De l'ONU à l'Europe

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De l'ONU à l'Europe


12 mai 2003 — Une nouvelle bataille à l’ONU ? Pas très utile. Les premiers commentaires des journalistes anglo-saxons et consort ont été : la France va être isolée, la France est déjà isolée. (De la part du Times du 10 mai, cette remarque : « A draft resolution endorsing the role of Britain and the United States as “occupying powers” for at least a year attracted early support from crucial swing voters on the 15-nation Security Council, leaving Russia and France isolated. »)

Notre premier commentaire est : étrange que ce pays (les USA, avec UK en bandoulière et l’Espagne dans la poche-arrière), — que ces États-Unis qui vouent l’ONU aux gémonies et ne cessent de proclamer qu’ils n’ont rien de plus pressé que de s’en passer et de l’enterrer, aussitôt acquise leur victoire triomphale sur l’Irak se précipitent à l’ONU pour voir légitimer cette victoire triomphale. Étrange ou révélateur.

Qu’est-ce que les USA attendent donc de cette démarche ? Une légitimation qu’eux-mêmes doutent bien de pouvoir donner à cette campagne, si l’on en juge par l’après-guerre. Tout cela est fait au mépris de toute logique, en contravention avec les dispositions existantes, — aussi bien pour ce qui concerne le travail des inspecteurs de l’ONU, jugé (par les Américains) déplorable avant la guerre, et dont l’excellence se confirme chaque jour, à mesure que les Américains ne trouvent pas les armes de destruction massive promises. Mais nous ne sommes pas là pour attendre des USA un comportement cohérent. L’important est plutôt de savoir s’il y aura une nouvelle bataille de l’ONU et si cette bataille vaut d’être menée.

Ce retour à l’ONU n’est rien d’autre que la manifestation de la faiblesse intrinsèque de la politique US, qui cherche à affirmer une cohérence si possible musclée à partir de conceptions théoriques qui ne reflètent pas de véritables options mais qui résultent de la bataille intérieure où les idées ne servent que de véhicules pour la prise du pouvoir, — ou la prise d’une parcelle de pouvoir. Les thèses sur l’unilatéralisme, sur les capacités de l’ONU, sur les intérêts américains et sur la démocratisation du monde, sont d’abord et quasi-exclusivement des arguments internes au débat washingtonien qui est d’essence bureaucratique. Toute démarche américaine doit être jugée à cette aune, comme on le constate par exemple à propos de la nomination de L. Paul Bremer à la tête de l’administration de l’Irak : le commentateur Bill Berkowitz publie un texte où il présente et explique cette nomination, et il conclut par ce paragraphe qui est un résumé de l’argument, — et qui promet pour la suite d’une situation déjà jugée comme catastrophique :


« What special expertise about Iraq or the Middle East is Bremer bringing to Iraq? None, says a former senior State Department official who has worked with Bremer. He is a “voracious opportunist with voracious ambitions,” the official told Newsday. “What he knows about Iraq could not quite fill a thimble. What he knows about any part of the world would not fill a thimble. But what he knows about Washington infighting could fill three or four bushel baskets.” »


Il apparaît acceptable d’avancer que les conditions pour une bataille justifiée et avec des chances d’aboutir à une solution constructive n’existent plus guère. (Ce que dit le représentant de l’Allemagne au Conseil de Sécurité : « Günther Pleuger, Germany’s UN Ambassador, said that members of the Security Council did not want to “fight the fights of the past”. ») Il n’y a plus l’enjeu colossal de la guerre, il y a l’argument que les Américains feront de toutes les façons ce qu’ils veulent. Quant à l’aspect de la légitimation de la guerre, il ne peut tromper personne : aucun vote des Nations-Unies aujourd’hui ne pourra faire disparaître le fait que l’attaque est illégale et n’a reçu aucun soutien légal international. Simplement, il s’agit pour certains de marquer une désapprobation toujours réelle, soit en obtenant des aménagements, soit en s’abstenant.

En réalité, la bataille autour de la crise s’est désormais déplacée, l’affaire irakienne est effectivement désormais du passé. Aujourd’hui, l’enjeu est l’Europe elle-même, car c’est dans les rapports transatlantiques que s’est nouée la crise dans toute sa gravité et c’est dans ce contexte qu’elle devra évoluer décisivement. Plus encore, les seules puissances pouvant faire contrepoids aux USA sont évidemment des puissances européennes (Russie comprise, certes). Des événements comme le sommet de Tervueren ont remplacé, dans l’ordre de l’importance et des priorités, l’activité de l’ONU.