s’il sait s’aventurer au-delà des mainstream media comme c’est de plus en plus le cas, il repère ici et là les indications qu’il faut et sa religion est faite : bobard il y a, c’est évident. D’ailleurs, l’affaire était entendue dès lors que le Système exposait sa satisfaction, sa communication en carpet bombing, et ainsi de suite ; rien que le comportement de la chose, appuyé sur le “un peu trop belle pour être vraie”, et l’affaire était entendue. Cette description d’une occurrence désormais courante montre que les personnes courantes, hors du cercle du Système et en principe sans moyens exceptionnels, ne sont nullement plus vulnérables à la narrative ; qu’elles peuvent au contraire fort bien tirer leur épingle du jeu et reconnaître la vérité de leur côté, selon leur propre démarche, après une enquête assez facile à mener et fondée sur une volonté défensive d’inconnaissance au départ, lorsqu’il apparaît évident que les premiers éléments de communication ont été diffusés par le Système et nécessitent une approche révisionniste.

Le cas ne fait que confirmer une fois encore, si besoin en était, le naufrage total de l’objectivité de l’information, et par conséquent la rétrogradation de l’information officielle et de l’information-Système dans le champ du reste, c’est-à-dire des informations sans crédit formel ni légitimité, et elle-même, l'information-Système, soumise au crible de l’appréciation critique comme toute autre source. Cette plongée dans la subjectivité est dévastatrice pour l’information-Système, lorsqu’on dispose du système de la communication qui permet d’explorer toutes les sources disponibles pour se forger une opinion. Le cas étrange de Meridor montre que même les membres les plus impliqués dans la dynamique du Système peuvent céder à la faiblesse de dire la vérité…

Le paradoxe poursuivi malgré tout et réactivé étant que, malgré cette démonstration faite par Meridor, on peut être sûr que la narrative du “il faut rayer Israël de la carte” d’Ahmadinejad poursuivra son chemin sans l’ombre d’une embardée ni du moindre doute. Le processus est du type robotisé, qui résulte d’un cloisonnement hermétique dans les psychologies, et l’activité des individus asservis de même, et qui le restent malgré les incidents type-Meridor. Cette pérennité mécanique dans le négationnisme de la vérité qui pourrait apparaître comme une marque de la puissance du Système est, par ailleurs, profondément destructrice pour le Système lui-même. Elle en expose sur le terme le vice irrépressible de son incapacité à rencontrer la vérité, même lorsque l’évidence est là pour réclamer cette démarche, même lorsque la vérité a été suffisamment proclamée, y compris par un Meridor même si par inadvertance ; elle mine progressivement et irrémédiablement le crédit du Système, dont la surpuissance dans l’affirmation répétée du mensonge finit donc par l’habituelle dérive autodestructrice.


Mis en ligne le 16 avril 2012 à 04H49