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6 février 2003 — La rencontre du Touquet France-UK du 4 février a été présentée comme une rencontre marquée par une « mésentente cordiale », mésentente pour l’Irak et cordiale en général et pour le reste. Pour rétablir la mésentente irakienne, les deux acteurs principaux ont voulu marquer que le grand courant de coopération franco-britannique établi en décembre 1998 à Saint-Malo n’était pas tari. Cela est vrai ou pas, l’avenir le dira, dans la concrétisation des bonnes intentions ; nous parlons ici, d’abord, d’une “volonté-de-montrer” : surtout chez les Britanniques parce que Blair a besoin des Français ; aussi chez les Français, qui ont besoin de montrer qu’ils ne sont pas opposants systématiques au parti US-UK de la guerre mais gens raisonnables, adeptes du “milieu” des choses, faiseurs de compromis, garants de la bonne harmonie des relations internationales et ainsi de suite.

Voilà pour la politique, si l’on veut. Une certaine surprise est qu’il y a également un aspect substantiel dans les résultats de la rencontre, qui indique que la crise irakienne est très loin d’avoir polarisé les travaux. Cette substance porte sur la défense, domaine de prédilection des deux pays, de leur coopération, depuis Saint-Malo sans aucun doute.

Nous avons comptabilisé et mis en évidence les points qui, dans le communiqué, nous semblent apporter quelque chose de nouveau. Puisque cela va dans le sens d’un engagement européen accru, d’une plus grande ambition pour une politique de défense commune, ces points représentent nécessairement des concessions de la part des Britanniques. Ce n’est pas étonnant, dans la mesure où ce sont effectivement les Britanniques qui ont, aujourd’hui, besoin de se “rapprocher” de l’Europe, alors que leur réputation de pro-américanisme systématique est au plus haut.

Nous faisons ci-dessous un décompte, en citant les passages où nous jugeons avoir trouvé des nouveautés qui nous paraissent significatives, et en soulignant (en gras) les phrases précises. (Par conséquent, cet emploi du gras est de la rédaction, il ne se retrouve pas dans le texte original.)

• Ci-dessous, un passage où apparaît clairement l’affirmation de la vocation mondiale de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD). Cette question de la dimension de la PESD, — régionale ou globale, — fait débat depuis longtemps, et aussi bien au sein des organes communautaires.


« (...) La France et le Royaume-Uni entendent également que le champ d'action de la PESD soit conforme à la vocation mondiale de la politique étrangère et de sécurité de l'Union et soit en mesure d'appuyer efficacement les objectifs de politique extérieure de l'Union pour la promotion de la démocratie, des droits de l'homme, de la bonne gouvernance et des réformes. »


• Ci-dessous, un passage où est affirmé, et même répété, le principe de solidarité, une sorte de simili-Article 5 pour l’Union européenne. Cette disposition n’est ni révolutionnaire ni nouvelle dans l’histoire de la politique de sécurité en Europe ; elle existe dans le Traité de Bruxelles (UEO), dans celui de l’OTAN. Appliquée à l’UE, elle étoffe le dispositif d’une façon évidente ; du point de vue politique, elle pourrait créer des situations intéressantes, où les engagements, affichés ou secrets, des uns et des autres pourraient être mis à l’épreuve.


« La France et le Royaume-Uni souhaitent promouvoir le principe de solidarité et d'assistance mutuelle entre les Etats-membres de l'UE, face aux menaces qui pèsent sur leur sécurité commune.

(...)

» Face aux risques de toute nature, dont notamment le terrorisme, la France et le Royaume-Uni s'engagent, dès à présent, à mettre en oeuvre l'ensemble de leurs moyens disponibles, afin de se porter secours et assistance. Nous invitons nos partenaires de l'Union européenne à se joindre à nous.

» Nous soutenons la proposition d'introduire dans le nouveau traité une clause de solidarité pour répondre de manière efficace aux menaces auxquelles nous faisons face ensemble, en utilisant tous les instruments et les structures de l'UE, à la fois civils et militaires. »


• Il y a une affirmation de la recherche d’une structure capable d’assurer plusieurs opérations simultanément. Cette disposition complète en un sens les deux précédentes en complétant l’ambition d’une PESD à caractère global. La capacité simultanée de mener plusieurs opérations rejoint la logique américaine d’une capacité de mener plusieurs guerres à la fois. Certes, dans tous ces cas nous sommes dans le domaine théorique, mais c’est un domaine théorique d’affirmation et de projection de puissance, domaine théorique plus d’une “Europe-puissance” que d’une Europe réduite aux automatismes d’un “grand marché”, et nécessairement régionale dans l’ensemble globalisé. Certes, on retrouve les penchants naturels des deux pays (deux pays à vocation stratégique de projection de force) mais on relève combien cette tendance contredira à termes certains engagements britanniques (à moins que, de ce côté, des révisions se produisent). On peut aussi avancer l’argument contraire qu’une telle Europe est faite pour servir de serviteur zélé aux USA dans leurs aventures extérieures ; l’argument vaut en théorie, pas en pratique : dès lors qu’une telle puissance européenne spécifique existerait, elle tendrait nécessairement à son autonomie complète. Si une défense arrive à maturité, et à la maturité globale, ce n’est pas pour se soumettre à une autre ; il y a contradiction de nature.


« Nos deux pays proposent que l'Union se fixe de nouveaux objectifs, après avoir évalué l'objectif global d'Helsinki qui arrive à échéance à la fin de cette année. Pour pouvoir conduire plusieurs opérations simultanément et agir avec une réactivité accrue, l'Union devrait se fixer des objectifs quantitatifs (indicateurs pertinents de dépenses de défense), et qualitatifs (disponibilité, efficacité militaire, déployabilité, interopérabilité et soutenabilité des forces). »


• Les deux pays proposent également une agence européenne commune (mais “inter-gouvernementale”, les Britanniques y tiennent). Cela va plus loin que l’idée d’Agence de l’armement qui est en gestation en ce moment. Il s’agirait d’un organisme centrale dont la vocation serait de promouvoir une intégration des différents processus nécessaires à la mise en place des capacités de défense et de sécurité, dans le sens le plus large.


« Afin de soutenir cette dynamique, une agence inter-gouvernementale de développement et d'acquisition des capacités de défense pourrait être mise en place au sein de l'UE. Notre intention est d'assurer que les capacités nécessaires pour les missions actuelles et futures de la PESD soient définies de manière détaillée à travers le Mécanisme de Développement des Capacités, et mises en service de manière aussi performante que possible en termes d'efficacité et de rapport coût/qualité. L'objectif de l'agence serait donc de promouvoir une approche globale de développement des capacités par tous les Etats-membres de l'UE. »


• Les deux parties proposent une intensification des capacités européennes en matière de planification. C’est un point important qui, d’une certaine façon, renforce l’interprétation de la recherche d’une évolution vers une “Europe-puissance”, avec le but implicite de donner à l’Europe des capacités de planification indépendante. C’est un point sur lequel les Britanniques ont toujours montré une grande réticence, par rapport auquel ils ont toujours marqué leur préférence de s’en remettre aux capacités de planification de l’OTAN. La réalisation d’un tel programme, avec tout le potentiel qu’on devine, constituerait évidemment une évolution structurelle qui ne serait pas loin, à son terme, d’imposer une situation révolutionnaire.


« Pour faire face aux exigences de réaction immédiate, nos deux pays sont convaincus de la nécessité d'améliorer encore les capacités européennes en matière de planification et de déploiement des forces dans des délais très brefs, y compris par le déploiement initial d'unités terrestres, maritimes, et aériennes en 5 à 10 jours. Ainsi sommes-nous convenus d'intensifier la coopération entre nos états-majors de planification et de conduite d'opération de façon à renforcer leur interopérabilité dans le cas où ils seraient amenés à agir conjointement dans des délais très brefs.


• Enfin, on cite, pour mention car la plupart de ces éléments étaient annoncés et déjà connus en substance, le passage sur la coopération en matière aéronavale. C’est un domaine à l’ordre du jour depuis que les Britanniques ont confié, le 30 janvier, la construction de leurs futurs porte-avions à un ensemble BAE-Thalès, où BAE a la responsabilité de l’opération mais où ce sont les conceptions de Thalès qui seront appliquées. C’est un domaine également gros de potentialités stratégiques d’une grande importance, pour la coopération France-UK et pour la coopération européenne en général.


« d) La France et le Royaume-Uni soulignent que les capacités aéro-navales constituent un facteur clé de la projection de puissance. Nos deux pays, qui disposent déjà de capacités substantielles dans le domaine aéro-naval, ont décidé de se doter de nouveaux porte-avions et de coopérer afin d'améliorer la disponibilité et l'efficacité des groupes aériens embarqués.

» Dans cette perspective, la France et le Royaume-Uni souhaitent accroître l'interopérabilité de leurs groupes aéro-navals, en poursuivant toutes les voies de coopération et notamment l'harmonisation des cycles d'activité, les entraînements. L'objectif serait d'avoir en permanence un porte-avions disponible.

» La France et le Royaume-Uni chercheront également à mettre en place une coopération industrielle autour de leurs nouveaux programmes d'acquisition de porte-avions. La décision prise par le Royaume-Uni pour son programme national ouvrira de nouveaux domaines de coopération.

» e) Nos deux pays poursuivront plus largement, sur la base de la lettre d'intention entre nos marines, le renforcement de leur coordination, en particulier en vue d'optimiser la formation de leurs équipages, et les conditions de leurs déploiements en opérations. »


D’une façon générale, ces dispositions peuvent être vues comme des ambitions très intéressantes mais qui peuvent rester à l’état de voeu pieux si elles ne sont pas réalisées ; ou bien, comme une impulsion qui peut conduire à donner à la PESD une dimension nouvelle, extrêmement intéressante. Les événements trancheront cette alternative.

L’intérêt est que cela ait été manifesté en plein coeur d’une crise aussi grave que celle que nous connaissons, et entre les deux acteurs qu’on croirait être les plus opposés en Europe dans le cadre de cette crise. Cela en dit long sur les réalités complexes qui se cachent derrière les prises de position abruptes que les uns ou les autres peuvent être amenés à prendre.

Un dernier point très important à mettre en évidence : toutes ces propositions et suggestions doivent être appréciées dans le cadre de la Convention. La Convention est invitée de facto à se prononcer sur ces diverses propositions. Implicitement, cela signifie que la Convention est invitées à mettre dans ses textes des dispositions qui relèvent de la conception de l'“Europe-puisance”.