“D.C.-la-folle” : le bourbier précède la guerre

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“D.C.-la-folle” : le bourbier précède la guerre

Une dimension géographique et idéologique apparaît de plus en plus importante dans la tension entre les USA et l’Iran, et la volonté du groupe desneocon-MAX autour de Trump d’aller vers une guerre. Il s’agit de l’Irak et des éventuelles “menaces” qui pèsent sur l’important contingent militaire des USA dans ce pays, ainsi que ses diverses implantations de renseignement, diplomatiques, d’influence, etc. Il s’agit également de la situation classique, déjà signalée, d’un occupant (ce que restent les USA en Irak) se transformant, peu à peu ou rapidement c’est selon, en otages d’un conflit impliquant un troisième acteur (l’Iran).

E.J. Magnier consacre un texte, ce 16 mai 2019, à l’extrême complexité de la situation en Irak, particulièrement pour les relations entre Irakiens et Iraniens, les positions des groupes plus ou moins proches des Iraniens, les interférences des autorités religieuses chiites (la marjaya) et du gouvernement qui suit l’orientation de la marjaya. Cette situation est très confuse et ne constitue pas nécessairement, tant s’en faut, un atout sans réserve pour les Iraniens. Nombre de forces chiites irakiennes, et même la marjaya elle-même, insistent sur le fait que leur soutien à l’Iran serait très conditionnel de la politique suivie par l’Iran, au fait que l’Iran agirait en premier ou serait attaqué, etc. 

Paradoxalement, cette confusion et cette incertitude tactique pour l'Iran servent stratégiquement l’Iran parce qu’elles se transmettent d’abord à la partie américaniste. Les USA ne veulent pas déserter toutes leurs positions et leurs intérêts en Irak, et la situation ainsi décrite dans le pays les pousse effectivement à y demeurer puisque l’Irak n’est en rien un allié inconditionnel de l’Iran. Mais y restant dans ces conditions, surtout avec le contingent militaire de 5 000 hommes, surtout pour les USA qui cultivent avec un zèle remarquable une extraordinaire inculture des mentalités et des psychologies des pays occupés, –  dans ces conditions c’est justement le cas propice où l’“occupant” devient “otage” notamment des manipulations iraniennes en matière de communication, où les Iraniens sont passés maîtres dans cette sorte de situation.

Ici, le passage du texte de Magnier qui décrit cet aspect des choses :

« L’administration américaine a lancé un avertissement et ordonné une  évacuation partielle  de son corps diplomatique à Bagdad et de son consulat au Kurdistan irakien. Selon des sources bien informées à Bagdad, les partenaires de l’Iran en Irak transmettent le message qu’ils se préparent à attaquer les bases militaires et diplomatiques des USA en Irak. Les officiers du Corps des gardiens de la révolution iranienne et leurs partenaires irakiens sont pleinement conscients de la capacité des USA d’intercepter leurs communications et s’en servent pour désinformer les USA avec ces messages annonçant des attaques. Ces communications téléphoniques, auxquelles s’ajoutent des sources humaines de renseignements orientées, ne peuvent être prises à la légère par les services du renseignement des USA et une administration qui doit assurer la sécurité de ses ressortissants. Les mesures américaines servent les fins iraniennes en autoalimentant les craintes US concernant ce à quoi les USA peuvent s’attendre et sur quels fronts en cas de guerre. 
» Il est vrai que l’Iran préfère combattre par l’entremise de ses partenaires plutôt que de déployer sa propre armée et le Corps des gardiens de la révolution iranienne, dans la mesure du possible. Cependant, un Irak instable nuit à l’objectif de l’Iran de contrer les sanctions des USA. Si les partenaires de l’Iran en Irak attaquent les forces US juste pour “transmettre un message”, la marjaya [le leadership religieux chiite de Nadjaf], le peuple irakien et le gouvernement à Bagdad s’y opposeront, à moins que l’Iran subisse une attaque militaire directe et que la guerre (possible) se développe au détriment de l’Iran. En pareil cas, tous les partenaires de l’Iran au Moyen-Orient (non seulement en Irak) seraient impliqués. 
» Le premier ministre irakien et la marjaya à Nadjaf n’accepteront pas que les forces US sur le territoire irakien soient utilisées pour attaquer le Khuzestan iranien ou d’autres parties de l’Iran. Ils ne permettront pas non plus à l’Iran d’utiliser l’Irak comme plateforme dans sa guerre contre les USA, tant que la guerre ne sera pas officiellement déclarée. »

Ainsi se passe-t-il que le bourbier irakien pour les USA, en Irak même tel qu’on le décrit, se prolonge désormais décisivement d’un bourbier washingtonien, où ressortent les divers affrontements, méfiances, etc., qui caractérisent le climat hystérique de “D.C.-la-folle”. Cela fait que le cas au départ si limpide, de la limpidité de la fureur guerrière des neocon-MAX autour de Trump, devient de plus en plus opaque, vaseux, hésitant, etc., à mesure que l’on s’informe de plus en plus fermement de la nécessité de partir en guerre dans le chef des ultra-bellicistes.

Jason Ditz, de Antiwar.com, nous informe, ce 17 mai 2019, des conversations et spéculations bourdonnantes qui font vibrer Washington D.C. à propos de ces projets de guerre. L’idée d’une “menace” provocatrice iranienne, complètement montée par le système de la communication belliciste, est devenu un sujet de débat et même le principal sujet de débat, – d’une part pour l’inquiétude que cela suscite, d’autre part pour une certaine incrédulité sinon une incrédulité certaine devant la validité des informations à propos de ces “menaces”. « C'est aussi, écrit Ditz, un sujet majeur de discussion, et dans certains cas d'inquiétude, parmi les législateurs et autres hauts fonctionnaires de Washington D.C. Il y a aussi un besoin d’informations plus concrètes et de spéculations moins oiseuses. »

L’administration Trump, qui s’est montrée exécrable au niveau de la communication avec le Congrès sur cette dynamique de la poussée vers la guerre contre l’Iran, s’est trouvée devant la nécessité de faire un gros effort dans ce sens. Or, cet effort s’appuie sur du matériel de renseignement, dont les opérations de désinformation suscitées par l’Iran, qui n’est pas nécessairement convaincant... Là aussi, le cas très clair de la nécessité de faire la guerre commence à s’embourber dans le brouillard de la communication incertaine ; communication en général  fumeuse de la part des services de renseignement, en général hystérique lorsqu’on est à “D.C.-la-folle”, et ainsi le fameux “fog of war” envahit-il le paysage avant même que la guerre ne commence... Ditz encore, sur l’aspect majeur de l’effort de communication de l’administration :

 « Une poignée de dirigeants du Congrès ont reçu des informations jeudi lors d'une séance d'information confidentielle, dont ils sont sortis en refusant tout commentaire. Une deuxième séance d'information classifiée pour l'ensemble de la Chambre et du Sénat est prévue pour la semaine prochaine.
» On s'inquiète beaucoup de la possibilité que les États-Unis ne s'enlisent dans une guerre fondée sur des “menaces” secrètes. Le représentant Mac Thornberry (R-TX) est sorti du briefing convaincu à cet égard, disant que les informations communiquées montrent qu'il y a “beaucoup de raisons de craindre” que des Américains soient pris pour cible par l'Iran.
» D’autres législateurs ont comparé ce qui se passait à la “marche vers la guerre” avant l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Ils veulent beaucoup plus de détails sur ce que les États-Unis font, et pourquoi, et ils ont réclamé du département d'État d’amener des précisions convaincantes la semaine prochaine.
» La présidente (Speaker) de la Chambre, Nancy Pelosi (D-CA), a été beaucoup plus précise dans son message à l'administration, soulignant que le Congrès  n’a jamais autorisé une guerre contre l'Iran. Certains sénateurs ont fait des commentaires semblables au cours des derniers jours. »

La question qui se pose à nous au vu de ces développements : assiste-t-on à une sorte de remake, sous une autre forme mais dans le même esprit,de la crise d’août-septembre 2013 de l’attaque avortée contre la Syrie, qui a été si fortement déformée par l’appareil de la communication manipulée, comme nous ne manquons jamais de la préciser ? (*) C’est-à-dire une attaque qui paraît irrésistible dans les sables pétroliers du Moyen-Orient, et qui s’embourbe peu à peu puis rapidement dans le cloaque hystérique de Washington D.C./“D.C.-la-folle” ? Plusieurs points à mettre en évidence...

• Un remake de la “marche vers la guerre” contre l’Irak du printemps 2003 ? Ils en parlent tellement que tout se met en place, de différents côtés et pour différentes raisons, pour que cela ne soit absolument pas le cas. En 2002-2003, avant l’invasion du 19 mars, l’ordre régnait à Washington tout à fait D.C. On faisait semblant de débattre (à l’été 2002, – on prenait son temps) pour une cause qu’on savait acquise, l’attaque de l’Irak pour venger l’attaque 9/11 dans laquelle l’Irak n’avait rien à voir, au contraire de l’Arabie et de ses amis washingtoniens. On alla même jusqu’à envisager une caution de l’ONU que ces horribles Français, Villepin en tête, firent échouer. Puis l’invasion eut lieu, avec le Congrès au garde-à-vous, Tony Blair en flanc-garde, l’OTAN alignée (sauf les horribles-Français et les idiots belge et allemand qui firent dissidence), les Russes et les Chinois un petit peu contre mais sans plus, et ainsi de suite. C’était le temps béni où Karl Rove nous confiait, à l’été 2002, cette observation désormais fameuse :  « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. »

• Par conséquent, un point essentiel, énorme, de la différence avec 2003, ce sont la confusion, la division, le désordre régnant dans l’administration vis-à-vis de la guerre, entre la folie extrémiste des neocon-MAX Bolton-Pompeo et le louvoiement, l’incertitude, les coups fourrés et les tweets rageurs du reste. Rien à voir avec l’alignement belliciste impeccable de l’administration GW Bush de 2003, – littéralement nous sommes dans une autre époque, l’époque de la Fin des Temps. L’administration Trump paraît encore plus extrémiste que l’administration GW Bush si l’on s’en tient à Stache-Bolton, mais Bolton est de plus en plus isolé, sinon menacé d’être viré, tandis que Trump fait de la téléréalité, que les autres règlent leurs comptes, et alors l’administration Trump montre le visage d’un indescriptible désordre comparée à l’alignement de l’administration GW Bush. Tout cela se retrouve, désordre surtout, dans tout l’appareil du système de la communication, le Pentagone, la presseSystème, etc., où l’on tire et commente dans tous les sens.

• Après une longue séquence où l’on ne s’occupa guère du Congrès, énorme erreur de communication, voilà que la pseudo-équipe Trump se précipite pour l’informer de la guerre à venir très vite contre l’Iran, – “trop peu, trop tard”... Le Congrès a eu le temps de faire monter la sauce et de retrouver, ou de poursuivre sa hargne haineuse antiTrump. On retrouve les doutes sur le renseignement, les craintes du piège irakien devenant bien plus imposant que l’imposante (!) armada autour du USS Abraham-Lincoln, et les démocrates passent à leur extrémisme habituel ; et dans ce cas déjà-vu, un extrémisme légaliste et quasiment-pacifiste ! Pelosi, la grand-mère et Speaker de la Chambre, qui retourne régulièrement sa veste selon les tendances du moment, adopte complètement une rhétorique à-la-Gabbard pour rappeler, après la méfiance renforcée devant les informations dites-“secrètes” communiquées par l’administration Trump sur la situation irakienne, que « le Congrès  n’a jamais autorisé une guerre contre l'Iran ».(Pelosi évoque le War Powers Act de 1974 qui renouvelle sous forme de loi, en le précisant selon les conditions modernes des engagements militaires, l’article de la Constitution qui précise que seul le Congrès a le droit d’autoriser et de déclarer l’entrée en guerre des Etats-Unis.)

• Ainsi, oui, l’on retrouve un schéma qui n’ait plus si éloigné de l’aventure d’août-septembre 2013, avec la hargne toujours bien vivace des démocrates contre Trump. Et de ce point de vue, beaucoup de choses meuvent survenir, en se rappelant qu’il y a moins d’un mois, le Congrès (Chambre puis Sénat) a voté l’interdiction de l’intervention des États-Unis dans la guerre saoudienne contre le Yémen. Une menace de veto du président, contre lequel le Sénat ne pouvait espérer réunir 66 voix, a conduit à la non-application de cette loi ; mais une telle action du Congrès peut se reproduire, et cette fois, avec un enjeu infiniment plus grave d’une guerre contre l’Iran, nul ne sait ce qu’il adviendrait, – si un véto du président ne pourrait pas être repoussé, voire même si le président, pas mécontent de se passer de cette guerre machinée par Stache-Bolton, ne laisserait pas faire tout en liquidant l’équipe Bolton-Pompeo...

Et après une telle équipée, le déluge à “D.C.-la-folle”...

 

Mis en ligne le 18 mai 2019 à 09H14

 

Note

(*) Pour rappel, plus en détails, de cet épisode :

« Il y a un précédent, celui de l’attaque contre la Syrie d’août-septembre 2013. Tant de monde en ont oublié les véritables circonstances, se contentant d’affirmer qu’Obama avait lancé la menace d’une attaque, avait hésité puis avait reculé. La réalité de cette séquence est que l’attaque décidée après et malgré un vote défavorable de la Chambre des Communes de Londres sur la participation britannique, Obama confia la décision au Congrès : soudain, l’on constata l’effritement accéléré du soutien populaire jusqu’alors acquis à l'attaque, ce que les parlementaires, sollicités par les flots épistolaires de leurs électeurs, traduisirent en intentions de vote de plus en plus défavorables jusqu’à une déroute institutionnelle catastrophique d’où Obama fut sauvé in extremis par l’intervention de... Poutine. (Voir les textes sur ce site, à propos de cette séquence : le 27 août 2013, le 29 août 2013, le 02 septembre 2013, le 06 septembre 2013, le 10 septembre 2013, le 12 septembre 2013.)
» Ce phénomène n’a jamais été vraiment analysé, il a même été prestement déformé puis enterré comme “la mémoire” fait aujourd’hui avec les faits historiques, puis oublié par la direction politique et la communication-Système comme beaucoup trop déstabilisant pour la politiqueSystème pour qu’on puisse seulement en avoir un écho lointain... »

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